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Eh quoi! s'écria Eugène; la gloire militaire est-elle donc si méprisable que celle des lettres soit au-dessus? Et la renommée d'Alexandre estelle au-dessous de celle d'Homère? - Je ne dis point cela, répliqua le comte. Tous les hommes ne sont pas placés par la fortune de manière à devenir un Alexandre, tous le sont à devenir un Homère; et cependant l'on compte moins de poètes comme Homère que de conquérants comme Alexandre. Les événements qui ont eu lieu depuis huit ans ont vu naître en France une multitude de capitaines justement renommés, dont l'expérience hasardeuse a déconcerté les connaissances stratégiques des plus habiles tacticiens de l'Europe. Le Ciel à peine fait éclore un poète dans un siècle sur la surface de la terre. Le hasard peut favoriser le guerrier; le poète n'a pour lui que són génie. De deux généraux qui se combattent, le vainqueur devient nécessairement un héros; s'il est vaincu plus tard, les armes, diton, sont journalières, et sa gloire lui reste. De la lutte qui s'engagerait entre deux auteurs, résultat pourrait bien être de ne montrer en eux. que deux sots; mais en admettant qu'il y eût un vainqueur, il ne serait jugé que par comparaison avec le vaincu : car s'il succombait sous un autre adversaire plus habile, il n'y aurait plus pour lui aucune excuse dans la fatalité; le génie n'est pas journalier.

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Je vous conseille donc de renoncer, pour le moment, à vos dessins de fortune et d'ambition. Vous êtes jeune encore cultivez votre esprit dans le silence; étudiez. Un jour viendra ŝans

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doute, et peut-être n'est-il pas loin, où vous pourrez employer vos talents plus glorieusement pour votre pays et plus utilement pour vous. On ne peut se dissimuler le de stabilité du gouvernement sous lequel nous vivons, mon cher Eugène; votre grande jeunesse, la légèreté ordinaire à votre âge, ne m'ont pas permis jusqu'à présent de vous initier dans des secrets d'une haute importance; qu'il vous suffise de savoir. que les amis de la monarchie n'ont point encore perdu l'espoir de voir les Bourbons remonter sur le trône de leurs ancêtres : des officiers généraux, des hommes qui sont à la tête des affaires, concourent à ce but. Vous concevez qu'il serait peu raisonnable, dans de semblables circonstances, d'agir imprudemment et d'une manière qui pourrait être contraire à vos propres intérêts. Je vous le répète exercez votre esprit jusqu'au jour où vous pourrez l'employer d'une manière digne de vous. Je n'ai pas besoin de vous éclairer sur l'importance du secret que je viens de vous confier et d'où dépend le sort de votre parent et de votre patrie.

Eugène allait exprimer à son oncle l'étonnement que ces espérances inattendues lui faisaient éprouver; mais Aglaé vint en ce moment interrompre leur conversation, et ils rentrèrent tous trois au château. Eugène admirait la liberté d'esprit du comte, qui, occupé d'intérêts aussi graves, n'avait jamais paru se livrer qu'à des études littéraires, avec assez de légèreté encore pour se mêler souvent aux jeux presque enfantins de ses jeunes élèves.

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CHAPITRE V.

Puisses-tu connaître le prix
Des paroles que te débite
Un courtisan à cheveux gris
Que la raison a fait ermite.
MAYNARD.

éjà les premières chaleurs du printemps, rapprochant chaque jour la neige du sommet le plus élevé des montagnes, en découvraient de nouvelles parties qui, semblables d'abord à des taches obscures s'élargissant insensiblement, ne laissaient plus subsister entre de vastes espaces que de légères lignes blanches, qui dessinaient les ravins creusés par les eaux sur les flancs des rochers. La végétation la plus brillante couvrait déjà les pentes inférieures des montagnes, et les vertes collines de Jurançon qui les précèdent, et la belle vallée de Pau où le Gave dessine ses méandres élégants à travers de nombreuses prairies, et sa riche plaine où les céréales, les fruits et la vigne croissent dans le même champ.

Le renouvellement de la nature étendait partout son influence; le feu régénérateur pénétrait

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parc,

toutes les productions de sa féconde activité. L'incarnat éclatait sur le teint animé d'Aglaé, ses yeux brillaient d'une flamme plus vive, ses lèvres se coloraient d'une humide chaleur, des soupirs entrecoupés gonflaient son sein plus agité. Eugène, témoin assidu et non indifférent des charmes qui chaque jour se développaient davantage dans sa jeune condisciple, sentait à son aspect un mouvement tumultueux se glisser dans ses veines. Le calme qu'il avait goûté jusqu'alors dans la solitude en se livrant à ses travaux, était maintenant troublé par des désirs qui le rendaient incapable de s'adonner à l'étude, et sa raison chancelante était prête à l'abandonner. S'il se livrait sans son oncle à la promenade dans le il y trouvait toujours Aglaé, soit que le hasard les rassemblât, soit qu'Eugène lui-même la recherchât par une sorte d'attraction involontaire. Alors les heures s'écoulaient avec une incroyable vitesse dans des entretiens pleins de charmes, mais dont la futilité le désolait dès qu'il voulait se les rappeler. Aglaé, élevée à Paris, jouissait pour la première fois, et avec une sorte d'ivresse, de la pureté du ciel et de la beauté champêtre de sa nouvelle demeure; son imagination ardente et romanesque élevait dans les environs du château une simple chaumière où elle eût désiré passer ses jours. Ce projet, embelli par Eugène de l'absence de tout ce que sa situation actuelle lui offrait de redoutable, excitait ses transports; il enchérissait sur les idées de simplicité et de solitude d'Aglaé: il se créait ainsi une existence arcadienne, et ce texte favori de leurs discours

devenait pour eux d'une inépuisable fécondité.

Cependant, durant le silence des nuits et pendant les promenades solitaires qu'Eugène faisait quelquefois hors du parc, l'avenir se présentait sous un aspect terrible à son esprit. Son caractère irrésolu et défiant ne lui eût jamais permis de se livrer avec la sécurité de l'imprévoyante jeunesse à un sentiment aussi violent que celui qu'il éprouvait déjà; mais depuis son voyage au val Surguères, ses craintes étaient encore augmentées par le souvenir qu'il avait conservé de Meri, souvenir plein de douceur et de calme, mais comme aiguisé par une sorte de curiosité naturelle à l'homme, qui le porte à rechercher avec ardeur ce qu'il ne peut connaître. Eugène croyait enfin Meri seule digne d'occuper toutes les facultés de son âme, tandis qu'il ne se dissimulait pas que la beauté d'Aglaé n'avait d'action que sur ses sens; et pour combattre cette dernière séduction il avait reconnu toute l'insuffisance de sa volonté. Une sorte d'effroi venait souvent le glacer au milieu de ses jeux et de ses entretiens avec Aglaé, dont il excusait alors la colère. Se sentant de jour en jour plus faible, la nécessité de fuir promptement renouvela avec une force presque invincible le désir qu'il avait déjà manifesté à son oncle de quitter le château. Puisque les événements, lui dit-il, ne me permettent pas de rester dans mon pays en lui étant utile, laissez-moi partir, laissez-moi quitter la France, aller à la cour; quand tout le monde la fuit, l'abandonne, peutêtre est-ce le moment de parvenir sans se faire

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