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civile et de l'anarchie, madame Lanjuinais eut à loger un sous-officier du train d'artillerie, qui, plein de compassion pour ses souffrances, lui faisait remettre tous les jours sa ration de pain. Agissant avec une délicatesse au-dessus de son éducation, il ne passait à son logement que le tems nécessaire au sommeil, de peur de gêner les démarches de madame Lanjuinais, dont il paraissait avoir deviné le secret. Plusieurs fois aussi il obtint par ses réclamations, le renvoi de nouveaux garnisaires imposés à ses hôtes.

Ainsi s'écoulait le tems de la proscription. Pendant sa longue durée, Lanjuinais ne perdit jamais sa sérénité. Son sacrifice était fait d'avance; il ne lui eût rien coûté pour l'accomplir. Trouvant dans la religion d'abondantes consolations, il attendait avec patience la chute du gouvernement révolutionnaire qu'il avait prédite dans son discours du 2 juin.

Enfin, arriva le 9 thermidor, et comme il n'y avait dans la convention personne qui pût remplacer Robespierre, la liberté y reparut. La convention écouta les accusations dirigées contre ses proconsuls et eut horreur de leurs crimes; l'action de la guillotine se rallentit et les prisons commencèrent à s'ouvrir. Lanjuinais se mit à travailler dans sa retraite à faire rendre la liberté à son frère, à sa sœur, à sa mère et à sa fille, et n'y parvint qu'après plusieurs mois, par l'entremise du conventionnel Corbel, député du Morbihan, qui leva les difficultés

élevées par ses collègues B.... et Esnue-Lavallée.

Il espérait lui-même obtenir bientôt la permission de se montrer, et quittant son grenier, il venait souvent auprès de sa femme malade et alitée. Cette confiance pensa lui être funeste. Son frère était sorti de prison et on l'avait vu sur la place publique. Le représentant du peuple B.... ayant reçu avis (par malveillance ou par erreur) que Lanjuinais luimême était à Rennes, envoya de suite des soldats pour investir sa maison et l'arrêter. Il était dans la chambre de sa femme, et causait avec le frère de son collègue Defermon. On frappe à la porte; Julie Poirier va ouvrir; des gendarmes se présentent, et lui font des questions insidieuses pour lui faire avouer que son maître est dans la maison. Cette brave fille, s'aperçevant du danger, répond sans se troubler à toutes les interpellations, et se met à causer avec les gendarmes, espérant qu'ils s'en iront ou que sa longue absence éveillera l'inquiétude de ses maîtres. En effet, madame Lanjuinais ne voyant pas revenir Julie, fait cacher son mari dans son alcove. A ce moment les soldats entrent avec un officier à leur tête. Madame Lanjuinais remet avec le plus grand sang-froid les clefs des appartemens et des meubles, M. Defermon cause avec l'officier, et après d'inutiles recherches, l'escouade se retire déconcertée.

Malheureusement B.... fit faire les mêmes perquisitions chez la mère de Lanjuinais; elle en fut telle

ment effrayée qu'elle tomba malade, et mourut peu de tems après.

En brumaire an III (novembre 1794), Lanjuinais conçut l'espoir d'être rappelé dans la convention, où beaucoup de députés proscrits étaient déjà rentrés. Dans ce but, il adressa à la convention, par les mains de son collègue et ami Pénière, une pétition où il demandait des juges. Cet écrit ' n'était point une humble supplication, mais la plainte éloquente et fière de la vertu outragée. Voici comme il s'exprimait, après avoir répondu aux calomnies ridicules de ses oppresseurs.

« Ce ne sont là que les vains prétextes de la per>> sécution que j'endure. Mes véritables crimes, vous » m'avez vu les commettre au grand jour de votre >> assemblée, et vous y avez applaudi. C'est que ré>> publicain sincère, zélé patriote, esclave de mon » devoir, inflexible dans la voie de la justice, bien » sûr qu'on ne se propose pas de mener à la liberté >> par des embastillemens, à l'égalité par le pillage, » à la république par le despotisme et l'anarchie, » par la terreur et les massacres, j'ai quelquefois >> mis à nu devant vous les tyrans de mon pays; » c'est que j'ai poursuivi leur châtiment sous les >> yeux mêmes de leurs septembriseurs et des vils » stipendiés qu'ils envoyaient vous insulter, vous >> menacer dans les tribunes et à votre barre; c'est

Voy. tom. Ier, no xi.

» que je me suis opposé avec force, avec un entier » dévoûment, mais aussi avec candeur et sans nulle intrigue, à leur marche turbulente, vexatoire et >> usurpatrice...

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» Oui, dans la vérité, voilà ma trahison, ma re» bellion! Voudriez-vous m'en punir?

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>> Voilà pourquoi les scélérats m'ont diffamé au>> tant que le crime peut diffamer la vertu ; pourquoi >> ils ont envahi mon chétif patrimoine, ravi à ma » femme et à mes enfans le morceau de pain fruit » de mes travaux ; pourquoi ils ont emprisonné ma » mère infirme et septuagénaire, mon frère et ma » sœur, et ma fille âgée de trois ans ; pourquoi ils » ont mis à si haut prix ma capture; pourquoi le glaive de la mort est sans cesse suspendu sur ma » tête, et sur celle des généreux patriotes qui m'ont » accordé, au péril de leur vie, le seul asile qui » convînt à mes malheurs, un réduit obscur, insa» lubre, où, privé d'air extérieur et de tout exercice, » où, ségrégé du commerce des hommes, j'ai déjà >> contracté les infirmités de la vieillesse. Oh! si » j'étais le seul tourmenté de la sorte! mais que » d'innocens, , que de citoyens égarés, peut-être en » ce moment, n'ont eu de ressource que de se ca» cher de même pour n'être pas d'abord emprison>>nés comme suspects, ensuite arbitrairement noyés, » fusillés, sabrés, canonnés, guillotinés par les » émules, par les valets de Robespierre!

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Voilà comme parlait Lanjuinais; voilà comment

sa vertu opiniâtre demandait justice à une assemblée composée encore en majorité des complices de ses bourreaux, et cela dans un tems où sa tête n'avait pas cessé d'être à prix.

Pénière craignant d'appeler de nouveaux orages sur la tête de son ami, suspendit l'impression de son mémoire, dont il remit seulement une copie aux comités de gouvernement. Bientôt Lanjuinais envoya une seconde adresse à la convention', et le 18 frimaire de l'an III (8 décembre 1794) cette assemblée rendit, au rapport de Merlin, un décret qui rappelait à la vie civile, les députés mis hors la loi par suite de l'insurrection du 2 juin. Enfin, trois mois plus tard, ils furent réintégrés dans leurs fonctions de représentans du peuple.

Aussitôt que Lanjuinais eut recouvré ses droits de citoyen, il s'empressa de faire annuler son divorce 2. Après avoir mis ordre à ses affaires, il allait par

1 Voy. tom. Ier, no 12.

2 Voici le texte de cet acte: »..... furent présens Jean-Denis Lanjui»> nais, représentant du peuple, et Julie-Sainte Deschamps, lesquels, » d'un commun accord, nous ont déclaré que le 12 juin 1787 ils s'unirent » solennellement par les liens du mariage; que leur union fut toujours, » et pendant leur vie ne cessera pas d'être indissoluble, d'après le vœu de » leur cœur et la voix de leur conscience; mais que le représentant Lan» juinais, fidèle à son mandat, ayant combattu avec zèle et dévoûment » dans la lutte de la liberté contre la tyrannie de Robespierre et de ses >> complices, fut une des premières victimes de leurs révoltes et de leurs » attentats des 31 mai, 1er et 2 juin 1793; qu'il fut proscrit par eux au » nom de la convention, et dévoué au massacre par décret des 28 juillet » et 3 octobre de ladite année; que dans ces circonstances ledit Lanjui

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