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moins un homme à quarante ans qu'à vingt, parce que le premier aura mieux caché la douleur qu'il lui cause? Eh bien, le comte reconnaîtra avant peu qu'un faible enfant sait encore choisir et prendre le seul parti qui puisse le conduire au bonheur, que toute la raison des sages n'aurait pu lui

faire recouvrer.

Satisfait de cette détermination, qui lui offrait un port dans la tempête dont il était menacé, Eugène attendit sans impatience le moment d'aller rejoindre son oncle; et il n'occupa plus sa pensée que des moyens de surmonter les obstacles qu'il prévoyait devoir s'opposer à l'exécution de son projet. Sans peut-être l'approfondir entièrement, il s'applaudissait au moins de la preuve incontestable qu'il donnerait de son amour à Aglaé en faisant la proposition qu'il méditait.

lui

Le comte d'Albret fut exact au rendez-vous qu'il avait donné à son neveu. Ils remontèrent ensemble la Neste, en suivant un chemin qui borde le pied des montagnes, et en se dirigeant sur Bertrand de Comminge. Le comte était sérieux et marchait en silence de toute la rapidité de son cheval; il avait pris la barette, la veste courte, les chausses larges, et tout le costume d'un petit commerçant béarnais. Eugène se hasarda à lui demander la cause de ce travestissement. Nos affaires vont mal, lui répondit-il, et je crains d'être reconnu et de vous compromettre; les plus distingués de nos législateurs et le directeur Barthelemy s'embarquent à Rochefort et sont déportés à Cayenne. Le prince de Conti, les duchesses d'Orléans et de Bourbon vont entrer en Es

pagne, chassées de France. Une commission militaire est établie à Paris pour juger les émigrés. Vous comprenez ce que veut dire juger en langage révolutionnaire. Je dois, mon cher Eugène, me séparer encore une fois de vous. Vous allez retourner dans vos foyers, car votre qualité de gentilhomme est déjà un titre suffisant de proscription sous le régime qui nous menace, sans y joindre celui d'émigré. Point de réflexions, ajouta-t-il, en voyant qu'Eugène allait l'interrompre; tous mes arrangements sont pris en conséquence: vous m'accompagnerez jusqu'à Viella, dans la vallée d'Aran; demain vous rentrerez en France par quelque passage peu fréquenté, et je vous chargerai de mon message.

Ce plan était trop favorable aux nouveaux projets d'Eugène pour qu'il tentât de le combattre; il savait d'ailleurs que les résolutions de son oncle étaient inébranlables. L'espoir de revoir prochainement Aglaé et de lui faire adopter son nouveau projet lui inspirait une joie qu'il sut cependant cacher avec plus d'adresse que sa douleur.

Mais le comte sentait trop vivement l'imprudence qu'il avait déjà commise, pour exposer ses deux élèves à un danger devenu plus grand encore par l'impossibilité où il se trouvait de les surveiller; et pendant la nuit qu'il avait passée à Bagnè res, il avait écrit à l'un de ses amis qu'il avait à Tarbes, père de jeunes enfants, de prendre Aglaé dans sa famille pour quelque temps, jusqu'à ce qu'il trouvât l'occasion, soit de la placer dans une maison sûre, soit de la faire venir en Espagne auprès de lui. Le comte avait écrit en même

temps à Aglaé pour la prévenir de cette détermination, et à Germain, en recommandant à celuici de remettre Aglaé entre les mains de la personne qu'il lui nommait et qui viendrait la réclamer.

Cet arrangement lui permettait de renvoyer promptement Eugène en France, en le chargeant de diverses missions qui, en donnant à Aglaé le temps de quitter Betharram, avaient encore l'avantage de montrer son neveu dans divers endroits, et de motiver son absence du château par une de ces excursions auxquelles il avait accoutumé les habitants de ces contrées. Le comte, sans donner à Eugène connaissance de ses projets, continua ainsi sa route jusqu'à Sierpe, où débouche la vallée d'Aran. Nos voyageurs y entrèrent sans difficulté par le pont du Roi, et, en remontant la Garonne, ils s'arrêtèrent à Viella, capitale de la vallée et but de leur voyage.

CHAPITRE XVII.

La plaine heureusement fertile,
Bien qu'elle soit veuve de fleurs,
Vaut mieux que le champ inutile
Emaillé de mille couleurs.

DU BELLAY.

près les premiers moments de l'arrivée à Viella donnés à satisfaire la curiosité des hôtes de nos fugitifs amis du comte, celui-ci se retira dans sa chambre avec Eugène. Apprêtezvous, lui dit-il, à partir demain au lever du soleil; un guide sûr vous conduira à un passage nouveau. Il faut éviter le pont du Roi, qui doit être surveillé. Je vous donnerai la liste des personnes qu'il vous faudra voir. Vous vous bornerez à leur donner rendez-vous à la chapelle de Héas lors de la prochaine solennité. Ils seront plus tard instruits des causes de cette convocation par des agents de ce pays, adroits contrebandiers, et que je chargerai partiellement de billets que le temps ne me permet point d'écrire en ce moment, et qui, d'ailleurs, pourraient attirer quelques dangers sur votre tête, si, par un malheureux hasard, par une

fâcheuse rencontre, ils étaient trouvés sur vous. Adieu, mon cher neveu! Allez prendre du repos, vous en aurez besoin; demain votre route sera longue et fatigante, parce qu'il faut la faire à pied. Vous retrouverez vos chevaux à Aran, où je les enverrai. Nous nous reverrons dans un temps plus heureux. En disant ces paroles, il tenait une des mains d'Eugène fortement serrée entre les siennes; ses regards fixés sur ceux de son neveu y virent briller quelques larmes; il se sentit ému lui-même, lui ouvrit les bras et le pressa sur sa poitrine. Point de faiblesse, dit-il; ne nous attendrissons pas inutilement, et, s'il est vrai qu'un oncle qui vous aime vous a inspiré quelque attachemsnt pendant le peu de temps qu'il a passé auprès de vous, accordez-lui une dernière grâce. Une grâce! s'écria Eugène. Promettez-moi, continua le comte, de ne pas retourner à Betharram et de ne point voir Aglaé d'ici à huit jours. Eugène, trop touché en ce moment pour rien refuser à son oncle, lui promit de se conformer à ses désirs, et le quitta.

Le comte avait exigé cette promesse d'Eugène pour donner le temps, et bien au delà, à son ami de Tarbes d'aller chercher Aglaé; mais cet acte de soumission arraché à l'attendrissement d'Eugène causa à celui-ci de vives inquiétudes. Il ne douta pas un instant que son oncle n'eût le projet de le séparer d'Aglaé, car s'il en était autrement il importait peu qu'il la vît quelques jours plus tôt ou plus tard. Il résolut d'écrire à Germain, dès son entrée en France, pour prendre des informations à cet égard, mais d'être fidèle à la parole qu'il

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