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sion pour les décisions de mondit M. le Premier Président sur le fait de la substitution.

Je nomme pour exécuteur de ce présent mon testament la personne de M. Mignot, correcteur des Comptes, mon gendre, auquel je suis bien aise de donner cette petite marque de ma confiance et de mon estime.

J'exhorte mes deux fils autant que je le puis à bien vivre et en union avec lui, de se souvenir d'un conseil que je leur ai donné plus d'une fois, dont il me semble qu'ils n'ont guère profité : que le bon sens veut et demande de nous que nous nous accomodions à la portée de ceux sur qui nous croyons avoir une supériorité d'esprit et de lumière que nous ne devons jamais leur faire sentir. Fait à Paris, étant, grâce à Dieu, en une assez bonne santé et disposition de corps et d'esprit, ce dix-neuf aoust mil sept cent vingt un, à pareil jour que je suis venu au monde, me trouvant âgé de soixante douze ans accomplis, étant né le dix neuf aoust mil six cent quarante neuf.

AROUET.

Quel brave homme et quel bon père que ce François Arouet! On voit maintenant quel intérêt il y avait à rappeler ici la lettre dans laquelle il regrette la grâce de son fils. Certes, il ne l'en aimait pas moins; mais sa tendresse prévoyante s'alarmait à juste titre de cette disposition à faire sentir à tout le monde sa supériorité d'esprit et de lumière. » On sait comment la leçon profita à celui qui se faisait déjà appeler M. de Voltaire, et que son père lui-même consentait à nommer M. de Voltere ou Volterre; car, tout en acceptant la qualification que son fils avait adoptée, François Arouet semble en ignorer l'orthographe qu'il change à chaque reprise, sans jamais arriver à l'écrire correctement.

Quatre mille livres de dettes, certes le cas n'est pas pendable; aussi la punition infligée au dissipateur n'atteint-elle pas la gravité que le discours de Rulhières lui donne. Jusqu'à l'âge de trente-cinq ans il touchera ses revenus sans pouvoir entamer le capital, sauf à rentrer en possession de tous ses droits et actions s'il a fait, à cet âge, amende honorable. De tutelle pas un mot.

De cet article du testament ainsi que de celui qui règle la dot de Mlle Arouet, il est permis de tirer une nouvelle conséquence. Des assertions de Voltaire, qui prétend dans ses lettres que la Chambre des comptes avait dû jusqu'à trois cent mille livres à sa famille, il semble résulter que la fortune de son père atteignait un chiffre énorme. Il faut singulièrement en rabattre maintenant. François Arouet le dit lui-même : ses biens ne sont que très-médiocres; aussi est-il obligé de tenir compte, dans sa répartition, des 3,000 liv. qu'il a dépensées pour l'éducation d'un de ses fils, des 4,000 liv. qu'il a payées pour les folies de jeunesse du plus jeune. Tout cela n'indique pas une situation très-aisée.

On sait que le frère de Voltaire, livré aux pratiques du jansénisme le plus austère, ce qui contribua à accréditer, après le discours de

Rulhières, sa prétendue interdiction, succéda à son père comme receveur des épices de la Chambre des Comptes et conserva cette charge jusqu'en 1745, date de sa mort. En 1722, il avait déjà dépassé sa trentesixième année, ce qui rendait quelque peu invraisemblable la tutelle de ce grand garçon confiée à M. de Nicolay.

Quant à la sœur de Voltaire, qui avait épousé ce correcteur des comptes, Mignot, en qui François Arouet paraît avoir eu grande confiance, puisqu'il l'institue son exécuteur testamentaire, elle eut, comme on sait, trois enfants: 1o l'abbé Mignot, dont le nom revient si souvent dans la correspondance de son oncle; 2o Madame Denis, cette nièce préférée de Voltaire, qui veilla sur ses dernières années, lui ferma les yeux, et dota la Comédie-Française du chef-d'œuvre de Houdon; 3o Mme de Fontaine, qui vivra éternellement, comme son frère et sa sœur, par la correspondance de Voltaire.

Après le testament, l'acte qui suit et dont nous devons l'indication à notre obligeant collègue, M. Émile Campardon, n'a plus qu'un intérêt secondaire. C'est cet acte toutefois qui nous a mis sur la trace du testament de François Arouet.

Cette substitution, que le mourant paraît avoir eu un instant, peut-être trop tard, l'intention de révoquer, eut, comme nous l'avons dit, son plein effet. M. de Nicolay resta l'administrateur des biens de Voltaire jusqu'à ce qu'il eût atteint l'âge de trente-cinq ans, et on conçoit que celui-ci ait soigneusement gardé le silence sur ce détail de sa jeunesse. Était-ce, nous le répéterons, à la famille, qu'un père mourant avait pris pour confidente de ses inquiétudes, à divulguer ce secret? Elle remit fidèlement le dépôt confié à sa délicatesse. Elle eût accompli sa tâche jusqu'au bout, si elle avait laissé à d'autres le soin de révéler le rôle fort honorable d'ailleurs qu'elle joua en cette circonstance.

SUBSTITUTION

DE LA FORTUNE DE VOLTAIRE AU MARQUIS DE NICOLAY

(1 er Mars 1730).

Aujourd'huy est comparu par devant les Conseillers du Roy, notaires à Paris soussignés, haut et puissant seigneur messire Jean Aymar Nicolay, chevalier, marquis de Goussainville et autres lieux, Conseiller du Roy en ses conseils, Premier Président de sa Chambre des Comptes, demeurant à Paris en son hôtel, place Royalle, paroisse Saint-Paul, lequel, en vertu du pouvoir et autorité à luy donnée par Mr. François Arouet, receveur et paieur des épices de lad. Chambre des Comptes, par son testament olographe du 19 aoust 1721, déposé pour minutte à M. Meny, notaire à Paris, le 21 dud. mois, sur la personne du s. François Marie Arouet de Voltaire, son fils, par raport à la substitution qu'il a faitte par led. testament en faveur des enfans en légitime mariage dud. s. de Voltaire, et, à leur défaut, en faveur de ses frère et sœur et de leurs représentans, de la part et portion

BULLETIN

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dud. sieur de Voltaire dans les biens et effets qui composent le legs universel fait par led. testament à luy et à ses frère et sœur par led, defunt s. Arouet, leur père et estant led. seigneur Premier Président; bien et duement informé que led. s. François Marie Arouet de Voltaire, lequel est âgé de trente cinq ans accomplis dès le 21 novembre dernier 1, suivant son extrait baptistère du 22 dudit mois, tiré des registres de l'église et paroisse de Saint-André-des-Arts à Paris, loin de dissiper son bien et de faire des dettes, l'a au contraire augmenté jusques icy, et qu'il espère qu'il n'en fera que de bons usages, a led. seigneur Premier Président par ces présentes, levé, détruit et annullé lad. substitution portée au testament dud. feu sieur Arouet dud. jour 19 aoust 1721, laquelle n'aura par ce moyen aucun effet, pour par ledit sieur François Marie Arouet de Voltaire faire et disposer de tout ce qui doit luy revenir et apartenir par le legs universel porté aud. testament, librement et sans aucune charge de substitution, consentant ledit seigneur Premier Président que ces présentes soient insinuées partout où besoin sera et que toutes formalités soient observées pour en assurer l'exécution, dont acte. Fait et passé à Paris, en l'hostel dud. seigneur Premier Président l'an 1730 le 1er jour de mars après midy, et a signé la minutte des présentes demeurée en la possession de Jourdain, notaire.

Insinué à Paris le 18 mars 1730. A esté payé pour les droits la somme de 75 1.

(Arch. nat. Y. 329, f. 27.)

J. J. GUIFFREY.

LA JOURNÉE D'UN VAINQUEUR DE LA BASTILLE RACONTÉE PAR LUI-MÊME.

Le rare et curieux factum que voici nous a paru digne d'être réimprimé malgré la naïveté de sa forme, ou plutôt à cause même de cette naïveté, qui en augmente singulièrement le piquant. Il offre en quelques lignes un tableau saisissant, à la fois comique et terrible, de cette fameuse journée dont vainqueurs et vaincus ne prévoyaient certes pas toutes les conséquences.

Rien ne donne mieux l'idée de cette action inconsciente d'une foule ramassée on ne sait où, qui, sans trop savoir pourquoi, se rue contre la forteresse, s'en empare on ne sait comment, arrête et massacre un peu au hasard on ne sait qui, on ne sait pourquoi, et se réveille enfin après cet enivrement, ce désordre et ce tapage, foule victorieuse, foule de héros acclamés, médaillés et embrigadés, autant que faire se peut, par honneur aussi bien que par précaution.

Tel fut le sort du brave Cholat, marchand de vin, rue des Noyers, au coin de la rue des Lavandières, qui, croyant arrêter le prince de Conti, arrêta d'abord un voyageur quelconque, puis le régisseur général des poudres, M. Clouet, qu'il prenait pour le gouverneur de la Bastille; s'improvisa officier d'artillerie, au grand détriment de La Girofflée, son voisin de

1. Cette date est exacte, comme on peut le voir en se reportant à l'extrait baptistaire de Voltaire publié par M. Jal.

pièce, dont il écrasa le pied tandis que le recul d'un autre canon jetait à terre sans connaissance le second servant de sa batterie; entra des premiers dans la Bastille; arrêta enfin le véritable M. Delaunay qu'il voulait, dit-il, protéger, mais qu'il laissa massacrer, s'étant lui-même trouvé mal d'émotion et de besoin; et, après avoir rendu les plus éminents services dans le bataillon des volontaires de la Bastille, se vit enfin, ô ingratitude, suspecté et poursuivi peut-être, pour avoir vendu un cheval de dragon qu'il avait trouvé et sauvé au Champ de Mars.

C'est pour sa justification que le S Cholat publia lui-même cette apologie. Qu'en est-il advenu? Je ne sais, car on ne retrouve plus trace du dit S' Cholat ni parmi les marchands de vin de Paris en l'an VI (1o année de l'Almanach du Commerce de La Tynna), ni parmi les créatures ou les victimes de la Révolution. Sa boutique était au n° 18 de la rue des Noyers, L'Almanach Bottin ne mentionne ni la maison, ni le successeur du Sr Cholat, le nommé Bouvet, qui y tenait encore comptoir ouvert vers 1840. Aujourd'hui, le boulevard Saint-Germain a fait disparaître tout ce côté de la rue des Noyers; l'autre moitié, le côté impair, subsiste encore, par tolérance, en attendant que les propriétaires se décident à se raccorder au nouvel alignement.

SERVICE FAIT

Jules Cousin.

A L'ATTAQUE ET PRISE DE LA BASTILLE

Et autres pour la cause commune, par le sieur Cholat, marchand de vin, rue des Noyers, au coin de celle des Lavandiers, le 14 juillet 1789'.

Le sieur Cholat fit, le 14 juillet, à huit heures du matin, rencontre dans la rue Saint-Antoine d'un carrosse qu'une petite escorte bourgeoise conduisait à l'Hôtel-de-ville; présumant que le particulier qui était dans ce carrosse était le prince de Conti, et s'étant aperçu que les portières en étaient abandonnées, il s'en saisit d'une, et dit à une autre personne de s'emparer de l'autre, afin que le soi-disant prince de Conti ne leur échappât pas. Arrivé à la Ville l'on fit paraître ledit particulier devant le Prévôt des marchands, auquel il déclara qu'il n'était pas le prince de Conti. Il se trouva dans son carrosse une cassette remplie d'or et d'argent, pesant environ 40 livres, et un paquet, couvert d'une toile cirée verte, pleine d'argenterie, que le sieur Cholat monta à l'Hôtel-de-ville.

Le sieur Cholat, après avoir été deux heures de garde auprès dudit particulier, vit arriver à la Ville plusieurs districts qui demandaient des armes et de la poudre; adressant alors la parole au Prévôt des marchands, il lui dit : « Monsieur, nous vous demandons des armes et de la poudre, ainsi que moi qui suis du district de Saint-Étienne

1. Service fait à l'attaque et prise de la Bastille. Paris, Brunet et Desenne, 1789, 16 pages in-8° (Bibliothèque de la Ville, no 9064).

du-Mont; nous n'avons point de fusils ». Le Prévôt des marchands répondit: Messieurs, j'ai envoyé aux Invalides et à la Bastille en députation; le curé de Saint-Paul est un des députés; voici, dit-il, la réponse du gouverneur de la Bastille Tout ce qui est en mon pouvoir est au service de la Ville, pourvu, toutefois, qu'on respecte mes ponts. Le roi m'a donné une forteresse à garder, je la défendrai. Le sieur Cholat lui répondit : « On nous donnera donc des armes et de la poudre. » Il répéta: « Vous avez entendu sa réponse. Le sieur Cholat sortit à l'instant en disant : « Allons à la Bastille, elle est à nous, nous y aurons des armes et de la poudre »; ce qu'il répéta dans la cour et sur les marches de la Ville, et fut avec un nombre de 150 personnes à la Bastille. Mais, surpris de ce que l'on tirait du fort de la Bastille sur le peuple, il prit le parti de retourner à la Ville avec ceux qui l'accompagnaient pour y prendre des canons, afin de se venger de cette insulte.

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Le sieur Cholat, sur les onze heures du matin, avait vu sortir du fort de la Bastille, par la porte de fer, donnant dans l'avenue du jardin de l'arsenal, le sieur Clouet, directeur des poudres, qui était en robe de chambre et accompagné d'un autre particulier : chemin faisant, ils rencontrèrent le directeur des poudres botté et monté sur un bon cheval; tout le monde le prenait pour le commandant de la Bastille. Le sieur Cholat le saisit au collet du côté gauche et lui dit de rendre son épée, ce qu'il fit en disant que l'on se trompait, qu'il n'était point le commandant; à quoi le sieur Cholat lui répliqua : « Pourquoi vous sauvez-vous? ce ne peut être que pour aller chercher du renfort. Tout le monde criait : Coupons-lui le cou! Mais le sieur Cholat lui sauva la vie en exposant la sienne.

Ils prirent deux pièces de canon, dont une grosse et une argentée, provenant du garde-meuble du roi. Arrivés à la rue des TroisPistolets1, près de l'égout des Célestins, on voulait conduire les canons à la rue Saint-Antoine, ce à quoi il s'est fortement opposé en disant qu'on eût à le suivre.

On fit l'observation au sieur Cholat qu'il y avait un corps de garde d'invalides dans la cour des princes, à quoi il fit réponse: Je suis à votre tête!» et courut aussitôt au corps de garde, dit aux troupes invalides qui s'y trouvèrent : « Sortez d'ici, traîtres à la nation, et rendez les armes, il est temps. A quoi ils répondirent qu'ils ne demandaient pas mieux. Le sieur Cholat leur dit de fermer le corps de garde et de venir avec lui, et il se fit conduire par l'un des invalides au magasin à poudre, où étant arrivé il en fit enfoncer la première porte par un homme armé d'un merlin : aussitôt il parut

1. C'est le bout de la rue Charles V (autrefois rue Neuve-Saint-Paul), du côté de la rue du Petit-Musc.

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