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LITTÉRAIRES ET SCIENTIFIQUES

DE NANCY.

DISCOURS DE RÉCEPTION

MESSIEURS,

PAR M. BENOIT.

Je suis heureux que la parole m'ait été donnée aujourd'hui, pour acquitter envers vous une pieuse dette du cœur. A peine rentré au milieu de vous, vous avez dai– gné m'appeler dans votre assemblée, avec une bienveil– lance dont je n'oublierai jamais les gracieux témoignages, quand je n'avais guères d'autre titre encore à cette hospitalité, que d'être né dans cette ville et d'y revenir après une longue absence. Et bientôt, en accueillant à leur tour les jeunes collègues que l'institution de la Faculté amenait avec moi dans ce pays, vous êtes venus vous-mêmes au devant de mon ambition la plus chère. Introduit des premiers dans la place, je n'ai pas eu besoin, pour les faire entrer avec moi, d'y pratiquer des intelligences; la porte même ne se trouvant pas assez large pour les recevoir tous à la fois, vous n'avez pas hésité à faire vousmême brèche dans vos murs. Votre hospitalité n'a eu d'autre mesure que notre nombre, et nous voici tous admis aujourd'hui dans vos rangs. Mais puisqu'il n'est

pas encore donné à tous, en ce jour, de vous exprimer publiquement leur reconnaissance, laissez-moi vous remercier en leur nom, et au mien. Croyez que votre choix est un des liens les plus forts et les plus doux qui nous attachent désormais à ce pays, et que tous nos efforts, nos travaux, notre ambition appartiennent à Académie. Heureux, si nous pouvons contribuer pour notre part, si modeste qu'elle soit, au lustre de cette société, où vous nous avez donné droit de eitë.

Quand un compagnon part pour le tour de France, il est assuré, gràce à la mystérieuse fraternité du compagnonnage, de trouver partout chez les enfants du même métier une main amie, un appui, une famille de frères inconnus. Ainsi, partout où il y a une Academie, les ouvriers de l'art et de la pensée rencontrent une patrie. Il y a huit ans, la Société philotechnique d'Athènes, réunie au pied de l'Acropole, faisait l'honneur à plusieurs d'entre nous, iei présents, de nous recevoir au nombre de ses membres. Aujourd'hui, c'est en face de la statue de Stanislas, que l'Académie, fondée sous ses auspices, daigne nous convier à sa libérale hospitalité; et, par là, nos jeunes professeurs, les plus étrangers à ce pays, sont devenus dès le premier jour les fils de la famille lorraine; ils se sont trouvés au milieu de tous ceux, qui, en eette ville, s'intéressent le plus à la science et à l'art, et qui comme eux y ont voué leur vie. Admirable fraternité de l'étude, qui, dans quelque pays que le sort vous conduise, vous y donne une patrie! cette patrie généreuse, que dès longtemps on a nommée la République des lettres !

Ce n'est que d'hier, Messieurs, que je siége parmi vous et que je suis témoin de vos travaux : mais déjà j'ai su apprécier l'excellente influence que peut exercer cette fraternité du travail. Loin de Paris, de son ardente atmosphère, et de cette vie inquiète où tout stimule la fièvre de l'esprit, les hommes, qui se plaisent aux travaux de la pensée, ont besoin, dans les langueurs de la province, de s'associer étroitement, de s'appuyer les uns sur les autres, et de s'exciter entre eux par l'émulation des efforts. Ici, toutes les intelligences se groupent comme en un faisceau; quiconque travaille trouve un appui; on se tend la main les uns aux autres; on se serre comme en un bataillon sacré, où chacun est fort de la force de tous, sans rien perdre de son indépendance, libre comme s'il était seul, et solide comme une légion. Vos Mémoires sont là, Messieurs, pour attester cette émulation salutaire du travail mis en commun. Combien d'hommes distingués, que les ingrats labeurs d'une œuvre solitaire eussent découragés, ont tenu à honneur de figurer dans cette sorte de Panthéon littéraire? Combien de productions utiles ou brillantes n'eussent jamais vu le jour, ou se fussent perdues dans des brochures légères, si vous n'aviez ouvert votre Recueil à l'ambition de leurs auteurs? Opuscules d'art, de poésie, d'histoire, de science, concourent chaque année à étendre et enrichir ce monument, où chacun a porté sa pierre, celui-là, puissante et large, pour servir aux fondements de l'édifice; celui-ci, finement sculptée, pour en orner les chapitaux et les frontons.

Heureuses les villes, Messieurs, qui, à notre époque, ont su, comme la vôtre, conserver ainsi dans leur sein un foyer d'activité intellectuelle, où tous ceux qui aiment l'art et la science viennent s'éclairer et s'échauffer mutuellement, et entretiennent autour d'eux ce goût des choses de l'esprit, trop étouffé depuis longtemps dans la plupart des provinces.

J'admire votre Paris : mais souvent aussi il m'étonne » et me fait peur » me disait un jour un jeune Allemand, qui visitait pour la première fois la France, et qui était frappé du contraste de la vie parisienne, si active et si turbulente, avec le calme un peu trop plat, dans lequel certaines provinces semblent sommeiller. Pour un Allemand, en effet, le spectacle était nouveau. Dans la multiple Allemagne, la vie de l'intelligence, au lieu d'être concentrée comme chez nous dans une ville unique, est un peu répandue partout. Mon jeune hôte, toutefois, ne pouvait s'empêcher de rendre hommage à la puissante organisation de l'unité française, et à cet ascendant toujours croissant, par lequel Paris s'est fait de plus en plus le centre de la pensée de la France, pour devenir le foyer de la civilisation du monde. Mais il s'inquiétait de ce que lui offrait de trop inégal cette distribution de la vie entre la capitale et le reste du pays? Oui, sans doute, poursuivait-il, il est beau qu'il y ait dans un

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grand empire, une capitale qui soit comme la tête, » où se concentre la pensée de la nation, et comme un " cœur, dont les pulsations fassent circuler partout la

chaleur et la vie. Mais prenez garde de pousser à » l'excès une telle centralisation; vous risqueriez de périr " d'une congestion cérébrale ou d'un anevrisme au " cœur." Ce propos m'était tenu bien longtemps avant que la révolution de 1848 ne nous eût appris, une fois de plus, tout ce que la France pouvait courir de périls, à s'absorber ainsi dans une seule ville. Si Paris en était venu à ce point d'infatuation, de vouloir à lui seul penser et agir pour la France entière, de faire par passe-temps des révolutions dans un jour d'ennui, et de les imposer au pays; d'improviser des républiques, et de nous les envoyer par la poste; si, en un mot, il a dit un jour : La France, c'est moi, et s'est irrité des résistances provinciales; nous tous, par notre complaisance, nous avions provoqué cette ivresse. La province s'était trop accoutumée à adorer Paris à genoux, et à se faire l'écho docile de sa voix, le singe de ses caprices. Trop aisément, elle abdiquait sa part dans les destinées morales du pays, comme si elle eût voulu se borner au rôle modeste de planter, de fabriquer, de faire des affaires.

Le Gouvernement lui-même a senti le danger de cette situation; il s'est appliqué, par diverses mesures, à ranimer, autant qu'il le pouvait, l'autonomie provinciale. Quelques villes profiteront particulièrement de cette reaction prévue; plusieurs s'en ressentent déjà. Ce n'est pas assurément qu'aucune d'elles ait la folle prétention de contester le légitime, l'irrésistible ascendant de Paris, encore moins de s'y vouloir dérober. L'unité française

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