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priétaire, le maître de tous les biens du royaume. « Vous me soulagez beaucoup, dit le Roi; me voilà tranquille. Sur la décision du jésuite, l'édit fut publié.

«

Les secours que Louis xiv tiroit de ses sujets commencèrent à lui faire sentir qu'un roi est un homme qui a besoin de ses semblables. Le préambule de l'édit du dixième est d'un style moins despotique que les édits précédens. Ce prince, dans ses temps de prospérité, choqué qu'un magistrat eût dit le Roi et l'Etat, l'interrompit en disant : L'Etat, c'est moi. Cela doit être, quand le chef ne se sépare pas luimême du corps. Les lois font la sûreté des princes qui les respectent.

L'adversité parut changer un peu les idées de Louis XIV. Le prevôt des marchands, Bignon, étant venu, à la tête de la ville, haranguer le Roi pendant le siége de Lille, le Roi, touché du zèle de ses sujets, se servit du mot de reconnoissance; mais il ne put s'empêcher de laisser paroître l'altération que lui causoit un terme si nouveau de sa part. Ses égards s'étendoient alors jusque sur des particuliers dont il avoit besoin. Samuel Bernard ayant refusé des engagemens assez forts pour des fournitures d'argent, le contrôleur général Desmarets lui donna un rendezvous à Marly, où l'ayant présenté au Roi, ce prince fit à Bernard le plus grand accueil. La tête du financier fut enivrée de la réception, et il fit tout ce que voulut Desmarets.

Les revers que Louis xiv éprouvoit furent encore aggravés dans les conférences tenues à Gertruydemberg. Le prince Eugène et Marlborough y firent les

propositions les plus dures, sans néanmoins s'écarter, dans les expressions, du respect qu'ils devoient personnellement au Roi; au lieu que les Hollandais parlèrent en bourgeois insolens, qui abusent de leur fortune. Les conditions que les ennemis exigeoient prouvoient assez qu'ils ne vouloient absolument point de paix, et tendoient à l'invasion et au démembrement du royaume. Louis alloit jusqu'à offrir des subsides pour aider à détrôner son petit-fils Philippe v : ils prétendoient qu'il s'en chargeât seul. Tous les Français en furent indignés, et l'on fut forcé de continuer la guerre (1).

Il seroit assez difficile de juger quel eût été le sort de la France, si les intérêts n'eussent changé par la mort de l'empereur Joseph. Si les Anglais ne vouloient pas voir une branche de la maison de France sur le trône d'Espagne, ils craignoient autant la réunion de cette couronne à celle de l'Empire sur une tête de la maison d'Autriche, et commencèrent à écouter les propositions de la France. Marlborough devint suspect à la reine d'Angleterre; et la femme de ce général, commençant à déplaire par des tracasseries de cour, fut bientôt d'autant plus insupportable à la Reine, qu'elle en avoit été la favorite. Le commandement fut ôté à Marlborough, et donné au

(1) J'ai lu, dans un mémoire signé de la main du prince Eugène, le plan et les moyens détaillés et très-bien combinés du démembrement de la France. Tercier, mon confrère de l'Académie des belles-lettres, qui faisoit, pour le premier Dauphin, l'extrait des plus importantes négociations, me communiqua ce mémoire. Nous doutions de la signature; mais, après l'avoir confrontée à celles de plusieurs lettres du prince Eugène, nous n'avons pu la méconnoître. Comment ce mémoire nous est-il parvenu? Je l'ignore. Il doit être au dépôt. (D.)

duc d'Ormond. Dans ces circonstances, l'Impératrice douairière, mère de l'empereur Joseph, écrivit à Louis XIV, pour lui faire part de la mort de ce fils : elle ajoutoit que sa consolation étoit l'espérance de voir bientôt son second fils roi d'Espagne et des Indes, etc. On juge bien que la lettre fut renvoyée sans réponse.

L'intrépidité froide de Philippe v dans les combats lui avoit gagné le cœur des Espagnols. S'il n'avoit pas les talens d'un général, il avoit du moins la sagesse de ne pas décider des opérations militaires; mais, dans l'action à Luzara, il étoit au milieu du feu, examinant tout avec une curiosité tranquille, et s'en expliquant ensuite avec autant de discrétion que de discernement, nommant ceux dont il avoit distingué la valeur, et ne parlant qu'en général des foiblesses qu'il avoit remarquées.

L'armée de ce prince manquoit souvent des choses les plus nécessaires. Comment, au plus fort d'une guerre qu'on pouvoit nommer guerre civile, les finances d'Espagne n'eussent-elles pas été en désordre, puisque, dans les temps les plus tranquilles de la monarchie, l'Etat a souvent éprouvé des détresses? Depuis que les rois d'Espagne, devenus maîtres des mines du Mexique et du Pérou, ont sacrifié les richesses réelles aux richesses de fiction, les Espagnols ne sont plus, à cet égard, que les caissiers de l'Europe: ce qui a fait dire par Boccalini que l'Espagne est à l'Europe ce que la bouche est au corps: tout y passe, et rien n'y reste 1.

(1) J'ai lu, dans une lettre de l'évêque de Rennes, Vauréal, notre ambassadeur à Madrid en ..., que les conseillers d'Arragon n'étant pas payés

Philippe v éprouva que la plus grande ressource est l'amour de ses sujets. La nation espagnole, celle où l'honneur s'est le mieux conservé, jalouse du serment qu'elle avoit fait à Philippe, fit des actes héroïques pour l'y maintenir, et y parvint seule. Les Espagnols livrèrent leur argenterie pour le paiement des troupes; celle des églises y fut employée; l'honneur étouffa, chez un peuple dévot, des scrupules dont l'hypocrisie se seroit prévalue ailleurs. Les curés ne prêchoient que la fidélité au Roi : on déclara ennemi de l'Etat quiconque ne concourroit pas au salut commun. L'archiduc, au milieu de Madrid, ne put empêcher le peuple de crier: vive Philippe v 1)! Le marquis de Mancera, homme centenaire, vouloit suivre le Roi dans sa retraite; mais ce prince le lui défendit. L'archiduc essaya de se faire prêter serment par Mancera, qui répondit qu'il l'avoit prêté au Roi, et ne le trahiroit pas. L'archiduc respecta la vertu de ce vieillard, et le laissa tranquille (2).

La dernière classe des sujets ne montroit pas moins

de leurs gages, avoient prié le Roi de leur permettre de demander l'anmône. Je ne dois pas oublier à ce sujet qu'en 1701 il arriva par la flottille, pour le général des jésuites, une caisse de chocolat. La pesanteur ne répondant pas à l'étiquette, on l'ouvrit, et l'on y trouva des billes d'or recouvertes de chocolat. Le gouvernement en fit faire de la monnoie; et l'on envoya une vraie caisse de chocolat aux jésuites, qui n'osèrent réclamer autre chose. (D.)

(1) Un trait que sa singularité peut faire excuser dans des Mémoires, c'est que l'archiduc étant maître de Madrid, les courtisanes les plus perdues se répandirent parmi ses troupes, et en firent périr plus qu'une bataille. Pour ne pas rendre équivoque leur patriotisme, elles se vantoient de s'être refusées aux troupes du Roi. (D.) (2, Il mourut à cent sept ans, n'ayant vécu bien des années que de chocolat et de fruits glacés. (D.)

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de fidélité que les grands. La Reine, obligée de sortir de Madrid, confia toutes ses pierreries, et entre autres la fameuse perle la Perregrine, à un valet français nommé Vasu, qui les apporta en France.

Cette princesse, fille du duc de Savoie VictorAmédée, et sœur cadette de la duchesse de Bourgogne, étoit adorée des Espagnols, et sa mémoire y est encore en vénération. Long-temps depuis sa mort, le peuple voyant passer la seconde femme de Philippe v, continuoit de crier : viva la Savoyana! Supérieure à toutes les disgrâces, elle ne parut jamais touchée que des maux de ses sujets; aucun péril n'ébranla son courage. Si elle eût perdu la couronne d'Espagne, elle étoit déterminée à passer dans les Indes. Elle mourut le 14 février 1714, trop tôt pour le bonheur des peuples et l'exemple des rois.

Jamais l'archiduc ne dut mieux comprendre qu'il ne régneroit pas en Espagne, que lorsqu'il fut maître de la capitale. Si la force donne les trônes, ils ne s'affermissent que par l'amour des peuples. L'archiduc ne vit dans Madrid qu'éloignement pour lui, et attachement pour Philippe. Cependant la guerre continua encore quelque temps entre eux, depuis la pacification des autres puissances.

[1711] Pendant que Louis XIV éprouvoit toutes les disgrâces de la guerre, il eut à soutenir les plus grands malheurs domestiques. Il vit, en moins d'un an, s'éteindre trois générations : le Dauphin, son fils unique, meurt le 14 avril 1711; le duc de Bourgogne, devenu dauphin, meurt l'année suivante [1712], le 18 février, n'ayant survécu que six jours à sa femme, morte le 12; trois semaines après, le 8 mars, le duc de Bretagne,

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