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deux sources, qu'il doit mêler leurs eaux, et il a donné souvent, lui si chargé de souvenirs livresques, de beaux exemples d'équilibre. Enfin, c'eût été l'occasion de dire un mot de la théorie de l'imitation, de rappeler les formes qu'elle a revêtues, de la traduction littérale à l'assimilation jusqu'à la plus vague réminiscence. En ceci, surtout, Ronsard est un précurseur direct des grands classiques.

La seconde partie de la thèse de M. Franchet, consacrée à l'œuvre poétique, est un fort bon exposé des opinions généralement admises par les historiens et les critiques sur l'orthographe, la langue et le style de Ronsard. Il est acquis désormais que le maître de la Pléiade n'a jamais été, en matière de langage, le révolutionnaire qu'ont dit Boileau et ses innombrables successeurs, et l'étude attentive de ses poésies a montré qu'il était resté pratiquement bien en deçà des prétentions affichées dans ses préfaces. Il faut lire les pages de M. Franchet sur la «< cosmologie » de Ronsard, sur son admiration d'artiste et de renaissant pour les paysages naturels comme pour les déploiements de la force humaine, des jeux de cour aux batailles rangées. Le poète est captivé par le spectacle du monde extérieur, par l'apparence de l'homme, par la beauté et la puissance de ses actions; poète, et jamais psychologue, il chante les sentiments comme des thèmes offerts à sa fureur poétique. Les classiques du XVIIe siècle, au contraire, tenteront de dépouiller l'homme de tous les éléments accidentels auxquels s'arrêtent les écrivains de la Pléiade, et s'attacheront à l'étude de l'âme toute nue. Et il suffit de lire les principaux poètes, sur la route qui va de Ronsard à Desportes, à Malherbe et à Racine, pour suivre cette évolution du concret à l'abstrait, si l'on peut dire, cette élimination progressive du paysage, du costume, des impressions trop particulières ou purement sensibles. (Bien entendu, il faut opposer à ce mouvement celui qui mène à la satire, au burlesque, et tous les indépendants.) Il est difficile d'accepter sans réserve le chapitre sur la vérité poétique. M. Franchet, préoccupé de faire de Ronsard un fidèle disciple d'Aristote et un précurseur direct de Boileau, pour qui l'objet de la poésie est de peindre le vrai, construit son chapitre autour du jugement de Ronsard sur Lucrèce. Mais il me paraît en donner une interprétation inexacte : Ronsard dit expressément que si Lucrèce ne peut prétendre au titre de poète, c'est parce qu'au lieu de « bastir son œuvre sur la vraisemblance et sur le possible il a voulu travailler sur le vrai

(il a escrit ses frenesies, lesquelles il pensait estre vrayes, selon sa secte). Que ce soit la pensée de Ronsard, la distinction qu'il fait du poète et de l'historien, par laquelle il s'écarte d'Aristote, ne permet pas d'en douter. Et voici qui est clair : « J'ose seulement dire (si mon opinion a quelque poix) que le Poëte qui escrit les choses comme elles sont ne mérite tant que celuy qui les feint... » — Nous sommes loin de Boileau: « Rien n'est plus beau que le vrai... », — et il me semble exagéré de faire de Ronsard un observateur passionné de la nature. Il imagine une fiction poétique qui soit un « miroir de la vie humaine », sans doute, mais plutôt une vérité nouvelle (ou un mensonge), plus belle et plus émouvante que la réalité quotidienne. Il choisit pour cela des éléments disparates, produits de son observation personnelle et souvenirs plus ou moins élaborés de ses lectures. L'étude de la nature est chez lui très réelle, mais elle ne paraît être qu'un moyen parmi d'autres pour créer ce poème « vraisemblable et possible ». Et lorsqu'il est franchement réaliste, dans des folâtreries, des pièces légères, il écoute en lui le Gaulois avant de suivre Aristote.

Ces quelques observations ne diminuent en rien l'intérêt du livre de M. Franchet. Là même où il inviterait à la critique, il a le mérite de faire penser. Et il n'offre pas seulement un tableau du poète et de la poésie selon la Pléiade; sur un grand nombre de points de détail, il apporte de très utiles précisions ou des explications ingénieuses. Pour être juste, il faudrait citer les pages consacrées au mythe d'Hercule, au Temple de vertu, et en général au merveilleux gréco-latin dans Ronsard, les réflexions très neuves sur la légende de Francus, à laquelle on croyait bonnement en 1550, mais qui avait cessé d'être article de foi en 1572, après les Recherches de la France. Aux simples lettrés, le livre de M. Franchet offrira l'occasion de méditations agréables et fructueuses sur l'esthétique du grand Vendômois comme sur celles de tous nos poètes.

Marcel RAYMOND.

L. SAINEAN. L'Histoire naturelle et les branches connexes dans l'œuvre de Rabelais (extrait de la Revue du XVIe siècle, 1916-1921). Paris, Éd. Champion, 1921, 449 p., in-8°.

Les lecteurs de la Revue du XVIe siècle ont déjà pu lire et goûter, fractâ dosi, les profitables réflexions que M. Sainéan

réunit aujourd'hui en un volume sur l'Histoire naturelle... dans l'œuvre de Rabelais. Au lieu de l'apprécier, comme l'ont fait Le Double et Brémont, d'un point de vue trop actuel, en lui prêtant pour ainsi dire notre optique et une sorte de prescience qui n'apparaît point comme exempte d'illusion, M. Sainéan, pour juger et commenter Rabelais, s'est refait, si j'ose dire, une âme du xvie siècle. Il sait que l'érudition de son héros est plus forte des souvenirs du passé que d'acquisitions expérimentales et de notions personnelles; et il nous initie surtout à la vie des textes et des mots. Devenu naturaliste, en promenade au jardin des racines rabelaisiennes, M. Sainéan demeure philologue, et même assez pour répartir les animaux, végétaux et minéraux, cités dans la Pantagruéline épopée, non point d'après leurs connexions naturelles, mais selon les origines onomastiques et les sources documentaires; en sorte que les spécimens des trois règnes, tirés du cadre raisonné de la systématique, se présentent dans un ordre fort dispersé qui ne laisse pas d'embarrasser le lecteur. Vous me direz qu'on en est quitte pour chercher; que si l'on se perd, on se retrouvera, et qu'après tout il est profitable de s'égarer en compagnie de M. Sainéan. D'accord. Mais il y a des gens pressés et qu'en l'absence d'une classification rationnelle, une bonne table eût obligés.

L'œuvre entreprise par M. Sainéan était ardue. Il fallait définir les termes innombrables employés par Rabelais, et qui sont tirés communément de Pline, surtout; de Théophraste et de Dioscoride; et ceux-là seuls qui, depuis du Pinet jusqu'à Cuvier et Fée, Hofer et Joret, se sont essayés à préciser les vocables trop souvent incertains de la science antique peuvent mesurer le péril de la tâche et son étendue. D'autant qu'on ne saurait compter, pour élucider le sens où les prenait Rabelais, sur le concours de ses contemporains. Il n'est pas moins malaisé d'accorder Fuchs et Bauhin avec Clusius et Matthiole, ou Belon avec Rondelet, que de les concilier avec les anciens. M. Sainéan s'est généralement appuyé, pour interpréter Rabelais, sur Pierre Belon et sur Rondelet. Et même il estime que le point de départ des recherches ichthyologiques de Belon fut la fameuse énumération de la marée des Gastrolâtres, n'en voulant pour preuve que la mention, faite au Quart-Livre, d'un certain poisson nommé gracieux seigneur, dont le nom ne se trouve que dans Rabelais et dans Belon. Cet argument

me paraît insuffisant, étant donné que Belon, « nourri en jeunesse » au milieu des pêcheurs bretons, avait pu connaître le Cycloptère bien avant d'avoir lu Pantagruel, et qu'il avait pourchassé plus tard la faune maritime au cours de ses pérégrinations. M. Sainéan me pardonnera-t-il de hasarder encore quelques réflexions sur les diagnoses auxquelles il s'est arrêté? Si le francouly de Rabelais doit être assimilé au francolin à collier, Francolinus francolinus (L.), il est bien le « francolin proprement dit », au rebours du francolin de Belon qui (la figure en fait foi) n'est qu'un lagopède, Lagopus mutus (Martin). Si le flamant de Rabelais représente Phoenicopterus roseus (Pall.), je doute qu'on le puisse assimiler au flament ou flambant de Belon dont la description en diffère par plus d'un trait. Si la poularde de Rabelais est le Zeus faber, L. (p. 236), elle ne peut correspondre au poisson que Belon figure sous le nom de psoros, lepras, poule de mer ou vieille, et qui est notre Labrus bergylta, Cuv. et Val., mais bien à l'une des deux espèces (zeus faber, L., et z. pungio, Cuv. et Val.) que le Manceau confond sous le nom de dorée. Enfin, si le lièvre marin cité par M. Sainéan (p. 235), d'après Rondelet, est un poisson, celui de Belon, qu'il y accole, est une aplysie, mollusque tectibranche. Et quant au rémora de Belon, c'est un être énigmatique qui tient de l'aplysie ou de l'holothurie, et qui n'a du rémora que le nom. Pour terminer sur quelques remarques minéralogiques, je noterai (p. 153) que l'asbeste est à bon droit « prétendue »> incombustible, à tout le moins hors de la flamme du chalumeau; que l'alun de plume n'est point un schiste (p. 240), mais une variété fibreuse de l'alunite; et qu'enfin les crapaudines (p. 199) ne sont dents de loup de mer que pour Bosc; en réalité, elles proviennent de Ganoïdes fossiles bien différents de nos Acanthoptérygiens actuels. Ce sont là, du reste, observations de peu d'importance, et qui témoigneront seulement du soin que j'ai pris et du profit que j'ai trouvé à lire l'ouvrage de M. Sainéan. On ne saurait assez recommander aux historiens de la médecine et des sciences naturelles ce répertoire infiniment précieux.

Paul DELAUNAY.

REV. DU SEIZIÈME SIÈCLE. X.

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CHRONIQUE.

LA VILLAUMère.

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A propos de la note de M. Spaak sur La Villaumère (Revue du XVIe siècle, 1923, t. X, p. 79), n'y aurait-il pas lieu de rechercher pourquoi Joseph Scaliger a pris, dans son livre contre Titius, le pseudonyme d'Yvo Villiomarus? (Yv. Villiom. Aremor. in locos controversos Roberti Titii animadversorum liber. Ad nobilissimun virum Andream Oessentum Quinpentonii et Burentelli dominum, Mœcenatem suum. Lutetiæ, Mamertus Patissonius, 1586, in-8°).

Dans cet ouvrage, que Juste Lipse couvrit de louanges (lettres de 1587 à Cujas et à J. Mercier), Scaliger s'admire au point de dire que « Cujas n'eut sceu écrire comme luy » (Scaligerana, au mot Villiomarus). Scaliger habitait à ce moment le château d'Abain, en Poitou. Il y a d'ailleurs de nombreuses allusions à ce pseudonyme dans les Lettres françaises de Joseph Scaliger (édit. Tamizey de Larroque, 1881, à la table).

Dr DE SANTI.

NOSTRADAMUS A AGEN. - Il y a, sur le séjour de Nostradamus à Agen, indépendamment des articles de Moréri et de la Nouvelle Biographie générale, un très curieux passage dans l'Antichristum de Florimond de Romond (édit. 1599, p. 319) et, dans l'Histoire religieuse et monumentale du diocèse d'Agen de l'abbé Barrière, t. II, p. 203, une anecdote tirée des archives de l'évêché.

Quant aux démêlés confraternels des deux médecins, on en peut juger par quelques pièces des Poemata de Jules-César Scaliger, telles (édit. 1564): De Tryphone alchumista (in Farrago, t. I, p. 154); De Nostradamo (id., p. 199); In Nostradamum (id., p. 222); In Nostradamum (in Hipponax, t. I, p. 447); De Turpilione alcumista (in Manes Catull., I, p. 646).

GLANES BIBLIOGRAPHIQUES.

Dr DE SANTI.

Dr E. Wickersheimer, Catalogue des livres légués par Jean Protzer, docteur de l'un et l'autre droit, à l'hôpital du Saint-Esprit de Nordlingen, 1528

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