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vantait de l'avenir qui le menaçait; il cherchait vainement les moyens d'échapper au remords que lui faisait déjà ressentir l'action qu'il venait de commettre, et dont il n'apercevait toute l'énormité que depuis un instant. Il se voyait comme repoussé d'une société qui considérait comme un crime les résultats d'un sentiment impérieusement commandé par la nature. Mais, au moment même où se préparait une contre-révolution qui paraissait devoir rétablir à leurs places les classes confondues de cette société, quel espoir lui restait-il de concilier jamais son honneur et son devoir? Car il ne lui vint pas un seul instant dans la pensée d'abandonner Aglaé après lui avoir ravi le seul bien qu'elle possédât. Epuisant ainsi dans de vaines recherches son esprit tourmenté, il se résolut à attendre du temps et des événements le moyen de sortir de la situation pénible dans laquelle il se

trouvait.

En se dirigeant, morne et pensif, vers le château, où le signal du déjeuner le rappelait, un feu brûlant monta à son visage et remplaça son extrême pâleur, quand il eut aperçu Aglaé, aussi vive et gaie que de coutume, et plus belle encore peutêtre, qui paraissait plaisanter, selon son usage, avec le comte.

CHAPITRE XII.

O chers amys! J'en ai vu martyrer
Tant que pitié m'en mettoit en émoy.
Parquoy vous pry de pleindre avecques moy
Les innocents, qui en telz lieux damnables
Tiennent souvent la place des coulpables.
CLEMENT MAROT.

'état violent dans lequel se trouvait Eugène depuis la confidence tardive de son oncle n'avait point échappé à la perspicacité de celui-ci, qui se reprochait vivement de n'avoir pas placé Aglaé dans une maison d'éducation de Bordeaux ou de Toulouse, ainsi qu'il en avait eu plusieurs fois le projet. Les graves intérêts dont il était sans cesse occupé, l'amitié qu'il portait à sa pupille et le regret de s'en séparer; plus que tout cela, peut-être, l'ignorance dans laquelle il avait vécu de toute la force d'un sentiment qu'il n'avart point éprouvé et qu'il avait toujours pris pour but de ses railleries, toutes ces causes n'avaient pas permis qu'il mît à exécution un aussi sage projet. Ce pendant il était loin de penser que les choses fussent aussi avancées qu'elle l'étaient; il ne voyait dans la tristesse de son neveu que le résultat d'une

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amourette, dont la première distraction triompherait facilement. Mais le ton sérieux que prenait Eugène pour repousser les plaisanteries de son oncle, la préoccupation continuelle de son esprit, l'espèce d'affectation avec laquelle Eugène rappelait qu'il était maître de ses actions, firent craindre à son oncle que le sentiment qu'il éprouvait pour Aglaé ne fût plus profond qu'il ne l'avait cru d'abord. Quant à Aglaé, elle ne cherchait nullement à dissimuler le sien, et elle continuait, même en présence du comte, à traiter Eugène avec une sorte de familiarité amicale, dans laquelle d'Albret ne voyait que de l'enfantillage. Eugène avait entièrement changé de conduite envers elle, ce que le comte attribuait à la confidence qu'il lui avait faite; les manières d'Eugène étaient plus réservées, plus graves, quoique indiquant en même temps une affection plus tendre et presque protectrice. Le comte connaissait le caractère obstiné quoique faible de son neveu; il craignit que son ignorance des usages de la société, et même des lois qui la gouvernent, ne lui laissât des espérances qu'il était important de détruire. Il ne quittait plus ses jeunes élèves qu'aux heures pendant lesquelles ils étaient ordinairement séparés, et il cherchait continuellement à les distraire quand ils étaient réunis par la conversation, que personne plus que lui n'avait l'art de varier, soit par des leçons indirectement données à leur inexpérience, soit en leur racontant les faits intéressants dont il avait été le témoin ou l'un des acteurs.

Un soir, après avoir amené à dessein le sujet des unions mal assorties, il applaudit à la pré

put

voyante sagesse du législateur, qui s'était opposé à ce que le mariage pût se contracter avant l'âge de raison. Eugène savait vaguement qu'il ne lui était pas permis de disposer de ses biens pendant sa minorité sans l'assentiment de ses tuteurs, mais il ne savait pas que leur surveillance s'étendît jusque sur sa conduite personnelle. Il demanda à ce sujet des explications à son oncle, que celui-ci ne lui donner que d'une manière imparfaite, la connaissance des lois ne lui étant pas familière. Il se rejeta sur la multitude de lois, de décrets rendus pendant la révolution, qui avait fait de l'étude du droit à cette époque un dédale inextricable. Eugène, surpris de trouver le comte en défaut, ne put s'empêcher de déplorer le malheur des temps pendant lesquels les citoyens vivaient dans l'ignorance des lois mêmes qui devaient régler leur conduite sociale. Il demanda à son oncle s'il n'existait pas des écoles publiques où l'on pût s'instruire dans la connaissance de ces lois, saisissant avec empressement l'espoir de trouver un but à des études nouvelles et utiles, et manifestant le désir de s'y livrer. Il en existait autrefois, lui dit le comte, mais elles ont, je crois, été détruites ainsi que tous les établissements de ce genre. Je ne pourrais, d'ailleurs, vous dire jusqu'à quel point leur suppression peut être regrettable; je ne les ai jamais fréquentées, mais je suis forcé d'avouer que notre législation, mélange incohérent du droit romain et de vieilles coutumes particulières à chaque province, m'a toujours paru incertaine et barbare. Je n'oublierai jamais que, pendant l'émigration, et me trouvant avec plusieurs membres dis

dans

tingués de divers parlements, il m'arriva, le désir bien naturel de m'éclairer, de leur adresser quelques questions sur l'institution et les droits des parlements. Ma demande innocente faillit à élever une querelle entre ces graves personnages, par la réponse que chacun d'eux me fit seIon ses prétentions, en choquant les opinions ou les intérêts de tous les autres; ils s'attribuaient tous des droits et des prérogatives divers, d'où je tirai la déplorable conclusion que nous avions été jugés ou ruinés pendant un nombre de siècles par l'usage établi dans un temps de barbarie, quand ce n'était par le caprice ou l'arbitraire, car ce qui eût fait gagner une cause à Toulouse l'aurait pu faire perdre à Rouen ou à Rennes. Je puis, d'ailleurs, vous faire apprécier cette vieille jurisprudence par un fait que je veux vous raconter.

Vers le milieu de ce siècle, je traversais le Rouergue en me rendant en poste des Cévennes, où j'avais des propriétés, à Paris. J'attendais des chevaux dans un gros bourg à quelques lieues de Rhodez. C'était le jour de la fête patronale du lieu, et je cherchais à oublier la contrariété que j'éprouvais en regardant les jeux et les danses des paysans. Tout à coup la foule se porta devant un triste cabaret, dans l'intérieur duquel on entendait un grand tumulte. J'en vis bientôt sortir deux hommes âgés, dont la plus vive colère décomposait les traits grossiers. A peine furent-ils hors de la porte refermée sur eux avec violence par le maître du cabaret et quelques buveurs, qui paraissaient les en avoir chassés, que la foule s'élargit en cercle, et après quelques paroles mal articulées

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