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est la merveille du monde ; et c'est Paris qui l'a faite, Paris est notre ville à tous, sa vie est notre vie, et nous devons tous, Français, être fiers de sa gloire. Mais en acceptant son empire, faut-il se laisser éclipser dans sa splendeur? Plus d'une ville a déjà montré par un généreux exemple, qu'elle savait suivre Paris, sans se renoncer elle-même. La nôtre se détache chaque jour davantage sur le fond généralement trop terne de nos provinces; elle veut revivre ; et il était impossible qu'une fois connue, elle ne conquît pas la prédilection d'un Ministre si ardent à seconder le mouvement intellectuel, partout où il se manifeste. A votre demande, il s'est empressé de relever au cœur de la Lorraine la vieille Université, qui, après trois siècles de gloire, avait été supprimée dans les jours de révolution par le malheur des temps. Vous avez pu invoquer auprès de lui les engagements les plus sacrés. Votre voix a été entendue, déjà l'institution a commencé de revivre ; l'avenir la complètera.

Si j'en parle ici, Messieurs, c'est pour vous rendre, en cette circonstance solennelle, la part qui vous revient dans cette fondation, dont naguères a été doté notre pays. Car si la ville de Nancy s'est enfin réveillée de sa langueur, et s'est souvenue de ses droits, pour les revendiquer, c'est à vous qu'on le doit. La fortune, sans doute, semble nous revenir, elle nous tend la main, mais il en fallait profiter; la capricieuse veut être devinée et saisie. Combien n'ai-je pas vu de gens ne s'aviser qu'après, et manquer l'occasion unique, pour n'avoir pas eu un instinct assez

juste d'eux-mêmes et de leur destinée! Il en est de même des villes.

Celle-ci s'était longtemps abandonnée, elle n'a pas toujours senti ce qu'elle pouvait redevenir un jour. Fautil s'en étonner? Après avoir été longtemps capitale souveraine, elle s'était réveillée, au lendemain de la révolu– tion, chef-lieu de département. Une telle chute l'avait d'abord étourdie, elle a été des années à se refaire, tant elle avait été déconcertée. Qu'avait-elle sauvé en effet de son antique fortune? Des palais déserts, qui ne lui rappelaient qu'avec amertume sa splendeur royale d'autrefois. De toutes les fondations libérales, par lesquelles Stanislas avait au moins charmé le deuil de sa nationalité perdue, il ne lui était presque rien demeuré; la tempête avait tout emporté. Mais non, je me trompe; sous l'Empire déjà on rend à notre ville, si justement fière jadis de son Parlement, une Cour d'appel, qui y fait revivre les traditions de la haute jurisprudence et y réveille d'éloquents échos; et ainsi les départements formés de la vieille Lorraine, continuent à y porter leurs affaires. Son Evèché, son Administration académique, son Ecole forestière viennent encore y rattacher davantage les intérêts de toute la province. Est-ce tout? non pas; une autre chose encore, une grande chose est restée à Nancy de son passé son Académie de Stanislas, dont les débris se rejoignent dès le lendemain du naufrage. Avec son Académie, il semble que la cité reine ait alors sauvé sa tradition, le culte de son passé et la conscience de ce qu'elle devait être encore.

Car où donc notre ville a-t-elle enfin retrouvé le sentiment de sa fortune, et cette foi dans son avenir, dont elle parait animée aujourd'hui ? C'est ici, Messieurs, dans votre sein, qu'en a couvé la noble pensée; c'est d'ici qu'elle est sortie, pour devenir l'espérance de tous. Il y a surtout certains hommes parmi vous (pourquoi les nommer? votre pensée devance la mienne), qui ont été, au cœur de notre population, comme un levain géné– reux, pour y exciter la fermentation de toutes les nobles choses. Grâce à eux, Messieurs, avec le culte de la science, des lettres et des arts, s'est conservée pieusement, s'est ranimée au milieu de nous, la religion des traditions nationales. Dans votre Académie, n'a pas cessé de battre le cœur de la Lorraine ; ici l'àme du pays respire encore, respire toujours; et autant qu'il a dépendu de vous, Nancy est restée la capitale de la France orientale.

Votre foi, Messieurs, ne s'est pas lassée; elle a bravé les sourires des incrédules; à force de persévérance, elle a vaincu. Ainsi que je le disais, vous avez fini par faire partager à la ville entière, si longtemps défiante d'elle-même, la juste ambition que vous aviez conçue pour elle. Elle a consenti à reconnaître les titres que lui avait légués le passé. Aussi voyez la maintenant : quoi qu'elle ait obtenu, son désir ne s'arrête pas là; elle ouvre ses voiles à l'espérance; elle attend, elle demande plus encore. Elle se sent faite pour être encore la reine d'une grande province; elle ne doute pas que tôt ou tard sa prétention ne soit satisfaite, que le temps, la nature, la force des choses ne

travaillent pour elle. Elle saura patienter, parce qu'elle croit fermement que nul obstacle ne pourra détourner son destin, mais qu'elle a une de ces situations privilégiées qui dominent et forcent la fortune; et que, si son passé fut éminemment glorieux, son avenir peut avoir encore de la grandeur.

Bien que dépouillée de son diadème, Nancy a vu qu'elle n'en avait pas moins conservé sur les provinces d'alentour une suprématie morale. Un Roi, même en exil, est encore Roi; pareillement, ce n'est pas en vain qu'une ville a été souveraine pendant des siècles: elle en garde, jusque dans son abaissement, je ne sais quel caractère indélébile de grandeur, de dignité, d'élégance. Découronnée, elle règne toujours le pouvoir a cessé, que le prestige dure encore. Les pays voisins, accoutumés à en recevoir la lumière et l'impulsion, continuent à se tourner vers elle,

Nancy est donc restée dans l'Est une capitale des esprits, un centre de vie morale, autour duquel continue toujours à graviter, plus encore qu'elle ne l'imagine, toute la contrée qui appartenait à l'ancienne nation Lorraine. Il y a plus maintenant que les barrières qui séparaient jadis les provinces sont tombées, l'action de cette ville semble grandir et s'exercer au delà. Les chemins de fer, qui ont changé la topographie du monde, et ouvert aux idées et aux choses des voies nouvelles, à travers fleuves et montagnes, ont choisi cette ville pour l'un des nœuds principaux de l'immense réseau Européen. Ici se croisent les grandes routes, qui mènent de l'Océan à la mer Noire,

pas encore donné à tous, en ce jour, de vous exprimer publiquement leur reconnaissance, laissez-moi vous remercier en leur nom, et au mien. Croyez que votre choix est un des liens les plus forts et les plus doux qui nous attachent désormais à ce pays, et que tous nos efforts, nos travaux, notre ambition appartiennent à l'Académie. Heureux, si nous pouvons contribuer pour notre part, si modeste qu'elle soit, au lustre de cette société, où vous nous avez donné droit de cité.

Quand un compagnon part pour le tour de France, il est assuré, grâce à la mystérieuse fraternité du compagnonnage, de trouver partout chez les enfants du même métier une main amie, un appui, une famille de frères inconnus. Ainsi, partout où il y a une Académie, les ouvriers de l'art et de la pensée rencontrent une patrie. Il y a huit ans, la Société philotechnique d'Athènes, réunie au pied de l'Acropole, faisait l'honneur à plusieurs d'entre nous, ici présents, de nous recevoir au nombre de ses membres. Aujourd'hui, c'est en face de la statue de Stanislas, que l'Académie, fondée sous ses auspices, daigne nous convier à sa libérale hospitalité ; et, par là, nos jeunes professeurs, les plus étrangers à ce pays, sont devenus dès le premier jour les fils de la famille lorraine; ils se sont trouvés au milieu de tous ceux, qui, en cette ville, s'intéressent le plus à la science et à l'art, et qui comme eux y ont voué leur vie. Admirable fraternité de l'étude, qui, dans quelque pays que le sort vous conduise, vous y donne une patrie! cette patrie généreuse, que dès longtemps on a nommée la République des lettres !

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