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plan de gouverner par des conseils, sans nommer encore ceux qui devoient y entrer, et tenir ainsi chacun en respect, par l'espérance ou la crainte de s'en ouvrir ou de s'en fermer l'entrée; flatter le parlement d'y être admis, et prodiguer ces éloges qui persuadent si aisément la tourbe, mais d'un ton qui ne lui permet que l'approbation; faire lire ensuite le testament, pour en approuver les dispositions qui ne regarderoient pas la régence, et annuler le reste. Le duc du Maine, encouragé par le chancelier et le premier président ses amis, supposé qu'ils fussent demeurés tels après l'opération de Versailles, auroit peut-être entrepris de réclamer: le duc d'Orléans devoit lui imposer silence avec hauteur. On étoit sûr du lieutenant de police d'Argenson, qui, disposant de la populace, auroit fait recevoir le prince avec des acclamations sur le chemin, aux abords et dans les salles du Palais.

Reynolds, colonel des gardes suisses, étoit alors mécontent du duc du Maine; et le duc de Guiche, colonel des gardes françaises, qui se vendit six cent mille livres au duc d'Orléans pour le soutenir, en cas de besoin, le jour qu'il vint demander la régence au parlement, se seroit donné pour moins à un régent déjà reconnu par les pairs.

Le duc d'Orléans méditoit encore, dit-on, la réforme de quantité d'abus, l'abolition des survivances, le remboursement successif des brevets de retenue, et beaucoup d'autres réglemens que le public désire, et n'aura jamais. Il y a long-temps que de bons Français en sont réduits à souhaiter l'excès du mal, d'où sortira peut-être le remède. Je vois dans tous les temps

les mêmes sottises et les mêmes clameurs; je n'espère pas que la réformation nous soit réservée.

La reine de Pologne, d'Arquien, veuve de Jean Sobieski, vint se retirer à Blois. Elle avoit voulu autrefois se faire voir en France sa patrie, sous prétexte de prendre les eaux de Bourbon, et aller de là à la cour: mais elle rompit son voyage, sur ce qu'elle apprit que la Reine ne lui donneroit pas la main (1. Le dépit la rendit ennemie à la France: elle eut grande part à la ligue d'Ausbourg. Après la mort de Sobieski, elle alla à Rome, où, n'ayant pu obtenir le traitement qu'avoit eu Christine, reine héréditaire, elle en sortit, et vint se fixer à Blois en 1714.

Sa sœur, qui épousa le marquis de Béthune, étoit grand'mère de la maréchale de Belle-Ile.

(1) La Reine, mère de Louis XIV, donna la main à Marie de Gonzague, reine de Pologne, le jour de son mariage. (D.)

LIVRE SECOND.

AVANT de nous engager dans le récit des événemens du règne présent, rappelons quelques traits de la vie privée de Louis XIV, qui le feront mieux connoître que des portraits tracés par la passion pour ou contre lui. Sa taille, son port, sa beauté dans sa jeunesse, la noblesse de ses traits dans un âge plus avancé, ses grâces naturelles, la dignité de ses propos, la majesté de sa personne, l'auroient fait distinguer au milieu de toutes les cours. Tel fut l'extérieur de Louis XIV, dont j'ai vu les restes dans mon enfance. Voyons son intérieur. Ce prince avoit l'esprit droit, un jugement sain, un goût naturel pour le beau et pour le grand, le désir du vrai et du juste. Une éducation soignée pouvoit étendre son esprit par des connoissances: on ne pensa qu'à le resserrer; fortifier son jugement par l'usage des affaires : on ne chercha qu'à l'obscurcir, en l'écartant du travail; développer ou rectifier son caractère: on désiroit qu'il n'en eût point. Une mère aussi avide qu'incapable de gouverner, subjuguée par le cardinal Mazarin, s'appliquoit à perpétuer l'enfance de son fils, qui ne fut, jusqu'à vingt-trois ans, que la représentation de la royauté. Elevé dans la plus grossière ignorance, il n'acquit pas les qualités qui lui manquoient, et ne conserva pas tout ce qu'il avoit reçu de la nature.

A la mort du cardinal Mazarin, Louis annonça qu'il alloit gouverner par lui-même; et dès qu'il ne

fut plus ostensiblement asservi, il crut régner. En butte alors à tous les genres de séduction, il se laissa persuader qu'il étoit parfait, et dès ce moment il fut inutile de l'instruire. Il céda toujours aux impulsions de ses maîtresses, de ses ministres, ou de son confesseur. Il croyoit voir une obéissance servile à ses volontés, et ne voyoit pas que ses volontés lui étoient suggérées. Quelquefois les choses n'en allèrent pas plus mal. Par exemple, Colbert fait supprimer la charge de surintendant des finances; et le Roi croit les gouverner, parce qu'il se charge de toutes les signatures que faisoit Fouquet. Cependant Colbert s'empare heureusement de la véritable administration: il égale la recette à la dépense, forme une marine, étend le commerce, établit et multiplie peutêtre trop les manufactures, encourage les lettres, les sciences et les arts. Tout fleurit : c'est alors le siècle d'Auguste. Voici le contraste.

Louvois, d'un génie puissant, d'une ame féroce, jaloux des succès et du crédit de Colbert, excite la guerre, dont il a le département. Il persuade au Roi de s'emparer de la Franche-Comté et des Pays-Bas espagnols, au mépris des renonciations les plus solennelles. Cette guerre en amène successivement d'autres, que Louvois avoit le malheureux talent de perpétuer. Celle de 1688 dut sa naissance à un dépit de l'orgueilleux ministre. Le Roi faisoit bâtir Trianon Louvois, qui avoit succédé à Colbert dans la surintendance des bâtimens, suivoit le Roi, qui s'amusoit dans ces travaux. Ce prince s'aperçut qu'une fenêtre n'avoit pas autant d'ouverture que les autres, et le dit à Louvois : celui-ci n'en convint pas, et s'o

piniâtra contre le Roi, qui insistoit, et qui, fatigué de la dispute, fit mesurer les fenêtres. Il se trouva qu'il avoit raison; et comme il étoit déjà ému de la discussion, il traita durement Louvois devant tous les ouvriers. Aman (1), humilié, rentra chez lui la rage dans le cœur; et là, exhalant sa fureur devant ses familiers, tels que les deux Colbert, Villacerf et Saint-Pouange, Tilladet et Nogent: « Je suis perdu, « s'écria-t-il, si je ne donne de l'occupation à un << homme qui se transporte sur des misères. Il n'y a « que la guerre pour le tirer de ses bâtimens : et, par << Dieu, il en aura, puisqu'il en faut à lui ou à moi. >>

La ligue d'Ausbourg, qui se formoit, pouvoit être désunie par des mesures politiques. Louvois souffla le feu qu'il pouvoit éteindre; et l'Europe fut embrâsée, parce qu'une fenêtre étoit trop large ou trop étroite. Voilà les grands événemens par les petites causes. On doit distinguer deux hommes dans Louvois, ce fondateur du despotisme des secrétaires d'Etat. C'étoit sans doute un ministre supérieur pour conduire une guerre : ce qu'il fit pour faire réussir le siége de Gand est admiré par tous les militaires. Mais

si

on le considère comme citoyen, c'étoit un monstre : il eût immolé l'Etat à son ambition, à son humeur, au moindre élan de l'amour propre. Eh! que nous importent des talens dont on auroit pu nous épargner le malheureux emploi ! En lisant l'histoire, je ne rencontre point d'éloge ampoulé d'un prince ou d'un ministre, que je ne m'attende à quelque disgrâce pour l'Etat. Nous admirons quelques-unes de leurs

(1) C'est sous ce nom que Racine a désigné Louvois dans la tragédie d'Esther. (D.)

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