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autres garnies de sapins, de genévriers gigantesques et d'autres arbres verts étagés les uns au-dessus des autres ; et au nord de ce bassin si gracieux et si bien circonscrit, les grands monts d'Arcadie, rivaux du Cyllène et du Parnasse, élevant leurs neiges au milieu des airs. Nous cheminions, en descendant par d'étroits sentiers, sous l'ombre des arbres, aspirant les exhalaisons résineuses des pins échauffés, et réjouissant notre vue des mille fleurs d'automne dont les pentes étaient émaillées.

Telle fut la première image qu'offrit à nos yeux l'intérieur de l'Arcadie. Depuis ce jour nous avons parcouru bien des vallées, visité bien des lacs, non-seulement dans la Grèce, dans l'Asie, dans l'Italie, mais plus près de nous aussi, là où dans une nature souvent terrible les Alpes nous présentent des sites enchanteurs : le lac de Phénéos est resté dans nos souvenirs comme le point du monde occidental où la nature se montre dans toute sa grâce, son harmonie, sa fraîcheur. Il est situé presque au centre du Péloponnèse, au nord de Mantinée et de Mégalopolis; pour y parvenir, il faut s'élever d'étage en étage et parcourir d'âpres sentiers; mais celui qui a pu l'atteindre a bientôt oublié toutes ses fatigues : là, à des jours sereins, tempérés par la fraicheur des eaux et des bois, succèdent ces nuits lumineuses des contrées méridionales, nuits pleines de mystère où la paix du ciel étoilé s'unit au calme des eaux; heures divines où la douce clarté de la lune baigne pour ainsi dire les cimes des monts, où chantent sous le feuillage mille oiseaux cachés, où les douces brises de la nuit.

portent avec elles dans les airs les parfums vivifiants des montagnes. Là tous les sens de l'homme sont charmés, sont séduits: il vit par tout son corps d'une vie pleine et harmonieuse; et sa pensée libre, participant à la sérénité du monde extérieur, parcourt sans efforts les horizons du monde idéal.

Ensemble, Messieurs, nous nous arracherons, puisqu'il le faut, à cette nature qui s'empare de nous et trop longtemps peut-être nous retiendrait sous son charme; et vous gravirez avec nous les sombres hauteurs de l'Arcadie; nous irons vers le nord; nous traverserons au pas de nos chevaux ces forêts séculaires où les sapins gigantesques s'appuient les uns sur les autres, où les jeunes s'élancent avec vigueur dans les airs tandis que les plus âgés tombent de vétusté. A mesure que les heures s'écoulent pour nous dans ces solitudes, nous sentons les demeures des hommes s'éloigner; les sites sauvages succèdent aux séduisants horizons; les rocs escarpés et stériles remplacent la fraîche et tendre verdure des lacs: enfin nous abordons la redoutable vallée du Styx. Vous connaissez de nom le Styx, fleuve des enfers: vous le savez, Messieurs, celui qui avait vu le Styx ne revenait point à la vie; plaise au Ciel que nul de vous ne visite ce triste rivage,

Che nel pensier rinuova la paura,

a dit Dante; on ne le voit point deux fois, dit Racine. Nous, Messieurs, nous l'avons vu, mais une fois seule

ment; c'est pour cela sans doute que, malgré notre étonnement, nous vivons encore; et je ne suis point surpris que plus d'un d'entre nous n'ait pas osé approcher de ces sombres bords. Toutefois, puisque nous les avons vus, c'est à nous de dire ce qu'il en est, et de parler avec vérité en présence des dieux infernaux.

Ici donc coule au fond d'une gorge reserrée un faible ruisseau dont les eaux malfaisantes font périr les végétaux qui les touchent, et couvrent les pierres qu'elles arrosent d'un dépôt blanchâtre et stérile. Quand nous suivions en le remontant ce ruisseau malfamé, le grec qui nous accompagnait nous dit que peu d'années auparavant, son cheval s'étant désaltéré dans les eaux du Styx était mort sur la place en peu de moments. Et cela n'est point incroyable: car, à mesure que l'on remonte cette funèbre vallée, la végétation devient maigre et comme maladive; quelques plantes rabougries se voient, dispersées çà et là, sur les âpres flancs de la montagne ; la terre aride, la pierre nue nous environnent, et bientôt dans cette gorge profonde où se concentrent les rayons ardents du jour, la vie a disparu; l'oiseau de proie lui-même n'habite pas ces rochers déserts qui ne lui sauraient fournir sa pâture; un silence de mort règne à nos côtés. Devant nous cependant s'élèvent des rocs jaunâtres, immenses, escarpés, dont la neige couvre les saillies; comme pour montrer que c'est ici le règne de la nature inorganique et des invincibles lois du monde inanimé, une cascade inaccessible coule de ces sommets aériens, s'évapore dans sa

chute, et, par cette image silencieuse d'un mouvement non interrompu, semble dire au voyageur perdu dans ces déserts, que l'inévitable destinée règne sur le monde par delà les lieux bas où s'agite la vie.

C'est un sujet bien digne de réflexions que de voir les antiques traditions s'approprier aux lieux où elles étaient nées, et ces religions d'autrefois se mettre en harmonie avec la nature: on dirait que l'homme, devant le spectacle du monde, a ressenti le besoin de rendre au dehors ses premières impressions et que là où elles ont été les plus profondes, elles ont reçu leur expression la plus significative et revêtu la forme religieuse.

C'est là, Messieurs, vous le savez, c'est à cette source mystérieuse du Styx, que ces antiques traditions de la Grèce rattachaient l'origine des fleuves; là qu'elles plaçaient le berceau de l'Océan ou, pour parler avec elles, cette corne d'abondance d'où s'écoulaient, comme d'une fontaine intarissable, les eaux de la terre et des lieux infernaux. Aujourd'hui, hommes désabusés, nous ne voyons dans la nature que la nature elle-même.

Eh bien ! Messieurs, c'est au centre du Péloponnèse, ou pour parler plus justement, c'est dans les hautes régions de l'Arcadie qu'il nous faut chercher la belle et riante nature, les hautes et antiques forêts, les lacs élevés, les cascades aériennes, les pics neigeux et inaccessibles, les horreurs de la nature. C'est là aussi que nous pourrons assister aux grands mouvements de l'air et voir se déployer ces merveilleux phénomènes des nuages et des

pluies, des orages et des tonnerres qui parfois à la vérité s'abattent sur nos observatoires de la plaine, mais à la naissance desquels, du sein de nos cités populeuses, nous ne pouvons assister. Quittons donc un moment l'antiquité pour ne considérer que la simple nature. Une fois, après plusieurs jours de courses errantes à travers monts et forêts, nous arrivâmes dans le moderne hameau de Lala, au sud du mont Erymanthe, au pied des hauteurs boisées du Pholoé. Lala n'est qu'une ruine toute récente : vingt-cinq familles habitent les portions encore subsistantes de maisons dispersées; la plaine, fort élevée au– dessus du niveau des mers, est un massif de gravier qui s'étend en longueur entre le Pholoé et l'Alphée; les torrents qui le sillonnent roulent dans des lits profonds creusés par eux; car l'on voit au premier coup d'œil que le plateau fut primitivement uni. Ces ravins sont remplis de la plus belle végétation du monde; et, tels que les fleuves les plus fameux, tels que l'Alphée et le Ladon, tels que Tempé elle-même, ils semblent réaliser tous les rêves des poëtes: ici le platane et le chêne vert s'élancent à une merveilleuse hauteur des flancs du ravin, qu'ils recouvrent en croisant leurs rameaux; un pur ruisseau coule au fond, et un sentier ombragé, où le soleil paraît distiller sa lumière au travers du feuillage, suit les bords de cette eau limpide; sur les pentes et sur les plateaux l'arbousier, le lentisque, les bruyères blanches ou roses s'élèvent semblables à des arbres et mêlent leurs fruits rouges et leurs longs épis odoriférants à la verdure des fougères et des lianes.

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