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l'écolier limousin : « La claritude de cette matière, ô très sainte déesse, est plus exempte de réprobation que n'est le soleil de ténébrosité; mais la ventilation d'icelle est si voluptueuse et si délectable que jasoit ce que nous sachions par certaineté que en la perfection de ton imaginer n'en ait scrupule... », etc.; mais, quelques pages plus loin, Chastellain définit Urbanité avec cette charmante finesse : « ... Elle donne plaisir' et passe-temps de bonnes devises 2 et de gracieux contes par bon regard, c'est-à-dire sans excès et sans blesser la renommée de personne. Car Urbanité doit être toute gentille et non pas comme l'insolence des jongleurs; les dits doivent être sans morsure, les jeux sans offense et déshonnêteté, le rire sans glapissement, la facétie sans fàcherie et la voix sans clameur. Et si, d'aventure, il advient que par Urbanité on note ou reprenne les vices ou fautes de quelqu'un, ce doit être par tel et si gracieux déguisement que celui à qui il touche s'en amende plutôt qu'il le prenne à dépit ou à imitation, et que nul des écoutants en soit scandalisé, mais à tous agréable.... »

Cette prose, riche en surprises, cède le pas à la poésie pour terminer l'ouvrage. Vertu remercie les orateurs et admire le portrait des dix nymphes peint par Martia; c'est une occasion pour Lemaire de consacrer deux cents vers à son art favori et d'en parler de nouveau en connaisseur et en technicien. Il énumère les femmes peintres; il nomme ses artistes préférés, ajoutant à ceux qu'il a cités dans la Plainte du Désiré, Thierri Bouts, Hans Memling, « Donatel de Florence », et des orfèvres, des ciseleurs, des

1. soulas. 2. conversations. · 3. excessivité. tissement. 6. coulourement.

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7. C'est à Balzac (xvir siècle) que l'on prête habituellement le premier emploi du terme Urbanité. On voit que plus de cent ans auparavant Jean Lemaire connaissait et le mot et la chose. Cf. Les Cahiers de Sainte-Beuve, p. 192 et suiv.; Peetermans, La Couronne margaritique ou définition de l'Urbanité en 1505. Liége, 1859, in-8°.

graveurs, des miniaturistes; il indique leurs outils, instruments et couleurs :

Leur ouvroir est tout fin plein de tableaux,
Peints et à peindre, et de maint noble outil.
Là sont charbons, crayons, plumes, peinceaux,
Brosses en tas, coquilles par monceaux,
Pinceaux d'argent qui font maint trait subtil,
Marbres polis aussi clairs que béryl,
Inde, azur vert et azur de Poulaine,
D'acre azur fin qui du feu n'a péril,

Et vermillion dont mainte boîte est pleine.

D'autres couleurs y a abondamment :
Laque, sinope et pourpre de haut prix,
Fin or moulu, or music2, or piment,
Carnation faite bien proprement,
Ocre de Ruth, machicot, vert-de-gris,
Vert de montagne et rose de Paris,
Bon blanc de plomb, flourée de garance,
Vernis de glace en deux ou trois barils,

Et noir de lampe étant noir à outrance...

Avec ces couleurs, Martia a peint le modèle du diadème que Mérite, à présent, va forger, et, brusquement, le poème prend fin, inachevé, semble-t-il. Parlant plus tard des ouvrages auxquels il travaille, Lemaire note «< le deuxième livre de la Couronne margaritique, lequel est tout minuté; ne reste qu'à le mettre au net » (IV, 395). Ce deuxième livre a disparu.

C'est en se rappelant certaines œuvres, de sculpture notamment, exécutées au xve siècle, que ceux que surprennent d'abord la conception d'un livre aussi étrange et les ornements dont il se pare comprendront à quel point il se conforme aux tendances de l'art à cette époque.

Les énormes et pompeux tombeaux qui, entourant la statue du défunt de piliers, d'arcades, de frontons et de niches où se dressent d'allégoriques figures, tapissent les

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murs des églises lombardes et vénitiennes, procèdent de la même intention que les vers et la prose de Jean Lemaire'. Si nous nous arrêtons devant ceux qui furent bâtis à ce moment où l'art médiéval essaye de s'assimiler les principes nouveaux de l'art renaissant, nous y trouverons, comme dans le tombeau du doge Foscari attribué à Rizzo, un mélange de dispositions gothiques, vertus, baldaquins, crochets, fleurons, et de colonnes et de pilastres, historiés d'un décor antique. Tout le programme d'un ouvrage pareil à celui de Lemaire n'est-il point dans l'épitaphe qu'on lit sur le sarcophage de Leonardo Bruni, parmi les génies et les fleurs qu'y sculpta Rossellino : Postquam Leonardus e vita emigravit, Historia luget, eloquentia muta est; Ferturque Musas, tam græcas quam latinas, Lacrimas tenere non potuisse. Qu'un poète développe ce thème et, faisant pleurer l'Histoire, montrant l'Éloquence muette et les Muses en larmes, dise les motifs de leur tourment, que lirons-nous, sinon une déploration de rhétoriqueur?

N'en est-ce point une autre que cette superbe couche funéraire sur laquelle, à Saint-Pierre, Pollajuolo étendit Sixte IV, gisant dans ses habits pontificaux, qu'un minutieux réalisme charge de toutes leurs richesses? Autour de lui les sept arts libéraux, auxquels le sculpteur ajouta la Perspective, et les sept vertus théologales et cardinales le veillent, sous la forme de jeunes femmes mi-nues, de « nymphes », dirait Lemaire.

En France, cet art des bâtisseurs de tombes évolue selon les mêmes principes; le mélange s'y fait, identiquement, de traditions médiévales et d'éléments païens. Le mausolée présente aux yeux ses statues de gisants et d'orants, de vertus et de pleurants, comme nous les

1. Le rapprochement s'imposait à l'esprit de Lemaire lui-même, qui, parlant un jour des ouvrages auxquels il travaille, se compare à un architecte, à un maçon tenant en main le compas, l'équerre et le niveau, et assimile les livres dont il extrait la matière de son œuvre à de grands quartiers de marbre. Voir IV, 397.

REV. DU SEIZIÈME SIÈCLE. IX.

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voyons dans l'œuvre littéraire; il parle à l'esprit par les mêmes allégories; il est, comme elle, pompeux, grave et retentissant de la même rhétorique.

Sans doute la beauté plastique, l'adresse et le goût parfait de l'exécution donnent, devant un grand nombre de ces tombeaux italiens et français, une jouissance que nous demanderions en vain à la lecture de la Couronne margaritique; mais, si les qualités de forme sont, ici, inférieures, ne blâmons point cependant le poète, et surtout ne le raillons pas, de s'être inspiré des mêmes idées que le sculpteur, d'avoir essayé de les exprimer par les mêmes figures, et d'avoir employé pour étoffer, enrichir, enjoliver son œuvre et nouer ses pensées, les ornements que sa fantaisie et son érudition lui suggéraient, comme l'autre comblait les vides, décorait les soutiens et raccordait les diverses parties de son monument par des rinceaux, des guirlandes et des arabesques.

Les recherches auxquelles Lemaire s'était livré à l'occasion de ce travail et l'orientation qu'elles avaient donnée à ses idées expliqueraient peut-être que ce fut vers cette époque qu'il rédigea pour Marguerite d'Autriche un Traité des Pompes funèbres antiques et modernes (IV, 269), qu'en 1507 ou 1508, dans le prologue d'un autre ouvrage, il rappelle lui avoir offert « naguères » et qu'elle lut avec «< admiration et volupté » (IV, 243). Ce traité tendait à montrer comment, en matière d'honneurs rendus à leurs parents morts, les anciens «troyens et belgiens », Grecs, Romains, Égyptiens, Juifs et Turcs, « non encore illuminés de la splendeur de la foi catholique..., commettoient plusieurs énormités inhumaines », heureusement abolies depuis, mais suivaient aussi « certaines bonnes coutumes... retenues jusqu'à présent » (IV, 272).

La copie inachevée qui nous en est restée ne contient que seize chapitres très courts, de ce style facile et clair que possède Lemaire quand des préoccupations oratoires ne le guindent pas. Il traite, notamment, de l'embaumement des cadavres, « De l'ordre qu'on tenoit à porter le

corps au feu », « De la tonsure des gens et des chevaux et de l'oraison funèbre », « De la mode de scépulturer les patriarches de l'Ancien Testament », et donne, avec un plaisir d'érudit, maints détails pittoresques relevés avec soin au cours de ses lectures.

Quelles que fussent ses qualités, cette littérature n'était pas faite cependant pour dérider la duchesse. Lemaire comprit qu'il serait habile de lui donner une idée plus souriante de ses talents, et, tout en travaillant à sa Couronne avec la lenteur et le soin que réclamait la ciselure d'un bloc aussi compact, en 1505, il rédigea pour << Madame Marguerite Auguste » sa Première Épître de l'Amant vert (III, 3).

Madame Marguerite ayant à liquider une grosse succession, besogne que ne lui facilitait pas son beau-frère, Charles II, duc de Savoie, avait quitté Pont-d'Ain pour se rendre en Allemagne, auprès de son père. Quel était ce seigneur, habillé d'émeraude, qui, ne pouvant la suivre, osait lui rappeler en vers galants une tendresse évidemment partagée et certaines privautés amoureusement consenties?

Le joli thème offert à la sagacité des érudits! Quelquesuns supposèrent que cet amant n'était autre que Lemaire, qui, guéri de son « amour lyonnoise », avait, non sans succès, et quelques mois après la disparition du duc bienaimé, porté ses vœux plus haut!

Il suffisait pourtant de lire le poème avec un peu d'attention pour découvrir que ce brillant et mystérieux cavalier n'était qu'un perroquet faisant partie des animaux familiers de la duchesse.

Si Lemaire n'a pas tout inventé de l'aventure qu'il conte, peut-être l'oiseau avait-il été dévoré par un chien en l'absence de sa maîtresse; de cet incident le poète aurait tiré le roman que voici l'oiseau aimait Marguerite, et, désolé de son départ, il lui adressait une dernière épître avant de se jeter dans la gueule d'un mâtin.

Rien ne ressemble moins à la Couronne margaritique

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