LITTÉRAIRE DÉDIÉ AU ROI, PAR UNE SOCIÉTÉ D'ACADÈMICIENS. VOLUME XVIIL Juillet & Août. Fructus enim ingenii & virtutis omnisque præftantiæ Cic. de Amic. §. 19. À BERLIN. Chez G. J. DECKER, Imprimeur du Roi. I 7 7 5. HARVARD COLLEGE LIBRARY INGRAHAM FUND Sip 15,1927 Je dis librement mon advis de toutes chofes... Ce que j'en opine, c'eft auffi pour déclarer la mefure de ma veue, non celle des choses. Mont. Eff. Livr, II. Chap, 10. Æquum eft enim meminisse, & me, qui dif feram, hominem effe, & vos, qui judicetis. CIC. JOURNAL LITTÉRAIRE. VOLUME XVIII. HISTOIRE LITTÉRAIRE DES TROU BADOURS, &c. SECOND EXTRAIT. (*) rnaud de Marveil, né au château de ce nom en Périgord, de parents pauvres & de baffe condition, mou.rut vers le commencement du treizieme fiecle. (*) Voyez le premier dans ce Journal Vol. XVII pag. 86 & fuivantes. Geoffroi Rudel, Prince de Blaye près de Bordeaux, eft diftingué des autres Troubadours par un amour finguliére ment romanesque. Tripoli en Palestine avoit été pris par les chrétiens l'an 1109, & érigé en comté pour Bertrand de Touloufe, fils du comte Raimond Gilles. Cette ville appartenoit encore aux chrétiens, lorsque la renommée d'une Comteffe de Tripoli vint échauffer l'imagination de Geoffroi Rudel. Sur le portrait que des pélerins firent de fa beauté & de fes vertus, il fe fentit tranfporté d'un defir violent de la voir; il prit la croix & s'embarqua. Malgré le filence de l'hiftorien provençal, l'amour nous paroît avoir eu autant de part que la curiofité à ce projet. On en jugera par trois chanfons de notre poëte, pleines de la paffion la plus vive. »J'aime un objet que je n'ai point vu, »à qui je n'ai pu expliquer mes fenti»ments, ni demander l'explication des à moi. »fiens. Mais je le fais, parmi les beau»tés farrafines, juives, ou chrétiennes, »il n'en eft aucune qui l'égale..... Cha»>que nuit je m'endors plein de fon ima»ge, & des fonges enchanteurs l'offrent Le réveil, hélas! diffipe cette illufion: je n'ouvre les yeux que pour >>apprendre qu'il m'eft impoffible de la >>voir. Je me fouviens alors qu'elle ha>>bite une terre étrangere, qu'un efpace »immenfe me fépare d'elle...... Cet ef>>pace, je le franchirai...... Mon voya»ge pourroit-il n'être pas heureux? »Amour fera mon guide..... Celle que »j'adore me verra donc avec un bourdon »de pélerin & un habit de toile. Ah! nfi pour l'amour de Dieu, elle daignoit m'accorder l'hofpice dans fon palais!... »Non, il fuffira à mon bonheur d'être »prifonnier chez les Sarrafins. Je ferai >>plus près des lieux qui la poffedent. O »mon Dieu! tranfportez moi dans fes jardins ou dans fa chambre. Faites du moins que je la voie..... C'en eft fait, je pars. Puiffé-je feulement ne pas |