tourner à Paris; et sa mère céda enfin à ses instances. Avant de partir pour la capitale, il alla à Rennes, ой il séjourna pendant quelques mois, et y connut La Chalotais, alors avocat général au parlement de Bretagne. Leur goût pour la littérature commença entre eux une liaison qui devint par la suite très-intime. Arrivé à Paris, il se mit en pension chez un avocat au conseil, et reprit ses inscriptions en droit: mais les lettres et les plaisirs l'occupoient beaucoup plus que l'étude de la jurisprudence. : Ses amis le conduisirent au café Procope et au café Gradot il s'y trouva avec tous les gens de lettres qui avoient l'habitude de s'y réunir. Comme il aimoit l'argumentation, il n'hésitoit pas, malgré sa jeunesse, à prendre part aux discussions littéraires et philosophiques qui s'élevoient entre les hommes les plus distingués de cette époque. Leur réputation ne l'intimidoit pas: il luttoit contre eux sans désavantage, et se faisoit surtout remarquer par la vivacité de ses réparties. Il raconte dans ses Mémoires une scène qu'il eut avec Boindin, qui, comme on sait, faisoit assez publiquement profession d'athéisme. La discussion s'étoit engagée sur la question de savoir si l'ordre de l'univers pouvoit s'accorder aussi bien avec le polythéisme qu'avec un seul Etre suprême. Boindin prétendoit que tout pouvoit se concilier avec la pluralité des dieux, et s'épuisoit en sophismes pour établir son système. Duclos l'interrompt par un grand éclat de rire. Boindin, très-choqué, lui dit brusquement que rire n'étoit pas répondre. « Cela est vrai, repartit Duclos; mais je n'ai pu m'en empêcher, en vous voyant soutenir la pluralité des dieux. Cela << prouve le proverbe: Il n'est chère que de vilain. » Tous les auditeurs, Boindin lui-même, rirent de l'application du proverbe, et la discussion n'alla pas plus loin. Duclos n'avoit, pour vivre à Paris, qu'une pension fort modique que lui faisoit sa mère : cependant il refusa sans hésiter une place lucrative qui lui fut offerte. Il s'étoit dès-lors imposé la loi de n'accepter jamais d'autres grâces que celles qui étoient de son état, et qui pouvoient convenir à un homme de lettres (1). Suivant sa manière de voir, qu'il développa plus tard dans un de ses ouvrages (2): « Les lettres << ne donnent pas précisément un état ; mais elles en « tiennent lieu à ceux qui n'en ont pas d'autre, et «<leur procurent des distinctions que des gens qui <«<leur sont supérieurs n'obtiennent pas toujours. » Il eut par la suite, en sa qualité d'homme de lettres, des traitemens et des pensions qu'il ne sollicita point; et, dans aucune circonstance de sa vie, il ne s'écarta de la règle qu'il s'étoit prescrite. Collé, qui pensoit autrement, ayant eu besoin de son appui pour entrer dans les affaires, lui proposa de partager les bénéfices. Duclos le servit avec chaleur, lui fit obtenir ce qu'il désiroit, mais ne voulut jamais entendre parler de partage. C'est Collé lui-même qui rend hommage à son désintéressement. Ayant ainsi résolu de conserver toute son indépendance, et de cultiver les lettres selon son goût et ses idées, il se lia avec le comte de Caylus, Crébillon fils, Pont-de-Veyle, Collé, Moncrif, le comte de Tessin, l'abbé de Voisenon, et quelques autres jeunes (1) Mémoires de Collé. (2) Considérations sur les mœurs, chap. 11. libertins, également connus par leur esprit et par leur gaieté. Cette société publioit, sans nom d'auteurs, sous le titre d'Etrennes de la Saint-Jean, de Recueils de ces Messieurs, etc., des petits ouvrages en prose ou en vers, auxquels la licence des mœurs et le mauvais goût du temps donnoient une certaine vogue, et que d'Alembert a très-bien caractérisés, en disant que c'étoit une crapule plutôt qu'une débauche d'esprit. Duclos n'avoit pas encore d'autres titres littéraires, lorsqu'il fut nommé membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Des protections puissantes lui firent obtenir prématurément une distinction dont il sut plus tard se rendre digne, mais qu'il n'avoit point encore méritée. Il dit luimême qu'il n'a commencé à s'occuper formellement des lettres que rassasié de libertinage 1. Depuis plusieurs années il étoit admis dans la société des grands, et il y suivoit le système qu'il s'étoit fait, dès son enfance, à l'institution de l'ordre de Saint-Lazare. Loin de se montrer adulateur avec les hommes qui étoient placés au-dessus de lui dans l'ordre social, il affectoit de les dominer par la supériorité de son esprit. Il les amusoit, et s'en faisoit craindre par l'originalité de ses saillies, que son ton décisif et tranchant rendoit encore plus piquantes (2). (1) Portrait de Duclos, par lui-même.— (2) « Une précision tranchante, << dit La Harpe, des saillies vives et brusques, une tournure piquante et « originale, des phrases arrangées comme pour être retenues, en un « mot ce qui s'appelle du trait, voilà ce qui donnoit à Duclos, dans les « cercles et dans le monde. une physionomie particulière. » Duclos, qui a fait lui-même son portrait, s'exprime ainsi : « Dans la conversation, « j'ai un ton, un style à moi, qui, n'ayant rien de peiné ni d'affecté, « est à la fois singulier et naturel. » Sa franchise et sa brusquerie, qu'elles fussent affectées ou naturelles, contribuèrent beaucoup à sa fortune et à ses succès. « Dès qu'il fut un peu recherché, << dit un écrivain du temps, on le vit parler aux grands << avec une liberté (tranchons le mot, avec une au« dace) à laquelle ils n'étoient point accoutumés, et «< qui lui réussit : ils furent d'abord surpris, et pas«sèrent bientôt de l'étonnement à l'estime. » Il n'étoit pas moins brusque avec les femmes qu'avec les grands. Les Mémoires de madame d'Epinay donnent une idée du ton qu'il prenoit avec elles, de la crainte qu'il leur inspiroit, et de l'espèce d'assujétissement dans lequel il les tenoit. Malgré la frivolité de ses premières productions, les hommes qui étoient le plus en état d'en juger avoient une haute opinion de ses talens. Un jour, à la suite d'une longue conversation, Fontenelle l'engagea à composer quelques ouvrages. « Sur quoi? demanda Duclos. Sur ce que « vous venez de dire, repartit Fontenelle. » Duclos étoit surtout redoutable dans les discussions vives et animées qui faisoient un des divertissemens des cercles de cette époque. « Il brilla, dit Grimm, << dans un temps où l'esprit étoit devenu une espèce d'escrime on se prenoit corps à corps, en pré<«sence, dans un cercle dont les applaudissemens <«< étoient pour le plus fort (1. Ces espèces de tour (1) On savoit mauvais gré aux beaux esprits qui refusoient de s'engager dans ces disputes. « Quand M. de Fontenelle a dit son sentiment <«< ou ses raisons sur quelque chose, on a beau le contredire, il ne daigue « plus se défendre: il allègue, pour couvrir ce dédain, qu'il a une mauvaise poitrine. Belle raison pour étrangler une dispute qui intéresse tout une compagnie! » ( Mémoires de l'abbé Trublet. ) <«<nois ont cessé de mode; ce qui prouve que nous <«< avons plus d'esprit qu'il y a trente ou quarante «< ans.... Dans ces combats à outrance, dit-il ailleurs, «<le plus fort en gueule étoit le plus considéré, et << l'homme de lettres et le bel esprit contractoient le << ton et les habitudes des crocheteurs. C'étoit Du<«< clos, ajoute-t-il, qui avoit transporté ces mœurs grossières dans la société des honnêtes gens, et dans << la bonne compagnie. » Le témoignage de Grimm, avec lequel il étoit brouillé, pourroit paroître suspect; mais d'autres témoignages irrécusables prouvent qu'en effet Duclos mettoit beaucoup de véhémence et de rudesse dans les discussions. Beauzée, qui avoit été son ami, avoue qu'on lui a reproché de la vivacité, et même quelque chose de plus, dans la dispute. « Duclos, dit-il, aimoit la vérité; ses écrits le << prouvent: il vouloit le bien avec force; ses con<«< citoyens et ses confrères en sont garans. Si l'on << cherchoit à obscurcir la vérité, il ne tiroit pas le << voile, il le déchiroit; s'il rencontroit des obstacles au bien, il ne les détournoit pas, il les renversoit. << Ainsi les deux vertus les plus nobles qui puissent << honorer le coeur de l'homme s'armoient du feu <«< la nature avoit mis en lui. Eh! ce feu même, qui <<< donnoit à ses expressions ce je ne sais quoi de dur ་་ que qui paroissoit offensant, n'étoit-il pas aussi le prin cipe de ce zèle officieux si bien connu de l'Aca« démie, et dont le souvenir arrache des larmes à «< une ville entière, et à ses amis (1)? » Le comte de Forcalquier-Brancas, également ami de Duclos, dit que ce qui lui manquoit de politesse (Eloge de Duclos par Beauzée, qui le remplaça à l'Académie française. |