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tirés de lui (Lemaire) au jugement que Pâris donna des trois déesses' ».

Ainsi le plus grand poète du xvIe siècle, et l'un des plus beaux que la France ait eus, avait admiré, comme nous les admirons de nouveau, ces pages éclatantes, et ce sont elles, parmi maintes autres du vieux « Belgeois »>, qui lui enseignèrent le moyen d'ennoblir la poésie française par le respect d'un art élevé et par l'amour de la beauté du monde.

Tel qu'il nous apparaît maintenant par son œuvre, Jean Lemaire, au milieu des hommes de lettres de son temps, révèle nettement qu'il appartient à une espèce particulière d'artistes dont furent prodigues les provinces belges.

On ne compte plus, dans les Flandres française et flamande et dans le pays wallon avoisinant, les écrivains qui, trouvant insuffisant de n'aimer que leur art, s'intéressent aux autres, en étudient et en admirent les créations et, s'ils sont poètes, enrichissent leur poésie de tout ce que la peinture, la sculpture ou la musique peuvent lui communiquer d'images, de couleurs ou de rythmes; mais, plus spécialement, nous les reconnaissons vraiment belges, ces écrivains pour qui le monde réel existe et qui nous font partager les émotions qu'il éveille en leur àme quand ils l'ont regardé avec leurs yeux de peintres.

Qu'ils s'appellent Ruysbroeck, Froissart, Chastellain ou Jean Lemaire, qu'ils soient, plus près de nous, un Verhaeren ou un Maeterlinck, tous ont une qualité qu'exprime parfaitement un mot du vieux français, tous sont des « imagiers ». Même lorsqu'ils s'élèvent aux plus hauts sommets du monde des idées, tous n'arrivent à s'exprimer à leur gré qu'en empruntant à la vie vivante ses couleurs et ses formes; pareils à leurs frères les peintres, ils ont reçu le don de voir et, voulussent-ils se détacher de la terre, elle les a si bien ravis de ses spectacles que nulles visions abstraites n'effaceront jamais les images qu'ils en ont gardées.

1. Pasquier, Recherches de la France, 1. VII, ch. v.

Jean Lemaire est bien de ceux-là; quelque « intellectuel » qu'il fût, il a aimé la vie réelle, vivante, sensible, qui entoure les hommes d'un décor attrayant, et de cette réalité puissante et saine il a fait la substance durable de

son œuvre.

Mais ce n'était point assez pour qu'il devint le poète qu'il fut, et l'on sent bien, en le lisant, qu'il y a, dans ses belles pages, autre chose encore que ces qualités solides, mais un peu lourdes, qui forment le fond de sa nature et l'apparentent aux artistes flamands. Il s'y trouve ce qu'il n'a découvert ni en lui ni chez lui: un souffle aérien, une lumière délicate, une flamme subtile; c'est le génie latin.

Comme tous les grands Belges, inconsciemment peutêtre, il a éprouvé la nécessité, pour élever son âme, élargir son esprit, d'opérer en lui la fusion de ses qualités personnelles avec celles dont est fait ce génie latin. Il a compris, comme après lui Rubens, Van Dyck, Orlando de Lassus et comme au XIXe siècle et de nos jours tous ceux qui ont illustré la Belgique, il a compris qu'un Flamand, quelque originales et précieuses que soient ses aptitudes, ne peut compter sur elles seules s'il veut réaliser de ces œuvres éternelles rayonnant sur le monde, et qu'il est indispensable qu'elles soient fécondées.

Il faut qu'elles se complètent de tout ce qui leur manque naturellement le goût, la finesse, la clarté, la distinction, une alacrité d'esprit, un sens de l'ordre, un rythme apollinien de pensée et d'élocution et qu'elles soient exaltées par un large désir d'idéal qui seul donne, à ceux qu'il anime, la force de pénétrer par quelques derniers coups d'ailes, dans la région où se créent les chefsd'œuvre parfaits.

C'est de ces vertus qu'est formé ce génie, en qui s'est concentré tout ce qui demeure vivant du génie grec; or, l'histoire tout entière de l'âme belge nous apprend que de toutes les unions qui lui ont été offertes il n'en est point qui furent plus brillantes et plus fécondes que celle qu'elle a mille fois répétée avec l'esprit latin.

Plus cette âme est foncièrement flamande, plus lui est efficace cet admirable levain; mieux elle trouve, par lui, le moyen d'exprimer d'une façon complète les divers aspects de son originalité. Qu'auraient été Rubens et Van Dyck sans l'Italie? Verhaeren et Maeterlinck sans la culture française?

Avant eux, Jean Lemaire fit donc ce qu'ils avaient fait; ce fut le secret de sa force et de sa réussite. Et si toute une part de son œuvre, qui longtemps parut morte, se remet à vivre aujourd'hui, c'est parce qu'en l'écrivant il s'est tourné vers la France, vers Rome et vers la Grèce, c'est-à-dire du côté où, depuis deux mille ans, le ciel est resté clair.

Paul SPAAK.

LA

LÉGENDE DE NOSTRADAMUS

ET SA VIE RÉELLE

On a tellement parlé et écrit sur la prophétie en général qu'il ne reste pas grand'chose de nouveau à dire sur ce sujet, mais un intérêt spécial s'attachera toujours aux individus qui, par leurs prophéties, ont attiré l'attention du monde sur eux. Le rôle qu'ils ont tenu dans le grand drame de la vie ne se laisse pas facilement comprendre et fournit une source inépuisable de recherches intéressantes et de conjectures.

De nombreux écrivains ont étudié Nostradamus, mais toujours pour énoncer leurs idées préconçues et les justifier par des arguments qui ne sont en définitive que les réitérations de leurs préjugés pour ou contre le prophète'. Même les contemporains de Nostradamus, et ceux qui auraient pu parler de lui avec quelque vérité, ont manqué de modération, et ses apologistes ne sont pas moins coupables que ses détracteurs. Par conséquent, les parcelles de vérité se trouvent si bien ensevelies dans des masses de fausseté que c'est le problème de la pierre philosophale qu'il faut démêler. Passe encore pour les modernes; la rareté des documents authentiques pourra leur servir d'excuse, ainsi qu'à nous; mais que les amis

1. Nous avons abordé ce sujet sans aucun parti pris et sans vouloir justifier ni discréditer Nostradamus. Si la plus grande partie de notre contribution consiste en réfutations, c'est la faute aux partisans du prophète, qui lui ont attribué des qualités absurdes et ridicules. Nostradamus pourrait bien dire : « Je me chargerai moi-même de mes ennemis, mais que Dieu me défende contre mes amis. >>

intimes de Nostradamus ne nous aient laissé que quelques lignes sur lui, c'est vraiment inexcusable et c'est un grand malheur.

<< Michel de Nostredame, médecin du roy Henri II, et le plus grand astronome qui fut jamais », naquit à SaintRemy (maintenant compris dans le département des Bouches-du-Rhône) le 14 décembre 1503. Si les prophéties de Nostradamus sont remplies de désastres et de pestes, c'est dû peut-être à une influence prénatale, car à ce moment la peste sévissait dans toute la région, et, le jour même de sa naissance, le parlement d'Aix, nouvellement constitué, quitta, en faveur de Brignoles, cette ville infestée'.

Saint-Remy était ce qu'il est actuellement, un village typique de Provence, peu éloigné des villes antiques, Arles et Avignon. I respire l'antiquité; son arc de triomphe et son mausolée, abrités par les rocailleuses Alpines, sont encore des témoins éloquents de l'occupation romaine. Comme aujourd'hui, l'esprit provençal y florissait dans toute sa vigueur. C'est à quatre kilomètres de Saint-Remy, à Maillane, que Mistral a opéré la renaissance provençale.

L'éducation du jeune homme se fit sous les auspices les plus favorables. La Renaissance commençait. « La découverte de l'Italie » venait de s'accomplir et les armées de Charles VIII et de Louis XII avaient passé tout près de Saint-Remy. François Ier devait conduire les siennes par la même route. On ne se rendait pas encore compte de l'importance des événements historiques en cours; toutefois l'activité intellectuelle et guerrière ne pouvait guère manquer de faire une grande impression sur les habitants de cette région.

Mais dans la famille Nostredame on n'avait pas attendu la Renaissance pour s'instruire. Des côtés paternel et maternel le jeune Michel avait reçu un excellent héritage

1. César de Nostredame, Histoire et chronique de Provence, p. 722.

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