POÈMES INÉDITS DE NICOLAS RAPIN Lorsque le poète Rapin mourut, en 1608, sa réputation était grande, surtout parmi les derniers disciples et admirateurs de Ronsard. Mathurin Régnier le saluait comme l'honneur de sa génération' et l'appelait « le favori d'Apollon et des Muses ». Ce n'est pas qu'il eût beaucoup publié; il n'avait fait imprimer qu'un petit nombre de plaquettes de vers la traduction du vingt-huitième chant du Roland furieux (épisode de Joconde), les sept psaumes de la pénitence, quelques pièces choisies dédiées à Achille de Harlay. Quelques autres poèmes, comme les Plaisirs du gentilhomme champêtre, la Puce de Mademoiselle des Roches, se lisaient dans des recueils de vers dus à plusieurs poètes. D'autres enfin circulaient manuscrits. Dans son testament, Rapin chargeait sa fille Marie de brûler tout ce qu'elle rencontrerait « d'imparfait » dans ses poésies. « S'il se trouve quelques pièces qui vaillent, ajoutait-il, qu'elle ne permette qu'il en soit imprimé que par les mains ou de M. Gilot, conseiller à la cour, ou de M. de Sainte-Marthe, thrésorier de France à Poitiers, mes deux anciens et singuliers amis, lesquels je prie retrancher le plus qu'ils pourront, aimant mieux garder trois bonnes pièces que cinquante moindres et perdre le reste3. » 1. Voir le Sonnet sur la mort de Rapin : « Passant, cy-gist Rapin, la gloire de son âge », etc. 2. Satire IX, à M. Rapin. 3. Testament de Rapin, publié par Dreux du Radier, Bibliothèque historique et critique du Poitou, t. V, p. 441. Ses exécuteurs testamentaires publièrent, en 1610, une édition générale de ses œuvres. Elle comprend d'abord trois parties d'égale étendue : les vers latins (épigrammes et élégies), les poésies françaises traduites librement du latin, les œuvres françaises de l'invention du poète. Viennent ensuite les psaumes pénitentiels et les «< vers mesurez » sur le patron des vers latins. Au total, un volume de 320 pages in-8°. Les amis de Rapin avaient scrupuleusement observé ses dernières recommandations : ils n'avaient retenu dans cette édition que les meilleurs de ses poèmes. Guillaume Colletet, bien qu'il ignorât les dispositions du testament de Rapin, remarquait déjà que cette publication était incomplète et, dans la notice biographique qu'il consacrait à notre poète, il mentionnait quelques pièces de vers non recueillies dans le corps de ses œuvres : un poème publié à la fin du plaidoyer de Louis Dollé, avocat, contre les Jésuites (1595), et des épigrammes latines sur Théodore de Bèze, extraites de lettres appartenant au fils de Besly, l'historien poitevin, qui avait été lié avec Rapin'. Les lettres adressées par le poète à ses amis nous ont conservé d'autres poèmes jusqu'ici restés inédits. Nous en avons découvert un dans les papiers de la famille de SainteMarthe qui sont à la bibliothèque de l'Institut. C'est une épître latine, de quarante et un distiques, qui a été envoyée de Poitiers à Scévole de Sainte-Marthe, résidant à Paris3. Rapin dit l'avoir écrite en suivant les digues de la Loire, monté sur un cheval que Sainte-Marthe lui avait prêté pour se rendre à Poitiers. Au départ de Paris, il avait chargé sa monture d'une trousse trop pesante. Sainte-Marthe l'avait remarqué et s'en était plaint à Brisson, leur ami commun, qui avait communiqué ses récriminations à Rapin, l'ayant rejoint en route. Celui-ci, arrivé à Poitiers, s'empresse de répondre par son épître aux reproches de son ami. Comment Sainte-Marthe, qui le connaît depuis l'en 1. Voir cette biographie, publiée par P. Paris dans le Cabinet historique, t. XVII. 2. Trois autres lettres de Rapin à Scévole de Sainte-Marthe se fance, a-t-il pu le croire capable d'un acte indélicat? Il est bien vrai qu'il a chargé d'un porte-manteau pesant le cheval qui lui avait été prêté. Mais il l'en a débarrassé dès la première étape, aux portes mêmes de Paris, au faubourg Saint-Jacques. C'est là qu'il a passé la nuit, dans une hôtellerie fameuse, que fréquentèrent Ronsard, Dorat et son gendre Goulu et tous les amateurs de bonne chère. Rapin et ses compagnons de route s'y sont régalés d'une oie relevée d'un vin exquis. D'ailleurs, un homme de cheval n'éreinte pas sa monture. Or, Rapin se pique d'être un cavalier, et nous savons, en effet, qu'à la bataille d'Ivry il se distingua par son adresse à manier son cheval. Enfin, il a mis dix jours pour se rendre de Paris à Poitiers; comment son coursier aurait-il pu être fatigué? L'étape quotidienne n'avait été que de huit lieues environ. L'épître se termine par une allusion gaillarde aux joies que goûte Sainte-Marthe, resté à Paris, en compagnie d'une certaine Séverine, qui s'était montrée sévère pour le voyageur au moment où il allait mettre le pied à l'étrier : qu'elle prodigue ses baisers à Sainte-Marthe! Rapin s'en réjouira et cessera de la tenir pour une vulgaire souris d'auberge! Voici le texte de cette épître : [Fol. 246.] [Suscription.] A Monsieur Monsieur de Sainte-Marthe, Conseiller du Roy et Contreroleur général de ses finances en la Généralité de Poictiers, à Paris, en la rue de la Cheze à l'Ange. N. Rapinus Scaev. Sammarthano s. d. Parce queri, veterique fidem culpare sodalis: trouvent dans le même dossier. Nous les avons publiées dans la Revue du Bas-Poitou, 1922. 1. Désigne un cheval petit et court, employé dans les promenades à la campagne. Quodque tibi visum est dum nos excessimus urbe, Cum puer exclamat, possem ne ducere mannum, Tunc fremere incipio, servumque objurgo, sed ille omnem Quid facerem? presto comites hinc inde vocabant Hunc ego conscendo, disjecto fasce, domumque Et maneo et comites aegre invitique morantur Illuc occurris servo redeunte, videsque Mannus ut indigno pondere pressus erat. Agnovi, miser, hoc : sed dum volo texere causam, Cum tamen assererem non hoc nos ordine ituros Idque etiam hoc ipso quo vespere liquimus urbem : Prima suburbani excepit nos occa Jacobi, Illam Ronsardus pater, Auratusque 2 poeta, 1. Porte-manteau, trousse. 2. Jean Dorat, le maître de Ronsard au collège Coqueret. Et gener' et docti turba diserta chori. Norunt, cum coenis concelebrare solent. Atque ibi mutandas ponere sarcinulas. Si grave sum pondus, te praesensisse decebat : Alter cum judex, cum sit quaesitor et alter2 Repsimus huc spatio tandem bis quinque dierum Integer asturco3 patriis est redditus oris, Et domini in stabulis jamque quietus agit. An videar, tibi qui teneris sum notus ab annis, Non adeo ignavo di me genuere cerebro, Ut non quod deceat jus sociale, sciam. Parce ergo in veterem diffundere crimen amicum, 1. Nicolas Goulu, gendre de Dorat, professeur de grec au collège des Lecteurs royaux depuis 1567. Cf. A. Lefranc, La Pléiade au Collège de France, dans Grands Écrivains français de la Renaissance (1918). 2. L'un de ces deux personnages est Barnabé Brisson, avocat général au Parlement de Paris en 1575, président à mortier en 1580; mais qui est l'autre ? 3. Genêt d'Espagne. REV. DU SEIZIÈME SIÈCLE. IX. 18 |