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Je n'aime pas les dieux. Mais enfin je préfère
Les despotes sans masque aux tyrans travestis,
Le règne de la force au règne de l'affaire,

Et les grands immortels aux immortels petits.

L'auteur des Poëmes virils me semble un des jeunes poëtes les mieux doués de ce temps-ci. Indépendamment de la force et de la sincérité de la passion, il a le sentiment naturel de la langue française et l'instinct, si rare aujourd'hui, de ses vraies ressources. Il a la propriété du mot, la netteté de l'idée, la vivacité du tour, la simplicité sans faiblesse, l'éclat sans faux brillant. Et cependant nous croirions volontiers que M. du Pontavice de Heussey aurait mieux fait de ne pas ajouter ce volume de fragments poétiques aux deux volumes qui attestaient déjà son talent. Il peut être utile, pour ne pas se laisser oublier, de semer çà et là dans des recueils périodiques quelques pièces détachées. Mais il ne faut pas être trop empressé de les réunir et d'en former des livres qui n'ont ni lien ni prétexte. On éparpille ainsi son talent, on gaspille sa réputation. Il vaudrait mieux, dans l'intérêt de celle-ci, savoir attendre et s'offrir au public, sinon avec une grande œuvre, du moins avec un recueil de poésies reliées par un but commun et trouvant dans les circonstances leur opportunité ou dans l'intérêt de la cause servie une sorte de consécration.

On attend des sentiments forts, des haines vigoureuses, plus ou moins tempérées par la charité chrétienne, d'un poëte qui intitule, comme M. Attale du Cournau, son recueil de vers Chants, Anathèmes et Prières1.

Si je regarde au nombre des pièces, les anathèmes dominent; si je cherche l'accent propre à l'auteur, je trouve que c'est moins celui de la colère que celui de la prière et de l'amour. Il y a des prophètes qui, comme Balaam, ne savent pas maudire. Leur indignation avorte, et quand ils 1. Garnier frères, in-18, 274 p. (1861).

veulent tonner contre les ennemis de leur Dieu, ils ne savent que pleurer sur eux. Il en est de même de certains poëtes et particulièrement de M. Attale du Cournau. 11 s'excite en vain à la colère contre les impiétés et les lâchetés de son siècle; en vain il prend le fouet, de la satire. Il ne sait qu'étendre les bras vers le ciel et implorer le pardon, au lieu de châtier.

Ses Anathèmes, comme ses Chants et Prières, rappellent,

par la douceur du langage, par la mélodie du rhythme, par la tendresse pieuse des sentiments, les Harmonies et les Recueillements poétiques de M. de Lamartine. M. A. du Cournau marche, dans cette voie de poésie sentimentale et religieuse, sur les traces de M. V. de Laprade, qui semble lui servir de préférence de modèle1. Ils ne sont faits ni l'un ni l'autre pour les âpretés de la satire, mais ils se sont assimilés l'un et l'autre, en les amollissant plus ou moins, les harmonieuses qualités du chantre des Méditations. Voyez, par exemple, cette nouvelle variation des plaintes. d'Horace à Postumus sur les Fugaces Anni, qui avaient été reprises avec tant de bonheur par l'auteur du Lac :

Illusions, saintes chimères!

Ah! suspendez pour nous, vos heures éphémères;
Durez, pour embellir ou consoler nos jours!
Vous faites rayonner nos ardentes jeunesses,
Vous gardez l'étincelle à nos vertes vieillesses;
Durez, durez toujours!

Cela fait penser aux accents de cette voix chère au poëte, qui frappent les échos du rivage charmé et laissent tomber ces mots sur le flot attentif :

O temps! suspends ton vol, et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours!

1. Voy., pour l'appréciation des poésies de M. Victor de Laprade,. t. I de l'Année littéraire, p. 12-22.

Il est encore honorable pour M. A. du Cournau, comme pour M. de Laprade de rappeler aussi agréablement un tel maître. Malheureusement, malgré la bonne volonté des disciples de Lamartine, ce n'est pas là la poésie qui convient aujourd'hui pour tirer la littérature et l'art du marasme où nous les avons laissés tomber, au milieu de la préoccupations du bien-être et de la dévorante activité de l'industrie. Pour rappeler notre siècle positif à l'idéal, il ne suffit pas de se faire l'écho de la voix qui a charmé le spiritualisme mélancolique de son berceau.

La nouvelle poésie didactique : Les Géorgiques en odes et idylles. MM. Autran et Millien.

Le retour de la poésie vers les sujets rustiques, dont nous avons signalé l'année dernière l'importance, se poursuit cette année. La vie rurale inspire également des chants à des poëtes qui débutent et à ceux qui l'ont déjà célébrée avec succès. Parmi ces derniers se place M. Joseph Autran, dont le nom et les œuvres sont bien connus de nos lecteurs. Il nous présente aujourd'hui les champs sous leurs plus riants aspects, et leur consacre le Poëme des beaux jours1. C'est un groupe de pièces détachées, destinées dans la pensée de l'auteur, à faire partie d'une œuvre plus étendue sur les principales harmonies rurales de l'année. M. Autran croit, comme plusieurs de ses maîtres, qu'on ne doit «< servir la poésie qu'à petites coupes. » Il dit que « la poésie est une essence; il convient de n'en faire abus en aucun cas. Si les vers sont bons il en faut peu; que dirai-je s'ils sont mauvais ! » Malheureusement ce sont les mauvais vers qui d'ordinaire abondent; et j'avoue que quand j'en

1. Michel Lévy, in-8, 144 pages.

rencontre de bons, je ne serais pas fâché qu'ils fussent nombreux. M. Autran est un des rares poëtes pour qui le mérite d'être court est toujours le moindre mérite. J'accepte la petite coupe qu'il offre aujourd'hui à ses amis, non parce qu'elle est petite, mais parce que, malgré sa modestie, il ne pouvait << y servir une liqueur meilleure. »

Le Poëme des beaux jours a les qualités que nous avons l'habitude de goûter dans M. Autran, non-seulement l'harmonie, la grâce, la précision du langage, la justesse de l'image, mais par-dessus tout ce sentiment profond et personnel des sujets qu'il traite, et sans lequel il n'y a pas plus de poëte que de véritable écrivain. Ses vers ne sont jamais l'écho banal de sentiments ou de formules de convention; ils ont un accent de vérité qui en relève tous les détails. Voyez, sous le titre de Gloria in excelsis, ces petites stances sur le chant de l'alouette : quelle verve et quelle admiration vraie!

Le Te Deum, l'épithalame

Le son des coupes d'un festin,
Portent moins d'allégresse à l'âme
Que tes cadences du matin.

Poëte aux voix aériennes,

Enseigne-nous ton art vainqueur :
Toutes chansons auprès des tiennes
Traînent et meurent de langueur.

Poursuis, poursuis ta stance folle;
Recommence-la mille fois.
L'homme n'a pas une parole
Qui vaille le son de ta voix.

Il vit de misère et de hontes,
Il rampe au niveau de ton sol:
Toi tu t'élances, toi tu montes,
Toi tu t'enivres de ton vol.

Pour montrer comment la sincérité du sentiment peut

rajeunir dans la poésie les idées et les images, je voudrais citer ici et la Veillée nuptiale et l'Héritier présomptif. Dans la première de ces pièces, l'auteur nous peint la transformation de la jeune fille des champs en femme de ménage; il nous dit :

De ses destins combien chacun diffère,
Entre l'enfant qui rit au foyer de la mère,
Et la femme qui veille au foyer de l'époux !

Il nous montre si bien les devoirs et les vertus qui sont l'apanage d'une maîtresse de ferme, qu'on s'écrie volontiers avec lui :

Femme du laboureur, matrone au flanc robuste,
Laisse-moi t'admirer dans ton grave maintien !
Femme à la main vaillante, à l'âme droite et juste,
D'une reine en sa pourpre, et dans sa grâce auguste
Le prestige, à mes yeux, n'efface pas le tien!

C'est à l'héritier présomptif de cette reine champêtre, et non à celui du maître de l'Empire, que le poëte de la vie rurale consacre ses dithyrambes :

Au fracas de l'airain, cloche ou canon qui gronde,
Dans un pli de la pourpre, à nos yeux présenté,
Quand un enfant naissait, futur maître du monde,
Autour de son berceau je n'ai jamais chanté.

Mais je te chanterai d'une voix libre et fière,
Toi, pauvre nouveau-né, toi, fils de paysan!
Et l'héritier sans nom d'une obscure chaumière
M'aura pour son poëte et pour son courtisan.

A cet enfant, il souhaite toutes les mâles vertus que réclame la noble et rude vie des champs.

Sois robuste et vaillant, pour quand viendra la peine.
Hérite de ton père un sang vivace et pur;

Bois, à longs traits, la force et la gaîté sereine

Dans le lait de ta mère au sein veiné d'azur.

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