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louange eût été facile au poète qui avait trouvé le moyen d'être inspiré en parlant de Pierre de Bourbon et de Philibert de Savoie.

Il garda le silence, comme s'il eût partagé l'opinion du Loyal serviteur, déclarant que pour décrire les vertus et la vie de la reine, ainsi qu'elle le mérite, « il faudroit que Dieu fit rescuciter Cicéron pour le latin et maître Jean de Meung pour le françois, car les modernes n'y sauroient atteindre »; il se borna à se plaindre, invoquant le « haut altitonant >>> en un nouveau virelai double (IV, 269), d'avoir sans cesse à raconter:

Les faits dolents de mort qui tout dévore...

... Du bon Bourbon le trépas survenant
Me fit pleurer; et puis, tout d'un tenant,
J'ai déploré la perte de Ligny;
Savoie après et Castille plaigny;
Voici la suite et le pis avenant
Quand Il te plaît !

S'il faut toujours qu'en la fin je déplore

Prince ou princesse, en quoi faisant soupire,

Il me déplaît...

et ce fut à la seule expression de cette répugnance que se réduisit son oraison funèbre de la reine Anne.

Du temps qu'il passa à Blois date, sans doute, une traduction qu'il fit, en vingt alexandrins, de l'épitaphe latine de Gaston de Foix, tué à la bataille de Ravenne le 11 avril 1512; c'est peut-être, également, entre 1514 et 1520 qu'il écrivit les poèmes intitulés : Les trois Contes de Cupido et d'Atropos (III, 39).

Mais, d'abord, sont-ils tous trois de lui? Ils furent publiés en 1525' et portaient, en sous-titre, l'indication

tait point le luxe ni la flatterie, les lettres, les arts, les industries artistiques trouvèrent auprès d'elle un accueil sans rival (de Maulde La Clavière, introduction aux Chroniques de Louis XII, par Jean d'Auton, t. I, p. 11).

1. Il existe une autre édition du premier tiers du xvr siècle, sans

suivante: «... le premier fut inventé par Séraphin, poète italien, et traduit par Jean Le Maire. Le second et le tiers de l'invention de maître Jean Le Maire, et a été cette œuvre fondée afin de retirer les gens de folles amours. » Si Lemaire était l'auteur de ces quatre lignes, il n'y aurait nul doute et les trois contes, dans la mesure qu'il indique, lui appartiendraient évidemment; mais, en 1525, Lemaire était mort; la note de l'éditeur pouvait être erronée et lui attribuer faussement le troisième conte dont M. Guy, notamment, lui refuse la paternité.

Deux sonnets de Serafino Ciminelli d'Aquila' furent le point de départ de ces poèmes. Il y était conté que l'Amour et la Mort, s'étant enivrés, échangèrent leurs arcs par erreur et que, désormais, tous les vieillards frappés par celle-ci devenaient amoureux, tandis que les jeunes gens atteints par Cupidon, au lieu d'aimer, perdaient la vie. Telle est la matière du premier conte que Lemaire, pour rappeler, peut-être, que son modèle était italien, écrivit en terza rima, comme il s'y était exercé déjà à deux reprises.

Dans le second, plus long et moins bien composé, Vénus punit son fils, dont l'imprudence a vilainement blessé Volupté, et précipite l'arc mortifère dans les fossés de son palais. Hélas! le poison des flèches gâte affreusement l'eau qu'y buvaient les amoureux et, symbole trop clair, les voici désormais atteints d'une maladie, nouvelle en France à cette époque, maladie que les Français de Charles VIII disaient avoir rapportée de Naples, et qui doit posséder de réelles vertus littéraires, puisque, après avoir occupé abondamment des poètes et des prosateurs du xvie siècle, elle a encore inspiré, de nos jours, un académicien dramaturge.

Quoiqu'il puisse paraître d'un goût assez fâcheux de

indication de date ni d'auteur. Voir Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVI siècle, p. 43.

1. Poète italien, d'une immense renommée durant sa vie et jusque vers 1550; né à Aquila en 1466, mort à Rome en 1500.

mêler la pathologie aux lettres et de donner, en vers ou en prose dramatique, des conseils d'hygiène, reconnaissons que, pour son temps surtout, Lemaire a traité son sujet presque délicatement; de plus, ses intentions furent aussi morales que celles de M. Brieux, puisqu'il écrit ses contes << afin de retirer les gens de folles amours » et qu'il espère que ce cruel châtiment va rendre, par une crainte salutaire,« prudhome » et « prudefemme » un grand nombre de ceux dont la chasteté était déjà presque « à néant » (III, 55).

Le troisième conte, enfin, met en scène Volupté et Mégère, qui, dans un concile réuni à Tours par le Maître des dieux, l'an

Mil cinq cent vingt, le premier de septembre (III, 59),

plaident l'une et l'autre afin que Cupidon et Atropos rentrent en possession de leurs arcs respectifs; et l'aventure se termine par un arrêt de Jupiter qui, sous certaines conditions, leur octroie des armes nouvelles.

Ce troisième conte, dit M. Guy, ne saurait en aucune façon être attribué à notre poète, parce que les vers en sont faibles et que, « rimés d'ailleurs en 1520, ils se terminent par la devise Cœur à bon droit et non par celle de Lemaire, De peu assez1 ».

Si ce problème d'attribution devait être résolu d'après la seule qualité des vers, on pourrait ne point partager l'opinion de M. Guy. Ils sont, en effet, aussi faciles, corrects, richement rimés que tous ceux qu'écrivit Lemaire; ils témoignent d'une connaissance égale du métier littéraire; on y retrouve enfin, dans le ton, le rythme, le choix des images et des rimes rares, dans l'intervention de Mercure-Orateur, si fréquente chez Lemaire, — dans une évocation de la Discorde et du rôle qu'elle joua au banquet des dieux, souvenir des Illustrations de Gaule, les formes et la tournure d'esprit habituelles au poète << belgien ».

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1. Voir H. Guy, ouvr. cité, p. 205.

Le fait qu'ils sont de 1520 n'empêcherait pas, d'autre part, qu'ils fussent de sa plume; il n'est pas démontré qu'à cette date Lemaire fût mort ou incapable de les écrire. Mais il est vrai que le poème se termine ainsi :

.... qui blâmer m'en voudroit,

Je montrerois avoir cœur à bon droit (III, 67).

et ces quatre derniers mots semblent bien former une de ces devises par lesquelles les rhétoriqueurs signaient leurs œuvres, encore que dans l'édition de 1525, qui attribue les trois contes à Lemaire, la sienne, De peu assez, se retrouve imprimée au-dessous du troisième'.

Un dernier motif nous ferait, enfin, partager l'opinion de M. Guy, c'est que ce troisième conte, qui développe deux plaidoiries de Mégère et de Volupté, les appuie sur des considérations juridiques si spéciales, exactes et précises, qu'elles révèlent une connaissance particulière, — nous serions tenté de dire « professionnelle », - du droit, que rien, jusqu'à présent, ne nous a fait soupçonner chez Lemaire.

Ces trois contes, qui, comme les Épîtres de l'Amant vert, sont du Lemaire souriant, témoignent d'un talent d'invention qu'on ne rencontre guère chez les poètes de l'époque. Dans une étude sur Jean Lemaire, à laquelle nous reviendrons, M. Abel Lefranc remarque, justement, qu'on y rencontre en germe ce « lucianisme », inspirateur prochain de tant d'oeuvres françaises, qui raille et parodie les dieux, et qu'on songe, en les lisant, à quelque page légère du XVIIIe siècle. Ils contiennent plusieurs de ces vers bien venus que seul trouve un poète et un artiste :

Je les fais vivre en un joyeux désir,

1. Ajoutons que, d'après M. Guy, ces mots Cœur à bon droit souscrivent Les Louanges et Epitaphes... de Mm la duchesse de Valois, comtesse de Taillebourg, écrites la même année (voir Bibl. nat., fr. 1721, 107 2o, 111 2o). Voir ouvr. cité, p. 206.

2. Voir Revue des Cours et Conférences, 1o trimestre 1911.

dit l'Amour, parlant de ses victimes, et il ajoute, s'adressant à la Mort :

Chacun m'adore et suis dieu triomphant;
Mais tout chacun te fuit comme le diable :
Tu es trop froide, et je suis échauffant!...

... Lors, en disant les paroles presentes,
Eux deux s'en vont entrer en la taverne,
Sans point laver leurs mains tant innocentes.

La Mort buvoit autant qu'une citerne...

Et quand Atropos et l'Amour, ayant échangé leurs arcs, se servent aveuglément chacun de l'arme de son compagnon:

Là, eut un bruit tout plein d'horrible encombre',
Et cris tranchants bien pour fendre une roche :
Mort fait lumière et Cupidon fait ombre!...

Voici, d'ailleurs, le début charmant du deuxième conte:

N'a pas longtemps qu'il me fut raconté
Comment Amour qui s'étoit mesconté2
Prit d'Atropos l'horrible et cruel arc
Dont il occit maintes gens en un parc.
Or, s'en vint-il depuis, tout ivre et las,
Tant eût-il pris de vin et de soulas3,
Rendre au giron de sa dame de mère,
Qu'on dit Vénus, or1 douce et puis amère.
Elle est déesse et de rien ne lui chaut.

Si dormoit lors dedans un poêle chaud,
Sur un mol lit de plumettes délies",

Bien tapissé de verdures jolies.

Tout à l'entour sont des Nymphes et Grâces,
Nues dormant, bien refaites et grasses.

1. Le texte porte encontre; c'est évidemment encombre qu'il faut

lire, comme l'indiquent les rimes nombre et ombre.

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3. plaisir. 4. tantôt. - 5. Elle. 6. sous un dais.

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