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à qui le gouvernement de Florence permettait le retour moyennant une contribution en argent, et surtout moyennant la cérémonic religieuse de l'offrande, qui, n'ayant été dans l'origine usitée que vis-à-vis des criminels, était réputée infamante. Il est vrai, comme le fait observer Fauriel, que la fréquente application de cette cérémonie à des cas purement politiques avait fort adouci la rigueur de l'opinion publique à cet égard. M. Villemain a le premier fait connaître, en France, la fière réponse par laquelle le poële refuse de se soumettre aux conditions qu'on lui propose. L'âme du proscrit y éclate tout entière. Nous ne résistons pas au plaisir de rappeler la fin de cette admirable lettre. « Est-il généreux, dites<< moi, de me rappeler dans ma patrie à de pareilles conditions, << après un exil de près de trois lustres ? Est-ce là ce qu'a mérité <«< mon innocence manifeste à tous? Est-ce là ce qui est dû à tant de « veilles et de fatigues consacrées à l'étude? Ah! loin d'un homme << familiarisé avec la philosophie, la stupide humilité de cœur qui «<le porterait à subir, en vaincu, la cérémonie de l'offrande, <«< comme l'a fait certain prétendu savant, comme l'ont fait d'au<< tres misérables! Ah! loin de l'homme accoutumé à prêcher la «< justice, et à qui on a fait tort, la bassesse de porter son argent « à ceux qui lui ont fait tort, les traitant comme des bienfaiteurs!

<< Non, mon père, ce n'est pas là, pour moi, la voie de rentrer <«< dans ma patrie. Si vous en avez déjà découvert, ou si quelqu'un << par la suite en découvre quelque autre où je puisse conserver in<<< tacts mon honneur et mon renom, me voici prêt à y entrer à grands << pas. Que si, pour retourner à Florence, il n'y a pas d'autre chemin « que celui qui m'est ouvert, je ne retournerai point à Florence.

«Eh quoi ne puis-je pas partout contempler le soleil et les << astres? Ne puis-je pas me livrer partout à la douce recherche de << la vérité ? Ai-je besoin, pour cela, d'aller perdre ma réputation, « d'aller m'avilir dans la cité des Florentins? Non, certes! non, << pas même pour avoir du pain. »

Fauriel raconte toutes les épreuves de la destinée de Dante, ses infructueuses tentatives pour rentrer dans sa patrie, soit par la voie des armes, soit par d'autres moyens. Il marque toutes les stations de son douloureux exil, de cet exil dans lequel Dante, comme il se le fait prédire dans son poëme par son aïeul Cacciaguida, éprouva « combien le pain d'autrui a de sel et comme le chemin est dur quand il faut monter et descendre par l'escalier d'autrui. »

Toute cette biographic est un morceau achevé; la liaison des accidents de la vie du poëte avec les déterminations progressives de son talent poétique y est indiquée avec une parfaite sagacité.

Fauriel fait ensuite l'histoire de la culture littéraire des Italiens avant Dante. Il recherche et constate l'influence, en Italie, de celte poésie provençale dont l'héroïsme et l'amour furent la double inspiration. Il en suit les imitations dans les écoles italiennes de Sicile et de Bologne: la première, formée à cette cour de Frédéric II qui, pendant vingt-cinq ans, de 1225 à 1250, fut un véritable Parnasse où tout le monde fit des vers d'amour, les chevaliers, les juges, les ministres, les fils de l'empereur et l'empereur luimême la seconde, établie de 1250 à 1270 à Bologne, devenue alors le centre et comme le chef-lieu des études de tout genre. Fauriel traite enfin de la formation du dialecte poétique de l'Italie, de ce dialecte que Dante appelle illustre, cardinal, aulique, curial, et qui n'est autre que celui même de Florence ou des localités circonvoisines. Le premier volume est terminé par une exposition de l'idée générale, du motif et du but de la Divine Comédie, par l'analyse de quelques épisodes du poëme, par des recherches détaillées sur les personnages qui en sont l'objet.

Le second volume s'ouvre par des considérations générales sur la formation et les révolutions des langues. On sait combien tout le dix-huitième siècle s'est préoccupé de la question du langage; s'il s'est souvent trompé, il a du moins eu le pressentiment d'importantes vérités. Fauriel a très bien senti le rapport des langues avec l'esprit humain, dont elles traduisent et marquent fidèlement les progrès successifs, la régulière évolution, partant comme lui d'une vaste synthèse où tout est compris et confondu, et participant dans leur marche générale de cette tendance naturelle de l'esprit à décomposer de plus en plus ses notions sur la nature et sur lui-même. Fauriel dit très-bien: « L'origine d'une langue, même d'une langue comparativement récente, n'est pas un fait simple, isolé, absolu, que l'on puisse rapporter à un temps strictement limité, comme une guerre, une conquête, une révolution politique. C'est un fait lent, graduel, presque toujours inaperçu dans son principe, et qui ne se produit clairement qu'au bout, je ne dis pas de bien des années, mais de bien des siècles: les commencements n'en sont pas saisissables, ils appartiennent à cet ordre de phénomènes qui, à raison de leur généralité, de leur continuité, de leur nécessité, échappent à l'observation. Ceux qui concourent

à leur production n'en sont point frappés; ils y concourent sans dessein, à leur insu, à peu près comme ils vivent et respirent. Et, dès que le phénomène est complet, dès qu'il peut frapper la curiosité, il est déjà trop tard pour en chercher l'origine. » Les difficultés d'une pareille entreprise ne le découragent pourtant pas. Il a en main le fil conducteur. Il éclaire les origines de la langue italienne par la comparaison du développement analogue des autres langues, et retrouve dans le progrès de toutes la manifestation de l'évolution nécessaire de l'esprit humain. Il suit les révolutions des langues indo-européennes, signale les lois qui ont présidé à leur décomposition, lois qu'il applique ensuite à l'italien, né en partie du latin, dont il expose successivement les origines, la propagation, et enfin la transformation dans les dialectes néo-latins. Fauriel avait étudié le sanscrit, l'arabe, le basque et les langues celtiques. Son livre témoigne partout de ses connaissances approfondies et variées, et si des travaux plus récents ont dépassé les siens, souvent aussi ils ont confirmé les résultats qu'il avait obtenus. Une gloire d'ailleurs restera toujours acquise à Fauriel, celle d'avoir ouvert une voie dans laquelle d'autres, en partie grâce à lui, devaient aller plus loin sans le faire oublier.

E. LA ROCHEelle.

THÉORIE GÉNÉRALE DE L'ACCENTUATION LATINE, suivie de recherches sur les inscriptions accentuées, et d'un examen des vues de M. Bopp sur l'histoire de l'accent, par MM. H. WEIL et L. BENLOEW, professeurs de Faculté. Paris, Durand, 1855, in-8. Prix: 8 fr.

Il n'y a pas de langues sans accent tonique. La langue française même, qui n'est pas la plus riche en inflexions vocales, n'en est assurément pas dépourvue, comme le prouve ce beau vers de Racine, qui, sans accent, ne serait pas supportable :

Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur.

L'usage n'a pas voulu que l'accent fût marqué dans les livres latins et français, comme il l'est dans les livres grecs ou italiens. Il en résulte que l'accentuation latine et française est un mystère. que les philologues seuls, en général, entreprennent de pénétrer : pour le français, l'accent change selon les provinces ; quant au latin, il se prononce comme le français.

En vain Quintilien et Priscien ont donné les règles de l'accentuation latine; ces règles demeurent généralement ignorées. Depuis quelques années cependant l'attention de quelques latinistes commence à se porter vers ce point délaissé de la science: dans sa Grammaire latine, M. Dulrey a eu l'heureuse idée d'exposer les principales règles de l'accent latin; M. Quicherat a donné plus de développements à cette question dans un chapitre de son Traité de versification latine; l'Académie des inscriptions et belles-lettres en a fait le sujet d'un récent concours; enfin, M. Egger, dans ses Notions élémentaires de grammaire comparée, a exprimé le vœu qu'il se publiât quelques textes latins accompagnés, comme les textes grecs, des signes de l'accentuation.

Comme pour aider à l'accomplissement de ce vou, voici un traité d'accentuation latine, qui ne pourra manquer d'être favorablement accueilli de tous ceux qui aiment à étudier, jusque dans ses délicatesses, l'idiome des Cicéron et des Virgile. Ce livre apprendra bien des choses à plus d'un latiniste, surtout en France, où l'on ne voit guère, même dans les accents grecs, que des signes orthographiques, et où l'on prononce avec une monotonie désespérante les plus beaux vers de la muse grecque et latine.

C'est à tort que l'on dédaigne la partie musicale des langues anciennes. Est-il donc indifférent d'habituer son oreille à l'harmonie de ces langues? On sait combien les anciens y étaient sensibles; Cicéron en faisait presque la moitié de l'éloquence, ou du moins il consacrait à la partie musicale de l'art oratoire la moitié de son livre intitulé l'Orateur. Que dire après cela des poètes? La quantité n'est pas tout; il faut tenir compte de l'accent. Cela est si vrai que l'accent joue un certain rôle dans l'histoire de la poésie latine: d'abord, la quantité y domine; l'accent gagne peu à peu du terrain ; enfin, il l'emporte sur la quantité. Il vient un temps où la poésie rhythmique remplace la poésie métrique; à la versification des Lucrèce et des Virgile succède le rhythme des chants populaires et des hymnes chrétiens; on prétend même faire des hexamètres sans se préoccuper de la quantité, et en n'ayant égard qu'à l'accent. On voit comment la question de l'accentuation soulève une intéressante question d'histoire littéraire on trouvera, sur ce point, dans le livre de MM. Weil et Benloew, de curieux détails, que nous aurions désiré trouver encore en plus grand nombre.

Les auteurs de cette Théorie de l'accentuation latine ne se bornent pas à nous exposer ce qu'a été l'accent chez les Latins; ils le

suivent jusque dans les langues néo-latines, et terminent par quelques rapprochements avec l'accent sanscrit. On sent qu'ils sont maîtres de leur sujet, et que, non contents de le creuser particulièrement, ils en ont exploré avec soin les alentours; l'un d'eux même, M. Benloew, n'en est pas à son début en fait de théorie sur l'accentuation; il a publié, il y a quelques années, un traité De l'Accentuation dans les langues indo-européennes. Tous deux sont des élèves de l'illustre Boeck, auquel leur livre est dédié : ce sont deux Germains adoptés par la France et qui occupent avec distinction deux de nos chaires de Faculté. Nous les félicitons de n'avoir pas désespéré de la philologie en France, et de contribuer å en répandre le goût, non-seulement par leur enseignement, mais aussi par leurs écrits. A. CHASSANG.

SALLUSTE, traduction française, par M. Gomont.

2 vol. in-8°. Prix 15 fr.

Paris, Firmin Didot.

Salluste a déjà été traduit bien des fois; mais ce n'est pas seulement la forme d'un écrivain de génie, d'un écrivain essentiellement artiste, qui, de nos jours, tente incessamment l'effort des interprètes; c'est aussi l'intérêt qui s'attache, surtout pour nous, aux deux compositions du grand historien. Notre expérience des révolutions nous permet de voir aujourd'hui plus clair dans la conjuration de Catilina, comme la connaissance que nous avons prise des mœurs et du génie des peuples contre lesquels nous luttons en Afrique depuis vingt-cinq ans nous attache plus vivement à l'histoire de ceux qui, les premiers, ont défendu contre Rome l'indépendance de la Numidie. M. Gomont a parfaitement senti et signale très-bien ce double attrait qu'offrent aux hommes de notre temps les œuvres de l'historien romain.

Outre la Guerre contre Jugurtha el la Conjuration de Catilina, on sait que Salluste avait composé d'autres ouvrages sur l'époque intermédiaire. Le président de Brosses a vu, dans ce qui nous est parvenu de ces ouvrages, les fragments de ce qu'il appelle la Grande Histoire de Salluste, qu'il a tâché de recomposer dans son Histoire de Rome au septième siècle. M. Gomont a traduit tous ces fragments, qui n'ont pas tous une égale importance, mais parmi lesquels se trouvent de remarquables discours, ainsi que les deux lettres de l'historien à César, sur la réforme de la République, et aussi la lettre de Mithridate au roi Arsace. L'authen

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