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demment sincère de la trouver, il se révèle totalement incapable d'apprécier la valeur des documents qu'il consulte. Tous les auteurs qu'il lit, chroniqueurs, philosophes, historiens, orateurs, poètes, commentateurs, tous à ses yeux méritent un crédit égal; soucieux de faire la preuve de ce qu'il avance, il croit l'avoir faite lorsqu'il a invoqué l'opinion d'un écrivain, quel qu'il soit, et si plusieurs rapportent différemment un fait, sa critique se borne à accepter le récit qui s'adapte le mieux au sien.

Ses sources sont nombreuses mais de qualité bien diverse. Deux auteurs dont les œuvres n'ont pas plus de valeur historique que littéraire, Darès de Phrygie et Dictys de Crète, l'ont principalement alimenté pour tout ce qui concerne la partie troyenne des Illustrations. Tous deux, disant avoir assisté à la guerre de Troie, le premier comme assiégé, le second comme assiégeant, font le récit des événements auxquels ils ont été mêlés. Deux versions latines en sont seules venues jusqu'à nous; il est probable que la première est le résumé, fait au viie siècle, d'un écrit qui doit remonter au e de notre ère, et que la seconde est une invention d'un certain Septimius qui vécut au Ive siècle. Mais, pour Lemaire, rien n'était plus authentique que ces précieux journaux, et il les étudie, les confronte et les invoque avec un imperturbable sérieux. A côté de ces témoins oculaires, les écrivains auxquels il recourt le plus volontiers sont « Bérose de Chaldée, en ses déflorations », « Boccace, en la Généalogie des Dieux », Ovide, au livre des Fastes et des Epitres Héroïdes », « Diodore de Sicile, en l'histoire des Antiquités fabuleuses »>, « Frère Jean Annius de Viterbe, commentateur », « Homère, en son Iliade », « Virgile, ès Enéides »> (I, 344, 345); et il en cite, avec complaisance, près de quatre-vingt-dix autres (II, 6 et 253), de toutes époques, de tous pays et de toute valeur, sur le savoir et la véracité desquels il étaie son monument.

1. Voir Benoit de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, publié par L. Constans, t. VI, p. 192 et suiv.

A défaut du sens critique qui lui eût permis de donner à ces auteurs la confiance respective qu'ils méritent, il possédait du moins celui de la beauté littéraire, puisqu'il place au-dessus d'eux tous Homère et Virgile qu'il nomme, tour à tour, les « princes des poètes ». Plusieurs écrivains du moyen âge leur avaient décerné ce titre, mais c'était, en ce qui concerne Homère, sur la foi de sa réputation. Jean Lemaire n'a connu l'Iliade que par la traduction en prose latine de Laurent Valla; elle lui a néanmoins suffi pour comprendre la suprême majesté de cette poésie et pour l'aimer au point qu'ayant à raconter la rencontre de Ménélas et de Pâris, et la page célèbre où les vieillards troyens déclarent qu'il est juste que leur ville souffre de si grands maux pour la beauté d'Hélène, il pense ne pouvoir mieux faire que de reproduire le vieux poème << presque mot à mot » parce que ce passage, dit-il, est « bon et délectable et sent bien son antiquité » (II, 152).

Personne avant lui n'avait donné, en France, la version de 175 vers d'Homère'; personne ne s'était essayé à l'emploi de l'image et de l'épithète homériques; personne enfin n'avait conçu une œuvre où revivrait l'antiquité divine dans toute la lumière, la force et la beauté dont l'avaient revêtue deux de ses plus nobles génies. C'est pour avoir fait cela que Jean Lemaire est admirable et mérite, si Villon doit être considéré comme le premier en date des grands poètes qu'eut la France, d'être tenu, lui, pour le premier de ses grands artistes littéraires.

(A suivre.)

Paul SPAAK.

1. Cette priorité de Lemaire parmi les traducteurs d'Homère a été signalée par M. Gandar dans son Ronsard, imitateur d'Homère et de Pindare, p. 11. C'est à partir de 1519 que Samxon fait paraître la première traduction française de l'Iiiade; elle est d'ailleurs détestable et aussi peu « homérique » que possible. Voir Egger, L'Hellénisme en France, t. I, p. 191 et suiv.

L'AVENTUREUSE EXISTENCE

DE PIERRE BELON

DU MANS'.

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CHAPITRE I.

LA JEUNESSE DE PIERRE BELON.

I. Naissance de Belon à la Soultière vers 1517. — Il passe sa jeunesse en basse Bretagne. Son entrée au service de G. du Prat, évêque de Clermont. - Séjour en Auvergne. Passage à Bourges et à Sancerre (1538). — René du Bellay, évêque du Mans, le prend sous sa protection. Voyage en Allemagne (15401541). Il étudie à Wittemberg. Entretiens avec

1. Sauf indication contraire, les références de cette étude sont empruntées pour les Observations, à l'édition de Paris 1588; pour De admirabili operum antiquorum, à l'édition de Paris, B. Prévost, 1553; pour le De arboribus coniferis, à l'édition de Paris, B. Prévost, 1553; pour l'Histoire des oyseaux, à l'édition de Paris, Cavellat, 1555; pour De neglecta stirpium culturâ, à l'édition d'Anvers, 1589. Nous avons bénéficié, au cours de cette étude, de l'érudite obligeance de M. le chanoine Ledru, du Mans; du Dr Wickersheimer, bibliothécaire, et de M. Paul Perdrizet, professeur à l'Université de Strasbourg; des Dr Arnold C. Klebs, de Nyon (Suisse); C. J. S. Thompson, de Londres; Giordano, maire de Venise; Tricot-Royer, d'Anvers; de MM. Sabbe, bibliothécaire du musée Plantin à Anvers; P. Dorveaux, bibliothécaire de la Faculté de pharmacie de Paris; A. Gentil, président de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe; le P. Clovis Olive, professeur au collège Saint-Louis à Tanta (Basse-Égypte); Paul Lemoine, professeur au Muséum d'histoire naturelle; qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de nos vifs remerciements.

Luther.

Explorations botaniques en Allemagne avec Valerius Cordus. Passage en Flandre. - Premier voyage de Belon en Angleterre.

II.

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Belon étudie à Paris. · Il entre dans la maison du cardinal de Tournon. - Mission diplomatique en Suisse et en Allemagne (1542-1543). — Démêlés théologiques: six mois de captivité à Genève. — Belon, libéré, rentre à Lyon. Il visite la Provence et l'Italie avec Valerius Cordus. Ses relations avec Jean du Choul. Retour à la cour de France : le cabinet du roi et les jardins de Fontainebleau.

« L'intérêt principal des études historiques médicales me paraît être la recherche de l'influence réciproque des grands esprits et de leur temps. Quel héritage ont-ils reçu de leurs prédécesseurs immédiats? Quels échanges ont-ils faits avec leurs contemporains? Qu'ont-ils légué à leurs successeurs? » - - (Dr Paul LE Gendre.)

I.

Le hameau de la Soultière', perdu dans les campagnes du haut Maine entre Cerans et Oizé, vit naître à quelque soixante-dix ans de distance deux hommes illustres dans les sciences en 1588, celui qui devait être le Père Mersenne; au début du même siècle, Pierre Belon. La vie de Belon a été racontée par nombre d'auteurs. Point de dictionnaire historique qui ne lui consacre quelque article; point de compilateur qui ne lui accorde une place dans la cohorte des savants, littérateurs ou médecins de la Renaissance. Les plus consciencieux sont Niceron, Dom Liron et Ansart, aux Éloges desquels on peut ajouter le mémoire de B. Hauréau dans son Histoire littéraire du

1. Auj. commune de Cerans (Sarthe). Selon Pesche, Marin Mersenne naquit dans la partie de la Soultière qui dépendait alors d'Oizé; Belon dans la partie rattachée à la paroisse de Cérans (Dict. de la Sarthe, t. IV, art. Oizé, p. 318). Cf. Louis Déan, Les hameaux célèbres du Maine. I: La Soultière, patrie de P. Belon et de M. Mersenne. Le Mans, Lebrault, 1886, in-8°, 7 p., avec deux croquis de la maison natale de Belon.

Maine, et, au point de vue de la critique scientifique, les articles donnés par Crié à la Revue scientifique, et par l'érudit Legré à l'Académie de Marseille. A part ces derniers, la plupart des biographes se sont entre-copiés. Le caractère surtout objectif des œuvres de Belon, le peu qu'il accorde à la précision chronologique dans le récit de ses voyages en rendent l'étude singulièrement obscure; ce n'est qu'à l'aide d'un labeur obstiné et de concordances subtiles, contrôlées par certains passages de sa Cronique inédite, que l'on peut énumérer avec un peu moins d'imprécision la suite de ses aventures et les épisodes de son existence agitée. Nous y avons tâché, sans nous flatter d'avoir réussi.

De ses débuts, nous ne connaissons que fort peu de chose; et bien des phases en demeurent incertaines. Le portrait de Belon, gravé en tête de son livre De aquatilibus, publié en 1553, lui donne trente-six ans. Il aurait donc vu le jour vers l'année 1517. De ses ancêtres, on ignore presque tout'. De son adolescence, on sait, par son propre témoignage, qu'il en passa une partie en basse Bretagne, où il se trouvait dès l'an 1532. En quelle compagnie? Nous ne savons. Il dit seulement en sa Cronique qu'il y fut « nourry entre personnes françoises si oultrées d'hérésie qu'à peine on en puisse trouver la pareille ». Peut-être était-il employé non loin des domaines des Rohan, car il dit avoir recueilli de ces minéraux « où les macles sont exprimées, qui sont les armes de M. de Rohan ». En tout cas, son séjour en Armorique fut de longue durée : non seulement il se vante d'avoir « appris la langue du pays », mais encore d'en avoir « hanté les rivages3 » assez longtemps pour en connaître la faune et la flore et les légendes populaires. Belon s'est chauffé au feu de bouse

1. En 1527, un Thomas Belon est propriétaire à Mansigné auprès du château de Brouassin (A. Ledru).

2. Obs., 1. II, ch. LXIX, p. 294. La macle ou chiastolite est un silicate d'alumine, abondant dans les schistes siluriens de Bretagne, en particulier aux Salles-de-Rohan, près Pontivy. 3. Belon, Nat. des poissons, p. 435.

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