on trouva un curé de campagne qui, ayant voyagé en Perse, fit les fonctions de Dipi; et ce curé, d'après les conversations qu'il eut avec cet ambassadeur, en porta le même jugement. Il fallut en revenir au désagréable objet de la bulle. Tellier vouloit absolument qu'elle fût enregistrée sans la moindre modification, et persuada à son pénitent de tenir à ce sujet un lit de justice. Le Roi, pour s'en dispenser, manda le premier président de Mesmes, le procureur général d'Aguesseau, les trois avocats généraux Joly de Fleury, Chauvelin et Lamoignon, aujourd'hui chancelier. Le premier président et les deux derniers avocats généraux étoient livrés aux jésuites. D'Aguesseau, le plus instruit des magistrats du royaume, plein de probité, de candeur et de religion, étoit jaloux des droits de l'Eglise et du Roi; mais la douceur de son caractère fit craindre à sa femme (Ormesson) qu'il ne se laissât intimider par la présence du monarque. « Allez, lui dit-elle en << l'embrassant, oubliez devant le Roi femme et en« fans; perdez tout, hors l'honneur. » Il n'écouta que son devoir, et parla au Roi avec autant de lumière et de force que de respect. Fleury le seconda, et les autres n'osèrent les contredire. Le Roi, moins touché des raisons que blessé de la résistance, fut près de priver d'Aguesseau et Fleury de leurs charges. Le confesseur, ayant vu l'inutilité de cette conférence, dit au Roi qu'il ne restoit d'autre moyen qu'un lit de justice, pour réduire un parlement rebelle et un prélat hérétique; qu'il falloit faire enlever le cardinal de Noailles, le conduire à Pierre-Encise, et de là à Rome, où il seroit dégradé en plein consistoire ; suspendre d'Aguesseau de ses fonctions, et en charger par commission Chauvelin, qui feroit le réquisitoire. Le Roi répugnoit à tant de violence; mais le fougueux confesseur effraya son pénitent du grand intérêt de Dieu, et le projet fut au moment de s'exécuter. Tellier en douta si peu, qu'il écrivit à Chauvelin pour lui détailler le plan de l'opération; mais Chauvelin ayant été ce jour-là même attaqué de la petite vérole dont il mourut, la lettre tomba en main tierce, et il s'en répandit des copies. J'ai sous les yeux, dans le moment où j'écris, ce qu'on prétend être l'original de cette lettre; et j'avoue que la signature ne m'en paroît pas exactement conforme à celle de trois lettres de Tellier, auxquelles je viens de la confronter au dépôt des affaires étrangères. Je soupçonne cette lettre une de ces fraudes pieuses les différens partis se permettent, et dont l'usage remonte à la primitive Eglise. que Quoi qu'il en soit, je n'en suis pas moins certain du projet de Tellier, et de la manière dont il échoua, qui a été ignorée du jésuite même. Mademoiselle Chausseraie en eut tout le mérite. Il est à propos de la faire connoître. Elle étoit fille d'un gentilhomme poitevin, nommé Le Petit de Verno, et d'une Brissac, veuve du marquis de La Porte-Vesins. Ayant perdu père et mère, elle seroit restée dans l'indigence, ou du moins dans l'obscurité, si le marquis de Vesins, son frère utérin, n'en eût pas eu pitié. Il lui procura de l'éduca tion, et engagea par son exemple les Biron, les Villeroy, les Brissac à s'intéresser pour une orpheline qui leur appartenoit de fort près du côté maternel, et dont ils ne vouloient pas d'abord entendre parler. Elle leur fut enfin présentée : bientôt elle leur plut par sa figure et ses manières, et ils la firent entrer chez Madame, belle-sœur du Roi, en qualité de fille d'honneur. Grande, bien faite, et d'une figure agréable, elle avoit beaucoup d'esprit et encore plus de jugement, et une physionomie de candeur et une naïveté dont elle eut l'adresse de conserver l'extérieur et le ton, lorsque l'usage de la cour lui en eût fait acquérir toute la finesse. Le Roi, qui la vit souvent chez Madame, prit pour elle le goût qu'inspirent naturellement celles qu'on nomme vulgairement de bonnes créatures, espèce si rare dans les cours, et à qui ce titre, une fois confirmé, permet des familiarités que d'autres n'oseroient pas prendre. Elle eut des amis dans tous les temps, dans toutes les classes, dans les partis les plus opposés, et obligea les ministres à des égards pour elle, sans les rendre ses ennemis. Ils lui firent une fortune considérable, qu'elle augmenta encore dans la régence. Elle se retira à un certain âge de chez Madame, dont elle conserva les bontés, et continua d'aller de temps en temps faire sa cour au Roi, qui lui donnoit toutes les audiences particulières qu'elle vouloit. Elle a passé toute sa vie dans l'intrigue, et l'habitude lui en avoit fait un besoin. Elle a rendu gratuitement mille services, ignorés de ceux qui les recevoient, et qu'elle ne connoissoit pas, souvent par le seul plaisir d'intriguer, ou pour traverser des intrigantes à gages : elle en fit re noncer au métier. Ce fut elle qui sauva le cardinal de Noailles. Quand elle alloit passer quelques jours à Versailles, elle logeoit chez la duchesse de Ventadour son amie, le rendez-vous de la cabale jésuitique. L'intimité qui régnoit entre la duchesse et elle, l'indifférence, l'inattention que celle-ci avoit et affectoit encore davantage pour les affaires de la constitution, faisoient que, sans lui confier précisément ce qui se machinoit, on ne se cachoit pas d'elle. Mais pour cette fois le cardinal de Rohan, supposant que tout ce qui se trouvoit dans sa société ne pouvoit pas avoir d'autres intérêts que les siens, confia le secret à la Chausseraie, afin, dit-il, qu'étant notre amie, elle jouisse d'avance du triomphe de la bonne cause. Il lui déclara donc que l'ordre d'enlever le cardinal de Noailles devoit s'expédier le lendemain. Elle applaudit à cette sainte violence avec un transport dont Rohan fut la dupe, et conçut à l'instant le projet de sauver Noailles, pour qui elle avoit un respect que lui avoit inspiré l'abbé Digné, son parent et son ami. Elle se procura le jour même un tête-à-tête avec le Roi. Elle avoit avec lui cette liberté qu'on prend avec quelqu'un qu'on a bien persuadé qu'on l'aime. « Sire, lui dit-elle, je ne vous trouve pas aussi << bon visage qu'hier; vous avez l'air triste : je crois qu'on vous donne du chagrin. -Tu as raison, ré« pondit le Roi, j'ai quelque chose qui me tracasse : << on veut m'engager dans une démarche qui me ré«< pugne, et cela me fâche... Je respecte vos se«< crets, sire, poursuivit-elle; mais je parierois que «< c'est pour cette bulle où je n'entends rien. Je ne << suis qu'une bonne chrétienne, qui ne m'embarrasse << pas de leurs disputes. Si ce n'est que cela, vous êtes <<< trop bon; laissez-les s'arranger comme ils voudront. << Ils ne pensent qu'à eux, et ne s'inquiètent ni de << votre repos ni de votre santé. Voilà ce qui m'inté<«<resse moi, et ce qui doit intéresser tout le royaume. <«< -Tu fais bien, mon enfant, reprit le Roi en se<< couant la tête; j'ai envie de faire comme toi.— << Faites donc, sire, dit-elle; au diable toutes ces querelles de prêtres! reprenez votre santé, et tout << ira bien. >> « Ce fut avec de pareils propos que la Chausseraie dérangea toute la machine. Le lendemain, dès quatre heures du matin, elle monta en chaise de poste, et se fit précéder à l'archevêché par un homme de confiance, un peu plus que son ami (1), et de qui je tiens ce détail. Elle rendit compte de tout au cardinal, lui recommanda de ne point sortir de Paris, où l'on craindroit de révolter le public par un acte de violence, repartit aussitôt pour Versailles, et rentra dans sa chambre avant que personne eût encore paru. Vers midi, elle trouva chez la duchesse la cabale fort consternée, et sut qu'après la prière le Roi avoit dit au père Tellier qu'il ne falloit plus penser au parti proposé; que le confesseur ayant voulu insister, le Roi avoit coupé court si sèchement et avec tant d'humeur, qu'il n'y avoit pas lieu d'y revenir sans s'expo (1) J'ai souvent entendu raconter ces mêmes faits à Duclos : il nommoit cet ami intime, qui est mort plus de quarante ans après, et que j'ai vu dans une des premières places du département des affaires étrangères, M. de Bus..... Mademoiselle Chausseraie a souvent dit au même homme les détails de l'empoisonnement de Madame, en 1671. (V.) |