Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

chions, un bruit sourd et solennel se faisait entendre et remplissait de plus en plus nos oreilles; enfin nous atteignimes le bord d'un gouffre semblable à un immense entonnoir, par lequel le fleuve disparaissait sous la terre: de minute en minute, la masse énorme des eaux fermant l'entrée de l'abime et se faisant pour ainsi dire obstacle à elle-même, on eût dit que l'abime allait se remplir; puis l'issue, se rouvrant tout à coup sous le poids des eaux, laissait échapper avec un mugissement profond, une froide et fétide vapeur. Pour des hommes tels que nos compagnons de voyage, nourris dans les lettres antiques, et presque persuadés, non par croyance et foi, mais par imagination et par science, de la vérité des fables, un tel phénomène ne pouvait passer inaperçu et devait exciter fortement la curiosité. Tandis que dispersés aux alentours de l'abime, nous étions occupés de choses diverses, comme le font d'ordinaire les voyageurs, le plus entreprenant d'entre nous, Isidore Vincent, tel qu'un autre Jacquemont, s'avança dans le gouffre luimême pour l'observer de plus près, et comme s'il voulait sonder l'inconnu et s'initier à un mystère antique. Se soutenant d'un bâton solide, il descendait pas à pas sur la pente unie du gigantesque entonnoir; mais bientôt son bâton s'enfonce dans la terre humide et lui devient inutile; ses deux pieds glissent lentement à la fois ; il fait effort pour regagner le bord supérieur ; mais ses efforts mêmes l'entraînent plus rapidement vers le bas : quelques instants encore, il va disparaitre avec le fleuve dans ces

infernales profondeurs. J'errais alors dans le voisinage: j'entends un cri déchirant sorti de l'abîme, j'accours et je vois notre malheureux ami qu'une force invincible entraînait dans le tourbillon. Je descends à sa suite, toutefois le moins bas qu'il m'est possible; sa main étendue saisit la mienne et l'étreint convulsivement; il se croit sauvé. Mais j'étais allé moi-même jusqu'au terrain glissant; entraîné par la même force je descendais avec lui, et je voyais s'enfoncer au-dessous de nous le tourbillon écumant où nous allions disparaître. C'est alors que M. Girard s'offrit à nous sur la rive: ses pieds s'appuient fortement sur la terre ferme ; sa main nous tend un bâton, que je saisis, et la chaîne vivante est retirée de l'abîme. Sans ce libérateur, nous eussions vu comme Enée dans Virgile,

Omnia sub magna labentia flumina terra,

Tous les fleuves coulant sous la vaste terre ;

grâce à lui, je puis dire avec Horace :

Quam pæne furvæ regna Proserpinæ

Et judicantem vidimus Æacum,

J'ai presque vu le royaume ténébreux de Proserpine et le juge Eaque rendant ses arrêts;

Grâce à lui encore, Messieurs, je jouis aujourd'hui du plaisir délicat et de l'insigne honneur de raconter devant vous son aventure du gouffre de Stymphale.

Il me serait aisé de continuer ces voyages et de faire passer sous vos yeux d'autres tableaux de la Grèce inté

rieure ; ils feraient sentir aux personnes qui n'ont point vu ce beau pays combien est fausse l'idée qu'en rapportent certains voyageurs qui n'en ont vu que les côtes brûlées par le soleil et par les vents salés de la hautemer. Les nombreuses cascades, les rivières au cours profond et limpide, les hautes forêts, les tapis de verdure et de fleurs offriraient à nos regards de tout autres images; nous les inonderions de cette lumière divine dont Antigone mourante déplorait la perte anticipée ; nous y répandrions en pensée ces suaves et tièdes parfums des vallées méditerranéennes, nous les animerions encore par le chant des oiseaux sous le feuillage, par les danses des jeunes filles aux costumes brillants; la Grèce se montrerait peutêtre alors avec sa vraie poésie. Mais en mettant sous vos yeux deux ou trois esquisses détachées, je n'ai point prétendu, Messieurs, vous faire parcourir un musée tout entier; sachant bien que ces visites prolongées dans de longues galeries, ne nous laissent souvent qu'une fatigue inutile et le désir de ne les recommencer jamais.

RÉPONSE DU PRÉSIDENT

(M. PAILLART).

AUX RÉCIPIENDAIRES.

MESSIEURS,

Dans la solennité qui nous rassemble aujourd'hui, plus nombreux et plus forts que jamais, notre premier hommage appartient à l'institution des deux Facultés nouvelles, poursuivie avec un zèle si éclairé, acceptée avec tant de reconnaissance, accueillie avec le plus louable empressement. Cette création généreuse portera ses fruits. Déjà l'Académie de Stanislas peut montrer, à côté des trésors de son passé, ses richesses présentes : l'éclat de notre réunion est un présage et une promesse pour les années qui doivent suivre ; si les limites d'une séance publique ont restreint le cercle des discours, d'autres voix déjà connues, déjà aimées, viendront plus tard se faire entendre. L'Académie de Stanislas a élargi ses rangs: elle s'est empressée d'adopter à la fois tout ceux qu'elle aurait successivement choisis, et n'a pas voulu mêler aux prospérités fécondes d'un établissement nouveau, le triste calcul des espérances viagères, trop promptes, hélas! à se réaliser. L'homme peut éloigner de ses fêtes l'image des morts et des absents, mais il en

retrouve toujours la pensée, et du moins dans les fêtes de l'intelligence, elle n'est jamais sans consolation.

En attendant qu'un éloge digne de lui, et par cela même trop étendu peut-être pour la lecture publique, nous raconte la vie et les travaux de M. BRACONNOT, si promptement et si bien remplacé, son souvenir doit être rappelé ici à un double titre : il a enrichi la science par ses découvertes et la cité par ses bienfaits.

L'Académie avait l'honneur de compter au nombre de ses correspondants M. Charles LACRETELLE. Le don gracieux de son buste est pour nous le témoignage d'une affection fidèle, et montre le prix qu'il attachait aux rap– ports de cette confraternité demi-séculaire. La Lorraine doit à une mémoire vénérée l'hommage particulier de ses regrets et le tribut de ses éloges. M. LACRETELLE, NÉ à Metz (1), a passé à Nancy, qu'il aima toujours, son enfance et les premières années de sa jeunesse, cet àge où le bonheur était alors si facile et devrait l'être encore aujourd'hui. Les souvenirs qu'il a publiés sont un modèle de sincerité et de franchise honnête, un livre de bons conseils. C'est à Nancy (2) que, simple écolier, il eut à subir pendant un jour, pendant une heure, ces mauvais rêves qui avaient tué dans la fleur de l'âge Chatillon et Gilbert, et dont le retour, à des époques plus

(1) 3 septembre 1766.

(2) Testament politique, chap. xx et 111.

« VorigeDoorgaan »