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dait à la lecture; tantôt Eugène accompagnait Aglaé; plus souvent il écoutait sa voix harmonieuse et légère exécutant avec flexibilité les plus beaux airs de Cimarosa et de Paësiello. L'âme ouverte ainsi à tous les sentiments de volupté, ils allaient voir, du lieu le plus élevé du parc, le soleil disparaître sur les riches plaines du Bigorre, à travers les bandes légères de nuages pourprés qui l'accompagnent à son coucher, ou vapeur brillante qui semble unir la terre à la voûte des cieux; tandis qu'à leur côté le sommet neigeux des plus hautes montagnes restait encore coloré d'une teinte rose, produite par les derniers rayons du soleil, dont leurs bases étaient déjà privées. Et alors Eugène comparait l'éclat de ces sommets au souvenir d'un mortel qui n'est plus, souvenir qui s'affaiblit insensiblement et finit par s'effacer comme ces neiges se confondent dans la nuit avec la teinte uniforme du ciel.

Ainsi, le malheureux Eugène savourait lentement le poison qui le dévorait. Un tumulte inconnu s'était glissé jusque dans ses veines; ses forces l'abandonnaient; ses résolutions devenaient vaines, il soupirait languissamment. Ses occupations les plus chères, ses distractions les plus vives, ne lui causaient plus qu'ennui et que dégoût. Au milieu du monde il était seul et distrait; il cherchait la solitude, et la solitude semblait ajouter à son mal. Le jour le fatiguait; il désirait la nuit, qui ne lui apportait point le sommeil. Alors il sortait et parcourait au hasard les allées du parc, à la lueur incertaine et tremblante de la lune. Il recherchait les lieux où il avait reposé pendant

le jour avec Aglaé, et surtout le bois sauvage où il l'avait entendue chanter cette romance qui l'avait éclairé la première fois sur son amour. La fraîcheur de la nuit apportait du soulagement à sa poitrine brûlante; il attendait enfin les premiers rayons de l'aurore. Il rentrait alors, honteux et pâle de sa veille prolongée, et cherchait quelques instants de repos, que des songes pénibles venaient encore lui ravir.

Aglaé, atteinte de la même passion, en était cependant moins tourmentée. Elle se livrait sans remords et même sans crainte à un amour dont elle n'éprouvait que les charmes. Un sentiment inconnu de bonheur avait remplacé sa vive gaîté; une égale douceur succédait à la fougue quelquefois capricieuse de son caractère. Sa brillante beauté était encore accrue; son regard, plein d'une tendre langueur, se dirigeait sur Eugène à travers ses longs cils noirs humectés de désirs secrets. Les inflexions de sa voix vibraient comme un instrument sonore dès qu'elle lui adressait la parole. Si sa main approchait de celle d'Eugène, il sentait le mouvement de son cœur redoubler dans sa poitrine, qui lui semblait alors trop étroite pour le contenir. S'il fixait les yeux sur les siens, une émotion, croissant avec rapidité, s'emparait de tout son être, et semblait le soumettre aux volontés occultes d'une puissance surnaturelle. Le son argentin de la voix de son enchanteresse, seul, le jetait dans une semblable extase, quels que fussent les mots, même insignifiants, qu'elle prononçât. Mais qu'il était loin de partager son bonheur! Soit qu'il fût plus éclairé qu'Aglaé sur les suites

de la passion qui le dominait, soit qu'elles lui causassent plus de craintes, il se refusait de toutes ses forces à s'y soumettre, tandis qu'elle s'y abandonnait sans réserve.

Quoique les parents d'Aglaé ne fussent pas connus d'Eugène, elle était pupille de son oncle, et cette qualité seule, dans un temps de révolution surtout, lui paraissait bien suffisante pour motiver son union avec elle, dans le cas où ce parti deviendrait indispensable à son bonheur. Mais cette séduisante Aglaé pourrait-elle le faire, son bonheur? L'ardeur avec laquelle elle se livrait à toutes ses impressions, son éducation toute mondaine, s'accorderaient-elles avec un caractère timide et sauvage? Il n'eût peut-être pas fait ces réflexions sérieuses avant ses promenades au ValSurguères; mais les leçons du pasteur avaient germé dans l'âme d'Eugène; l'exemple de la simplicité modeste et religieuse de Méri, qui n'avait pas exclu chez elle le sentiment du beau, en lui donnant au contraire une direction sublime, avaient réalisé pour lui le modèle idéal de l'épouse chrétienne qu'il eût desirée. D'un autre côté, conviendrait-il à l'austère gravité du curé d'accorder sa nièce à un jeune homme qui n'avait pas dû lui donner une haute idée de sa sagesse? Méri ellemême consentirait-elle à s'unir à un inconnu dont les principes différaient autant des siens? Ce projet, d'ailleurs, s'accorderait-il avec les vues mystérieuses du comte d'Albret. Méri était, il est vrai, d'une famille noble, mais étrangère et proscrite. Le comte ne semblait-il pas, d'ailleurs, exprimer sa volonté par l'abandon dans lequel il

laissait deux jeunes gens livrés à eux-mêmes, au risque de ce qui pourrait en résulter? Et cette Aglaé était si belle, si séduisante, d'ailleurs, qu'il n'aurait jamais la force de s'en séparer, quand bien même l'amour qu'elle avait pour lui et qu'elle ne cherchait pas à dissimuler lui eût permis d'avoir l'idée de l'abandonner jamais. Ces pensées, qui revenaient à chaque instant assaillir Eugène, le privaient du repos de ses nuits et de cette tranquillité d'esprit si nécessaire pour se livrer aux travaux qui lui étaient imposés.

Enfin, il négligea bientôt totalement l'étude des auteurs classiques; il se procura à Toulouse quelques vieux poètes dramatiques espagnols, que sa connaissance de la langue italienne et du patois du Bigorre lui fit comprendre sans grandes difficultés. Il s'applaudit beaucoup d'avoir trouvé à Pau quelques volumes dépareillés d'un Shakspeare de Letourneur et de quelques autres traductions, qu'il dévorait presque en cachette pendant l'absence de son oncle. Elle se prolongeait assez long-temps cette fois pour causer des inquiétudes au château. Comme le comte cachait ses courses avec grand soin, il ne pouvait écrire; mais il s'introduisit dans le château pendant une nuit au moyen d'un signal convenu avec le fidèle Germain, et Eugène apprit le matin que son oncle, de retour, l'attendait pour le déjeuner.

CHAPITRE IX.

Celui qui bien accorde
De sa lyre le son
Cherche plus d'une corde
Et plus d'une chanson.

JOACHIM DU BELLAY.

ugène, qui revoyait ordinairement son oncle avec joie, n'apprit cette fois son retour qu'avec une sorte de frayeur, et ne se présenta devant lui qu'avec un sentiment de crainte. Lorsqu'il descendit, il trouva le comte d'Albret se promenant seul dans le jardin, et le sujet important qui occupait son esprit évita à Eugène les questions que celuici redoutait. Les nouvelles que le comte avait recueillies et transmises étaient heureuses et du plus haut intérêt; il apprit à son neveu, toujours sous le sceau du plus grand secret, que leurs espérances étaient enfin sur le point de se réaliser; que le moment d'agir allait bientôt arriver, et que le désir qu'éprouvait Eugène de paraître et de se distinguer pouvait avant peu être exaucé. Au lieu donc des reproches qu'Eugène attendait de

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