Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

polie des derniers Valois, - sont fréquemment plats et grossiers, où la grivoiserie se distingue à peine de l'obscénité, il se montre délicat, même s'il lui arrive de traiter un sujet scabreux. Plus encore que la musique, dont il a compris, avant les poètes de la Pléiade, toute la valeur esthétique, il aime la peinture et, ne se bornant pas à en célébrer les œuvres, il lui emprunte ses figures et ses décors, et, par des moyens littéraires, reproduit ses tableaux.

Trouverait-on avant lui, dans la littérature française, des descriptions de paysages senties et vues comme les siennes? Trouverait-on, surtout, un prosateur ou un poète exprimant, comme il l'a fait, l'admiration purement esthétique de la forme humaine et, particulièrement, de la belle nudité féminine?

Sa préoccupation de la ligne et de la couleur le conduit, naturellement, à vouloir les exprimer par l'instrument poétique dont il use et, plus qu'aucun autre, il s'attache à perfectionner sa langue, à l'assouplir, à lui donner, tour à tour, de l'ampleur et de la rapidité, de la noblesse et de la grâce, à s'aider de la sonorité des mots et du rythme des phrases pour traduire plus communicativement les images qu'il voit et les émotions qu'il éprouve. Avant Tory, Ramus, Le Roy, Peletier du Mans, Henri Estienne, il vante les mérites du français et dénie la supériorité de l'italien, seule langue moderne qui pût alors rivaliser avec lui'. Décidé à « l'illustrer », il s'applique à en montrer les ressources par l'emploi d'un vocabulaire extrêmement varié. Comme Ronsard le recommandera plus tard dans l'Abrégé de l'Art poétique et dans la Préface sur la Franciade, il a recours au dictionnaire particulier des « artisans de tous mestiers » et n'hésite pas à employer des termes provinciaux, notamment de son pays de Hainaut, — « pourveu qu'ils soient bons et que proprement ils signifient ce qu'il veut dire2 ». Enfin, par

1. Voir t. I, p. 10-11; t. III, p. 98, 99, 105.

2. Ronsard, Œuvres, édit. Blanchemain, t. VII, p. 321, et t. III,

P. 31.

la création de nombreux néologismes, il montre comment on enrichit la langue et l'adapte aux besoins nouveaux de la culture.

Pas plus que Rabelais, pas plus que Ronsard, pas plus que les meilleurs esprits du xvie siècle, il ne garde, sur ce point, la mesure qu'il eût fallu pour éviter le reproche que Boileau adressera plus tard à ceux dont « la muse, en françois, parle grec et latin ». Du premier de ces idiomes, il ne semble guère avoir connu que quelques mots, encore qu'il fasse allusion à « la faconde du beau langage grec » (II, 198); mais, quant au latin, pour lui comme pour tous les érudits du temps, c'était sa langue, au même titre que le français, et il y puisa copieusement les éléments de nombreux mots qu'il construisait savamment, afin de « magnifier » par eux sa « maternelle »'.

Car il aima les mots, les mots rares, évocatifs, les noms propres sonores, les adjectifs colorés, éclatants, toutes les expressions qui font voir en peignant. Il s'en compose une palette au moyen de laquelle il enlumine de grands tableaux, largement conçus, dont il élague tous détails qui ne se fondraient point dans l'harmonie de l'ensemble. S'il se plaît aux développements oratoires, aux discours solennels, aux harangues d'apparat et se souvient alors de Chastelain plus encore que de Cicécon, il sait, quand il le faut, être rapide, précis, trouver le trait qui peint; certains de ses portraits, tels ceux de Mars et d'Hector (I, 209 et 313), sont d'étonnants exemples de cet art accompli, et, tout en étant, comme l'indique M. Lefranc, par sa réalisation d'une prose poétique, le précurseur de d'Urfé, de Bossuet, de Fénelon, de Chateaubriand, de Baudelaire, de Flaubert, il trouve, par sa façon d'écrire ses traités politiques, le moyen d'annoncer le style ample et nerveux de Calvin 2.

1. Voir A. Humpers, Étude sur la Langue de Jean Lemaire de Belges, Paris, 1921, p. 166 et suiv.

2. A. Lefranc, Jean Lemaire de Belges. Revue des Cours et Conférences, 1910-1911, p. 773 et suiv.

Poète, la technique de son art l'intéresse. Nous avons vu que, s'il eut grand souci de la forme des vers, il ne tomba qu'exceptionnellement dans les exagérations ridicules, - quoique bien intentionnées, des rhétoriqueurs; il pratiqua d'ailleurs fort peu les genres préférés par ceux-ci; nous ne possédons de lui ni chant royal, ni villanelle, ni pastourelle, ni débat, ni blason, ni nulle sorte de lai; deux ballades, deux virelais et quelques rondeaux rappellent seuls dans son œuvre les petits poèmes à forme fixe chers à l'école qui l'instruisit. L'épître et le conte, tels qu'il les conçut, étaient des genres relativement nouveaux, et, s'il resta fidèle, dans ses diverses déplorations, à des modèles surannés, s'il s'amusa, parfois, au jeu compliqué des rimes et des allitérations, il finit par abandonner franchement toutes les pratiques étroites de ses maîtres et rajeunit la prosodie par des innovations métriques qui font de lui, notamment, l'introducteur des tercets dans la poésie française et le restaurateur de l'alexandrin.

L'une de ses innovations a définitivement transformé le vers français. Elle prouve le sens du rythme que possédait Lemaire et la délicatesse de son oreille. Avant lui les poètes n'observaient point ce qu'on appelle la coupe féminine; ils écrivaient :

Santé, jeunesse, long vivre et paradis1...

sans faire compter pour un pied l'e muet tombant à la césure, ou, ce qui ne valait pas mieux, ils marquaient la césure par l'e muet lui-même :

Gentilhomme de l'ostel de la Royne 2...

Lemaire établit la règle absolue de l'élision de ces

1. Jean d'Auton, Ballade à Louis XII. Chronique, édit. de Maulde La Clavière, t. I, p. xxvi, no 3.

2. Jean Marot, Le Voyage de Venise, édit. Coustellier, Paris, 1723,

P. 82.

voyelles; il l'enseigna à Clément Marot', et, depuis lors, elle est demeurée l'une des plus unanimement respectées de la prosodie.

Il n'était pas possible qu'un artiste de cette qualité n'exerçât pas une influence sensible et longue sur les jeunes écrivains qui rêvaient alors une renaissance littéraire. Quelque original qu'il se montrât de bonne heure, Clément Marot resta toujours plein des souvenirs qu'il gardait de Jean Lemaire. Il était certainement encore adolescent quand il l'avait rencontré, à Blois sans doute, et lui avait fait voir ses premières productions. Lemaire, ayant à peine dépassé la quarantaine, avait dù l'éblouir par sa large réputation, par son talent et, plus encore, par son savoir que n'égalerait jamais celui du jeune Français. Ils parlèrent de leur art; le disciple écouta et retint les leçons du maître; il commença même dans son Temple de Cupido, qui n'est qu'une réplique plus coulante, plus «< melliflue », mais moins nerveuse et moins chaude, de la description du temple de Vénus, il commença par lui emprunter son sujet, ses idées, ses images et ses rimes; plus personnel ensuite, il conserva cependant quelque chose de cette musique fleurie que Lemaire lui avait fait

1. Clém. Marot, Préface de l'Adolescence clémentine (1532) : « ... ) les coupes féminines que je n'observois encor alors, dont Jehan Le Maire de Belges (en les m'apprenant) me reprint... » Voir, sur cette question, Ph. Martinon, La Genèse des Règles de Jean Lemaire à Malherbe (Revue d'Histoire littéraire de la France, 1909, p. 62). M. Thibaut (ouvr. cité, p. 236) s'est totalement mépris en croyant que ce que Lemaire avait enseigné à Marot était « l'entrelacement des rimes masculines et féminines ». Cet entrelacement régulier ne fut point observé par Lemaire. C'est également par erreur que M. Guy (ouvr. cité, p. 90) indique Octavien de Saint-Gelays comme étant le premier qui effectua cet entrelacement. On le trouve, fidèlement respecté, dans nombre de poètes lyriques médiévaux et notamment dans les 140 huitains de la Recollection des Merveilles advenues en notre Temps, de Chastellain et de Molinet. Chose particulière, Molinet, qui ne s'était jamais soucié de cette règle, l'applique scrupuleusement, lorsque, à la 44° strophe, il reprend l'œuvre abandonnée par Chastellain.

goûter, et le nom du maître fut l'un de ceux qui revinrent le plus souvent sous la plume de l'élève, toujours accompagné d'une louange flatteuse.

A la fin de sa vie, encore, dans un poème écrit en 1543, imaginant que son père lui parlait des Champs-Élysées et lui disait s'y trouver avec divers poètes et

Ton Jean Lemaire entre eux haut colloqué1...

par le premier mot de ce vers il ajoutait, délicatement, à l'expression d'une constante admiration, le souvenir attendri de son ancienne amitié.

Sans être aussi directe, l'influence qu'exerça Lemaire sur Ronsard fut au moins aussi forte. On a dit erronément que l'école de la Pléiade lui devait le goût des diminutifs, dont elle fit un si grand usage; ce goût est bien antérieur à Lemaire, et Froissart, pour ne citer qu'un nom, est rempli d'herbelettes, de colombettes, de bergerettes et de rossignolets. Si le Belge éblouit les jeunes poètes de 1550, et spécialement leur chef, c'est bien moins par les ornements extérieurs de sa poésie que par sa prose et l'esprit qui l'animait. Il suffit de songer à l'art qu'ils aimèrent, aux écrivains anciens qui furent leurs dieux, à l'accueil enthousiaste et immodéré qu'ils firent à tout ce que Rome et la Grècs leur apportaient de réalités et de fables pour deviner avec quelle joie ils lurent les Illustrations. Il est possible, on l'a dit, que sans elles la Franciade n'eût pas été écrite et la littérature française n'y eût pas énormément perdu. Mais si Ronsard se trompa en y cherchant un sujet, il y trouva maintes autres choses dont il se sut« quelques fois fort bien aider », et Pasquier ajoute que « les plus riches traits de cette belle hymne que notre Ronsard fit sur la mort de la reine de Navarre sont

1. Clément Marot, Complainte de Monsieur le Général Guillaume Prud'homme.

2. Voir H. Guy, Les Sources françaises de Ronsard. Revue de l'Histoire littéraire de la France, 1902, p. 217.

« VorigeDoorgaan »