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son maître, et à qui une triste expérience avait appris que les éclats les plus bruyants de la douleur sont moins à craindre que ce morne abattement, se mit à raconter méthodiquement les détails fictifs de la maladie violente qui avait conduit en peu d'instants Aglaé au tombeau. Il en cacha la cause véritable à son maître, et ne lui parla pas du voyage à Héas; il ne dit enfin la vérité qu'en parlant de la lettre qu'il avait remise à Aglae, et qu'il rendit à son maître, en rapportant les dernières paroles de cette infortunée, par lesquelles elle disait qu'elle mourait contente. Il s'appesantit avec détail sur ces circonstances. Le résultat de son récit fut tel qu'il le désirait: Eugène, loin encore de soupçonner qu'il était la cause innocente de la mort d'Aglaé, fondit en larmes et exhala sa douleur en gémissements. Le bon vieillard, qui partageait réellement la douleur de son élève chéri, l'entretint encore, en vantant les aimables qualités de la chère demoiselle, sa douceur, ses talents et sa beauté. Il donnait à Eugène les détails les plus minutieux de la conduite d'Aglaé pendant sa solitude, de ses travaux, des regrets qu'elle exprimait à chaque instant de l'absence d'Eugène, du chagrin qu'elle avait éprouvé en apprenant que le comte voulait lui faire quitter le château. C'est ainsi que ce fidèle serviteur sut tromper la douleur de son maître en l'occupant sans cesse de l'objet qui la causait.

Ainsi se passèrent le jour et le lendemain de l'arrivée d'Eugène au château. Pendant ces premiers moments, Eugène n'avait point encore acquis la conscience de son malheur, et cette sépa

ration, qui devait être éternelle, n'était pour lui que comme la prolongation de son absence. Mais, quand les jours se succédèrent sans lui ramener celle qu'il chérissait; quand la réalité de sa perte lui fut, pour ainsi dire, confirmée par chaque instant qui s'écoulait, alors son désespoir fut extrême. Il parcourait, dans une espèce de délire, tous les lieux du parc qui lui rappelaient les instants passés auprès d'Aglaé; ses conversations, ses gestes, revenaient à sa mémoire et lui arrachaient des larmes. Ces beaux lieux, dépouillés et flétris par l'automne, en se conformant à sa tristesse, semblaient partager sa douleur; le soleil, chargé de brouillards, en se cachant derrière des nuages noirs et amoncelés, paraissait lui-même dédaigner sa pompe accoutumée, depuis que les beaux yeux qui l'admiraient naguères étaient fermés pour toujours. Les fleurs délicates et fragiles qu'Aglaé se plaisait à cultiver brillaient seules encore de quelque éclat, tandis que le sien, moins durable, était déjà effacé. Ainsi, l'aspect de tous ces objets, soit qu'ils fussent changés, soit qu'ils fussent restés immuables, semblait ajouter encore au chagrin du malheureux Eugène.

Il trouvait cependant un charme cruel à revoir cette pelouse sauvage, couverte de vieux châtaigniers, où il surprit Aglaé chantant cette romance qui l'avait éclairé la première fois sur les sentiments de son amie. Là, rien ne faisait diversion à sa peine profonde, et il aimait à y soulager son cœur du poids de ses larmes. Hélas! s'écriait-il en liberté, ces bouquets touffus, ces frais ruisseaux, ces collines, qui ont vu tant de

fois Aglaé, ne la verront plus. Elle ne viendra plus repaître ses regards de leurs charmes simples et naturels. Ses yeux sont fermés à leurs beautés. Et, remarquant qu'en cet endroit les gazons étaient entremêlés de la fleur tendre et amoureuse du colchique d'automne : Ces prés sont fleuris, se disait-il, ces bois sont plus verts, ces ruisseaux murmurent encore; ah! ce sont ses derniers pas qui ont foulé ces lieux, ses derniers regards qui les ont embellis! Et, continuant ses plaintes: C'est donc en vain que je cherche ses traces dans ces lieux que tant de fois nous avons parcourus ensemble! Elle n'est plus sur le tertre où nous allions admirer les derniers feux du jour, ni sur le bord de la fontaine, ni sous l'ombre de ces bosquets; elle n'est plus dans la vaste étendue de la plaine, où mon œil ne peut plus rien apercevoir d'elle.... que peut-être la tombe ignorée où elle repose! Et vous, écho du vallon qui vous plaisiez à répéter les accents brillants de sa voix, vous ne répéterez plus que mes gémissements. Pleurez, muses de ces bois, puisque votre divin savoir n'a pu prolonger les jours de celle à qui vous aviez prodigué vos trésors, puisque vous n'avez pas su conserver en elle ce feu sacré qui

vous anime.

Les tristes journées d'Eugène s'écoulaient en accumulant ainsi avec une satisfaction cruelle tous les souvenirs qui pouvaient accroître les regrets; il relisait la lettre qu'il avait écrite à Aglaé, et que Germain lui avait rendue, en pensant qu'elle avait encore fixé ses yeux au moment ou ils se fermaient du sommeil éternel; il recherchait les derniers

morceaux de musique qu'elle avait chantés, ses derniers dessins, imaginant y trouver un rapport avec les dernières pensées de son amie; il s'applaudissait de lui avoir enfin donné par sa lettre une preuve d'amour qu'elle avait emportée au tombeau, et cette seule idée avait le pouvoir d'alléger sa douleur.

Les soirées, déjà longues, lui devenaient encore plus pénibles que les jours. Ses livres, qu'il avait lus tant de fois avec Aglaé, ne lui parlaient que d'elle. Le silence des nuits ajoutait l'effroi à sa douleur; des songes affreux le tourmentaient dans son sommeil. Enfin, il ne put supporter plus long-temps cet état d'oisiveté et de peine; il résolut de quitter le château. Il écrivit à ses tuteurs pour demander qu'on l'émancipât, ce qu'il obtint facilement de leur paresse indifférente, et il ne s'occupait plus qu'à rassembler quelquc argent pour aller rejoindre son oncle, lorsqu'il en reçut une lettre. Le comte ignorait encore la mort de sa pupille; il écrivait à son neveu qu'il quittait la vallée d'Aran pour se rendre dans l'intérieur de l'Espagne, d'où il lui ferait connaître le lieu de sa résidence. Cette nouvelle contraria vivement les projets d'Eugène, qui, dans son incertitude, voulut encore, selon son usage, aller demander des conseils et des consolations au curé de ValSurguères.

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CHAPITRE XXI.

Adieu forêts désolées,
Adieu monts, adieu vallées,
Adieu! Je vous vais quittant.
Puis-je plus rester en vie
Puisque l'on me l'a ravie
La Nymphe que j'aimois tant?
GILLES DURAND.

ugène, après avoir pris connaissance de ses affaires, les mit en ordre et chargea de sa procuration Germain l'Escoubat, pour affermer ses terres et en toucher les revenus. Comme le séjour de son château ne lui offrait plus qu'une solitude pénible, il se proposa d'attendre au val Surgueres que le comte d'Albret lui eût fait connaître sa résidence en Espagne pour l'y aller retrouver. A cet effet, et pour éviter de retourner à Betharram, il se munit d'une somme en or assez considérable, et partit un matin monté sur la Blonde, son cheval chéri, pour se rendre au presbytère, après avoir prévenu Germain d'y envoyer les lettres qui lui seraient adressées.

En-traversant le village de Saint-Pé, il y

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