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compagnons de voyage: il ne retrouva que la barque vide. Nous le rejoignons peu après, en ce printemps de 1547, voguant entre Zante et Cythère (Cerigo) et s'amusant à étudier les oiseaux migrateurs qui venaient se prendre aux lacets sur le vaisseau. Il gagna la Crète, alors sous la domination vénitienne, et fut reçu fort courtoisement par « Messieurs les Calerges », gentilshommes puissants en ces lieux. A Rhethymo, le seigneur Baroczo lui fit donner escorte pour l'ascension du « mont de la Sphachie et Madara »> et il se divertit à voir les Sfachiotes

danser la pyrrhique telle qu'au temps des rois d'Épire. Le chevalier Antonio Calergo, de Candie, lui fournit des guides pour escalader le mont Ida. Il s'enfonça dans les vallées jadis pleines de dieux et pensa y admirer «<le sépulchre de Jupiter ». La chèvre Amalthée avait disparu : en fait de capripèdes, il ne vit que des bouquetins' et des troupeaux de ces moutons de Crète qu'il appelle strepsicheros et dont les cornes « sont cannelées en viz2 ». Pourchassant la faune et la flore, il sonda, au pied du mont sacré, les profondeurs d'une carrière (dans laquelle il crut retrouver le fameux labyrinthe) hantée d'innombrables chauves-souris dont le vol apeuré lui soufflait ses torches au passage3. Il assista à la récolte du ladanum, << drogue des plus renommées qui soit en nos parfums' » et que les religieux grecs ou caloières recueillaient sur le ciste. Il rencontra le dictame, plante « insigne » et chère

1. Desmarets dit que la description de Belon s'applique non pas au bouquetin des Alpes (Capra ibex, L.), mais au bouquetin du Caucase (C. Caucasica, Guldenstedt) (Deterville, Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle, art. Chèvre, t. VI, p. 421).

2. Ovis aries, L., race strepsiceros. Brisson en fait une espèce du G. Hircus, le H. laniger (cf. Euvres complètes de Buffon, augmentées de la classification de Cuvier, t. VI. Paris, Duménil, 1835, in-8°, p. 61 et 63, note).

3. De admirabili, p. 10.

4. Le ladanum entrait dans la composition de la thériaque céleste et de certains emplâtres. Il est, dit Lémery, « propre pour déterger, pour consolider, pour fortifier, pour résoudre ».

5. Cistus creticus, L.

aux blessés des âges héroïques, et peu s'en fallut qu'il n'en eût besoin':

Estans embarquez, dit-il, pour passer de Rethymo à la ville de Candie, advint que les coursaires nous rencontrans sur mer forcèrent nostre vaisseau de gaigner la coste entre Millopotamo et Cigalinus. Les mariniers abandonnèrent la barque, fuyants sur terre pour se sauver en la montaigne; toutesfois, pour ce que ce n'est la coustume que les coursaires delaissent leur vaisseau pour suyvir ceux qui fuyent sur terre, ils pillèrent seulement les hardes, laissans le vaisseau là avec ce qu'ils ne pouvoient emporter. Mais en nous sauvant par les montaignes, courusmes de frayeur jusques à tant que nous trouvassions un monastère de caloières en la vallée joignant le rivage.

Et ce lui fut aubaine pour étudier, en naturaliste et en dégustateur, certain poisson des eaux de Crète déjà prisé sur la table des empereurs romains, et que les moines, grands pêcheurs, appelaient Scarus".

Ainsi Belon demeura-t-il en Crète plus longtemps qu'il ne l'eût souhaité. Enfin, après un dernier coup de malvoisie, qu'il appréciait, il dit adieu à l'ile de Minos et s'embarqua pour Constantinople. Ce fut sans doute dans ce trajet qu'il faillit, une fois encore, tomber aux mains des corsaires. Son navire, une felouque vénitienne, La Priola, était ancré devant l'île de Tzia3, attendant un vent favorable pour voguer vers Stamboul, lorsque survint une barque pourchassée par les pirates depuis les côtes d'Andros. Elle se réfugia dans le port. Les bandits,

1. Origanum dictamnus, L., labiées.

2. La figure donnée par Belon laisse place au doute. Cuvier croit qu'elle ne répond pas au vrai scare des anciens. Peut-être, erreurs à part, Belon a-t-il représenté cependant le scarus cretensis, Valenciennes, famille des labroïdes, ordre des acanthoptérygiens.

3. Scio, Tzia, Zéa, Kea, anc. Ceos, l'une des îles Cyclades (Obs., 1. II, ch. x, p. 191). Encore au début du xIx° siècle, après la ruine du Pirée au cours de la guerre de l'Indépendance, les bateaux marchands faisaient escale à Zéa (J. Th. Bent, The Cyclades, or life among the insular Greeks. Londres, Longmans, Green and C°, 1885, in-8°, p. 448).

voyant la Priola, hésitèrent, puis s'allèrent cacher dans une crique, attendant la nuit pour attaquer de nouveau et saisir esquif et passagers. Ce qu'ils firent. Les hommes s'enfuirent à la nage; mais les femmes et les enfants demeurés aux mains des agresseurs allaient partir en captivité lorsque le capitaine de la Priola mit ses arquebusiers en position et démasqua un fauconneau qui tira quelques volées. Ce que voyant, les Turcs laissèrent là leur butin et déguerpirent'. Notre explorateur reprit sa route, visita Nègrepont, arriva vers la fin d'avril sur les rives du Pont-Euxin, aux bouches du Bosphore.

Tandis que Belon prenait le chemin des écoliers, d'Aramont, par Tchernica, Pleoljé, Novibazar, Kustendjéh, Philippopoli, gagnait Andrinople, où il fit son entrée le 6 avril, à la tête d'un brillant cortège. Reçu, dès le 12, en audience par Soliman, il lui remit les cadeaux offerts par François Ier et le pressa d'attaquer Charles-Quint à la fois par la Hongrie et par la Méditerranée. Le sultan hésita poussé par sa femme Roxolane, il méditait une expédition contre la Perse et, remettant la marche sur Vienne à l'année 1548, il se borna à promettre quelque action contre le Marchfeld et la Croatie, domaine de l'empereur Ferdinand Ier. Cette lettre est du début de mai 1547. Quand elle parvint à la cour de France, François Ier n'existait plus: il était mort le 31 mars. La nouvelle n'en fut connue en Turquie que le 8 mai. Un ambassadeur extraordinaire de Henri II, M. de Fumel, capitaine des gardes de la Porte2, en apporta bientôt l'annonce officielle et marqua au Grand Seigneur l'intention du nouveau roi de continuer la politique paternelle. D'Huyson, sur la fin de l'année, en vint réitérer l'assurance. Il était trop tard; déconcerté par la disparition de François Ier, Soliman venait de faire trêve avec l'Autriche et, tranquille du côté des Impériaux, regagnait sa capitale pour préparer la

1. Obs., 1. I, ch. x, p. 192.

2. François, baron de Fumel en Agenois, gentilhomme de la chambre du roi.

guerre contre la Perse. D'Aramont le suivit d'Andrinople à Constantinople, où il entra le 14 mai 1547.

Belon, pendant ce temps, explorait Stamboul et ne manqua point d'aller voir « un lieu... moult voisin de l'hippodrome, sur le chemin de Saincte Sophie, auquel sont gardées les bestes cruelles, où nous avons veu des lynces ou onces, des tygres, des lions, des liepards, des ours, des loups, lesquels les Mores gouvernent, ne se faignants de les manier non plus que nous ferions un chat privé ». II n'omit point de contempler, au palais de Constantin, les éléphants et un hippopotame; il s'ébahit de voir ce monstre ouvrir gueule « si grande que la teste d'un lion bâillant pourroit trouver place léans' ». Il inspectait aussi les environs, en compagnie de Pierre Gilles, et mesurait, avec son aide, la largeur du Bosphore cimmérien2. Thevet était-il de la partie? Rien ne dit qu'il ait, à l'origine, suivi M. d'Aramont. Mais il est certain que, pérégrinant à cette époque en Orient, il y retrouva son « amy Belon, [son] compaignon du païs de Levant », et Pierre Gilles, d'Albi3.

Belon, au surplus, ne perdait pas de vue le but principal de sa mission. Soucieux de connaître « toutes les espèces des marchandises, drogueries et autres matières qu'on vend par les boutiques de Turquie », il s'aboucha avec <«< un sçavant turc, docte en arabe ». Au moyen de la Table d'Avicenne, qui donnait la nomenclature arabe des drogues, il se fit composer une sorte de glossaire en langue turque, avec lequel il se tirait d'embarras dans les boutiques... et auprès des clients qui venaient consulter le médecin Roumi.

Estans appellez pour donner aide à quelque maladie, quand voulions avoir quelque chose d'une boutique de drogueur (car il n'y a aucuns apothicaires), si ne la pouvions bien proférer en leur langage, nous en monstrions l'escrit, afin que le marchand qui la vendoit la peust mieux entendre.

1. Estr. poissons, 1. II, p. 48 vo.

2. Ibid., p. 45 vo.

3. Thevet, Cosmographie universelle. Paris, 1575, t. I, fol. 42 r.

Et cette enquête avait son prix. L'importation des drogues, une des branches les plus florissantes du commerce levantin, était accaparée, depuis le moyen âge, par les Vénitiens. A la concurrence commerciale de la France, la mission de Belon pouvait apporter de précieux renseignements. Et la façon dont il comprit son rôle, les données qu'il recueillit sur les richesses naturelles de l'Asie dont nous n'étions que les indirects tributaires, nous prouve que l'objectif économique n'était point absent de ses préoccupations. D'autre part, le prix élevé de bon nombre de ces denrées incitait à des fraudes nombreuses : « Il faut bien prendre garde, écrit A. Mizauld, qu'aujourd'hui on trouvera à grand'peine de ces drogues qu'on apporte de pays estrange qui ne soient brouillées et sophistiquées, principalement de celles qu'on apporte d'Alexandrie et de Syrie car d'autant qu'elles passent par les mains des Mores, des Turcs et des Juifs qui ne se délectent à autre chose qu'à nous tromper, nous qui sommes chrestiens'. >>

Or, parmi les médicaments en renom, principalement « contre la peste et toutes défluxions », on citait la terre de Lemnos ou terre sigillée2, tant vantée que « les ambassadeurs qui retournent de Turquie en apport[aient] ordinairement pour en faire présent aux grands seigneurs ». Belon s'en procura plusieurs pastilles et en prit idée d'aller voir sur place le gisement d'un si précieux produit.

1. Voir C.-A.-E. Wickersheimer, La médecine et les médecins en France à l'époque de la Renaissance. Paris, Maloine, 1905, in-8°, p. 468-469, et, sur le commerce de la droguerie en gros, Ch. Buchet, Essai sur l'histoire de la droguerie (Bulletin de la Société d'histoire de la pharmacie, no 32, novembre 1921, p. 389-391).

2. La terre sigillée est du kaolin, coloré par de l'oxyde de fer. Elle n'a d'autres vertus que ses propriétés absorbantes et adhésives; Scultet l'employait déjà en 1622 dans les dyspepsies douloureuses, et l'on y revient de nos jours comme topique de l'ulcère gastrique en raison de la cherté des sels de bismuth. Le kaolin, par son opacité, est également utilisé pour la radioscopie digestive. Cf., sur la terre lemnienne, l'intéressant travail de C. J. S. Thompson, History of medicine, Terra sigillata, a Famous medicament of ancient Times (XVII Congrès international de médecine, Londres, 1913). Londres, Frowde, Hodder, Stoughton, 1914, paginé 433-444.

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