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JEANNE DARC

EST-ELLE LORRAINE?

SECONDE DISSERTATION,

ACCOMPAGNÉE DE DOCUMENTS INÉDITS, NOTAMMENT SUR LA MAISON DE LA PUCELLE,

PAR M. HENRI LEPAGE.

1.

Jeanne Darc (1) n'a pas été et ne pouvait pas être Lorraine. Telle est l'observation qu'a soulevée tout d'abord le Mémoire publié par moi en 1852 (2), et qui m'a été adressée avec le reproche de ne pas avoir tenu compte

(1) Bien qu'on ne soit pas fixé d'une manière positive sur la véritable orthographe du nom de famille de Jeanne, et que ce point puisse encore donner matière à contestation, j'ai continué à suivre celle que j'avais adoptée pour ma première dissertation. Je ne prétends pas pour cela trancher la question; aussi ai-je eu soin de conserver, dans chaque citation, l'orthographe choisie par les auteurs dont je reproduis des passages.

(2) Jeanne Darc est-elle Lorraine? Nancy, Grimblot.

d'un des principes les plus élémentaires de notre histoire (1). J'avais cru être allé au-devant de ce reproche

(1) Rapport fait à l'Académie des Inscriptions et Belles-Leltres, au nom de la Commission des antiquités de la France, par M. Berger de Xivrey, et lu dans la séance publique annuelle du 25 novembre 1853. Voici en quels termes s'est exprimé l'honorable rapporteur, au sujet de mon travail :

<< Cet opuscule est la partie lorraine d'une polémique entre les » Lorrains et les Champenois, pour savoir lesquels sont en droit » de revendiquer Jeanne d'Arc comme née dans leur province.

>> Cette discussion vient de ce que le village de Domremy était >> mi-parti champenois et barrois. Or, comme René Jer, du vivant » même de la Pucelle, réunit la possession des duchés de Lorraine » et de Bar, il s'ensuit que Domremy dépendait d'un côté de la >> Champagne, et de l'autre des Etats de ce prince. Mais comment » retrouver la limite de ces deux parties? M. Lepage s'efforce d'y parvenir avec plan, titres et pièces à l'appui. Et où place-t-il la » maison de Jeanne d'Arc? M. Lepage est Lorrain; la maison devait >> se retrouver dans la partie du village qu'il appelle lorraine. » Ajoutons qu'il démontre cette situation d'une manière plausible.

» Mais ici, comme dans plus d'une controverse, la question n'est » pas exactement posée. Alors même que Jeanne d'Arc serait née » dans la moitié de son village appartenant au duc de Lorraine, >> cette héroïne aurait été, non pas Lorraine, mais Barroise, et >> partant Française. Car depuis l'an 1301, les comtes de Bar >> s'étaient reconnus vassaux des rois de France, et c'était le bi» saïeul de Charles VII qui, en 1355, avait érigé en comté ce » duché. Les habitants savaient bien que leur duc avait le Roi » pour suzerain. Si Jeanne d'Arc eût été Lorraine, elle n'aurait pas >> pu appeler Charles VII son roi, la Lorraine étant une gouve>> raineté absolument indépendante de la France. Duc de Bar par » hérédité, le roi René était devenu duc de Lorraine par son ma

et avoir expliqué ma pensée en disant : Jeanne Darc

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appartient au Barrois par sa naissance, mais on peut ❝ en même temps la considérer comme Lorraine, puisque ❝ c'est de son vivant qu'eut lieu le mariage de René ❝ d'Anjou avec Isabelle, fille de Charles II; mariage qui "eut pour conséquence la réunion des deux duchés. "

Cette conclusion n'est pas juste, je m'empresse de le reconnaître; mais quel argument peut-on en tirer contre la proposition qui la précède? Aucun, ce me semble; et cette proposition est la seule chose que j'aie cherché à établir.

Pourquoi, alors, me demandera-t-on, ce titre à votre

D

riage;

; mais l'organisation féodale lui interdisait l'entière fusion » des deux duchés. Jouissant de la plénitude des droits souverains » quant à ses Etats de Lorraine, il rendait hommage au Roi pour » toute la partie du duché de Bar en deça de la Meuse. Jeanne » d'Arc, née à Domremy, n'importe dans laquelle des deux moitiés, >> ne pouvait être que Française, soit directement, soit comme sujette d'un vassal de la couronne. La question ne serait donc » exactement posée qu'en ces termes : Jeanne Darc est-elle Bar» roise ou Champenoise ?

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Nous devions rappeler à M. Lepage ces principes historiques >> fondamentaux, dont il semble ne pas avoir tenu assez de compte. » Mais nous nous plaisons à reconnaître qu'il a recueilli des pièces » intéressantes, et qu'il a su se garantir du ton passionné que tout » le monde n'a pas évité dans cette polémique. Au reste, un peu » de passion pouvait être excusé ici, comme expression du vif » désir de s'attacher par des liens plus étroits ce grand nom si » héroïque et si pur, éternel honneur de la France. »

Mémoire Jeanne Darc est-elle Lorraine? Pour un motif bien simple, et qu'il me suffira d'énoncer.

Lors du Congrès scientifique tenu à Nancy au mois de septembre 1850, un de mes éloquents confrères, dans un morceau (1) destiné à montrer le rôle qu'a joué autrefois notre province, s'exprimait ainsi, en parlant de Jeanne Darc Evidemment ce type appartenait aux contrées n d'entre Rhin et Meuse; une pareille femme ne devait "pas naitre ailleurs, et c'était à la Lorraine à la fournir. "

Cette phrase, que j'enregistre sans la discuter, fut le point de départ d'une polémique qui dure encore. Un honorable habitant de la Haute-Marne, M. Renard (Athanase), vit, dans les paroles de M. de Dumast, une sorte d'offense envers ses concitoyens, et il vint revendiquer pour la Champagne l'honneur d'avoir donné le jour à la Vierge qui sauva la France (2).

Plus tard, la question de l'origine de Jeanne Dare ayant été soulevée à l'Académie de Stanislas, à l'occasion d'une communication de M. de Haldat, on me demanda de rechercher s'il n'existait pas aux Archives de document qui permit de trancher la difficulté.

Dans ces circonstances, le titre de la dissertation que j'eus l'honneur de présenter à l'Académie, était naturellement, presque forcément indiqué par les paroles qui

(1) Philosophie de l'histoire de Lorraine, par M. G. de Dumast. (2) Souvenirs du Bassigny champenois, Paris. Bénard. 1851.

avaient été prononcées et par la discussion qui les avait suivies : c'est celui que j'ai adopté alors, et que je crois devoir maintenir.

Ces explications suffiront, je l'espère, pour répondre au reproche qui m'a été fait, et que j'aurais repoussé plus tôt si des circonstances particulières ne m'en avaient empêché (1). Au reste, je me félicite d'avoir été forcé d'attendre depuis deux années (2), en effet, la polémique s'est agrandie, et elle a pris maintenant, sous plusieurs rapports, un véritable intérêt historique (3).

Je m'efforcerai de ne pas la dénaturer en y mêlant des personnalités inutiles, et de lui conserver le caractère digne et sérieux qui lui convient.

II.

Quelle est la question qu'il s'agit de résoudre ? C'est celle-ci : Jeanne Darc est-elle née dans la Champagne ou dans le Barrois; en d'autres termes, si l'on veut : Jeanne Darc est-elle née dans la partie barroise (4) ou

(1) Le second Mémoire de M. Renard a paru sur la fin du mois de novembre 1852. Je commençais à cette époque, et j'ai seulement terminé dans le courant d'août 1854, la publication du Journal historique des Communes de la Meurthe, ouvrage qui a pris tout le temps dont il m'est permis de disposer.

(2) Cette seconde dissertation a été fue à l'Académie le 3 novembre 1854.

(3) Voir, plus loin, les réponses à MM. Pernot et Vallet de Viriville.

(4) J'ai cru devoir adopter l'adjectif barrois, employé par

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