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vre IV, la relativité du mérite et du démérite des actions des hommes, et à exposer sa théorie sur l'imputabilité. Nous regrettons que l'espace nous manque pour analyser cette théorie, très-digne d'une sérieuse attention.

Enfin, il s'occupe de la connaissance également relative des objets du devoir. Le livre V contient la doctrine fondamentale de M. Oudot sur cette matière d'une importance capitale. Suivant lui, le sens intime fournit seulement les données premières de la science du devoir, que nous avons énumérées plus haut : l'ensemble de ces données constitue le résultat de la conscience du devoir. Mais le sens intime suffit-il à créer la science du devoir, en tirant de lui-même toutes les déductions de détail; devons-nous lui reconnaître la merveilleuse propriété de nous révéler, comme un juge infaillible et inspiré, les innombrables applications du premier principe qui déterminent les objets du devoir? C'est ici que l'auteur se sépare d'une manière éclatante de l'opinion professée par la plupart des philosophes de notre temps, en se prononçant hautement pour la négative. Il se trouve en présence de deux systèmes principaux : l'un proclame d'une manière absolue l'autorité universelle et indéfectible du sens intime; l'autre l'admet seulement à promulguer un certain nombre de préceptes généraux, en laissant à la science le soin de démêler et de reconnaître les conséquences d'un ordre inférieur.

Après avoir réfuté ces deux opinions avec une grande force de logique, M. Oudot en présente une troisième. En effet, la conscience ne nous révèle que le premier principe déterminaleur du devoir. Mais toute application de ce principe absolu, quant aux objets de l'assistance due par tout être à tout être, rentre dans le domaine de la science, c'est-à-dire de la raison appuyée sur l'observation. Sans doute la raison humaine a conquis depuis longtemps quel-ques-unes de ces déductions importantes, et cela peut expliquer l'erreur du second système, qui les attribue au sens intime; il n'en est pas moins vrai que, sur beaucoup de points, le législateur, le moraliste et le jurisconsulte ont à regretter des lacunes, des obscurités, en un mot, certains desiderata de la science. L'intelligence humaine s'efforce, de siècle en siècle, de rapprocher le droit positif 'du type idéal qu'elle entrevoit sous le nom de droit naturel, comme l'ensemble des conséquences nécessaires du premier principe du devoir. Mais ces efforts eux-mêmes ne prouvent-ils pas que la science est relative suivant les temps, les mœurs et les individus ?

De là une distinction fondamentale entre la moralité absolue par le résultat et la moralité relative par l'intention de l'agent, suivant l'époque et les circonstances dans lesquelles il se trouve placé, lorsqu'il a fait tous ses efforts pour connaître et réaliser le bien. C'est ainsi que M. Oudot aboutit à développer une vérité déjà entrevue par Dugald-Stewart, et qui justifie pleinement le caractère rationnel et progressif de la science du devoir.

L'épilogue de la troisième partie contient une transition à cette science. Il indique par avance les conclusions diverses qui résultent de la manière dont on l'envisage, et les principales questions qui seront résolues dans le volume suivant.

Cette analyse, dont l'exactitude pourrait seule excuser la sécheresse, est bien loin de suffire à donner une idée de l'intérêt que présente l'œuvre de M. Oudot. Le mérite du livre répond à l'attente qu'en avaient conçue les lecteurs des Premiers essais de philosophie du droit du même auteur. Ils y retrouveront la même puissance de conception et de synthèse, la même verve, la même concision ornée qui n'exclut pas le pittoresque et l'énergie de la diction. Mais le développement qu'ont pris les idées du savant professeur, les progrès qu'il a poursuivis et réalisés dans l'analyse profonde des éléments primitifs du devoir, nous semblent présager à son nouvel ouvrage un succès beaucoup plus étendu, s'il est vrai que l'esprit philosophique se soit enfin réveillé en France.

Sans doute on ne saurait admettre sans restriction toutes les opinions de l'auteur. Mais nous sommes heureux de déclarer notre adhésion aux doctrines spiritualistes sur lesquelles il appuie le premier principe du devoir, ainsi qu'à la formule qu'il en présente. M. Oudot a remis en lumière une vérité déjà proclamée par les anciens auteurs du droit naturel, et par Burlamaqui, mais trop oubliée de notre temps; il a parfaitement démontré que le droit repose toujours sur un devoir et ne constitue au fond qu'un devoir actif. Doit-on en conclure avec lui l'inutilité complète du mot droit? Beaucoup penseront que ce serait aller bien loin, même au point de vue moral. En effet, le savant professeur constate que dans le devoir actif la dette apparaît au second plan; de là, dit-on, l'utilité particulière du mot droit. Néanmoins, nous convenons avec l'auteur que la moralité publique gagnerait à ce que chacun considérât ses droits beaucoup moins comme des avantages que comme des obligations ou devoirs actifs.

Mais si l'on se place au point de vue de la mission du législa

teur, la difficulté nous paraît beaucoup plus sérieuse. Il est incontestable que le devoir d'exercer un droit ne peut pas, plus que le respect de ce droit, être toujours revêtu d'une sanction extérieure. Tous les publicistes reconnaissent la nécessité de déterminer un point d'intersection où s'arrêtent la justice et la convenance de l'intervention du pouvoir social, armé de la force coërcitive. L'auteur lui-même consacre cette distinction fondamentale dans la science du devoir, et son épilogue annonce qu'elle sera traitée dans la quatrième partie (1). Or, quel que soit le criterium qu'on adopte pour délimiter à priori le domaine de la morale et celui de la loi positive, leurs territoires doivent être rigoureusement séparés. Il importe de ne pas confondre dans une dénomination commune les devoirs dont la science elle-même détermine la place de tel ou tel côté de la limite qu'elle a posée. De plus, si l'on supprime absolument le mot droit pour y substituer le mot devoir, ne sera-t-on pas conduit naturellement (les mots ont aussi leur puissance) à ranger tous les devoirs sur la même ligne, à étendre outre mesure le domaine du législateur et à mettre en danger la liberté humaine, seul fondement du devoir et seul moyen de le réaliser ? Ne convient-il pas dès lors de réserver l'emploi du mot droit pour désigner les devoirs actifs, dont le respect ou l'accomplissement peut être légitimement garanți ou exigé par la puissance sociale (2) ?

En outre, aux yeux du législateur, le droit est souvent une faculté qu'il permet d'abdiquer. La raison individuelle, prononçant entre divers devoirs en conflit, peut approuver ou non cette abdication suivant les circonstances. Il y a là néanmoins un fait de législation positive, qui mérite un nom spécial dans la science. Ainsi, sous ce point de vue nouveau, on peut encore défendre la dénomination consacrée par l'usage. Tels sont les doutes que nous soumettons à M. Oudot, tout en adoptant son idée sur l'identité métaphysique du devoir et du droit, ou plutôt sur l'antériorité, la prééminence et l'étendue supérieure de la première idée, dont ļa deuxième n'est qu'un aspect particulier et secondaire.

Une autre partie non moins capitale de la doctrine du savant professeur nous a pleinement convaincu: c'est celle où il reprend

(1) Page 365 du premier volume.

(2) C'est là ce que beaucoup de publicistes, et notamment le regrettable Bastiat, entendent par le juste, ou le domaine d'application de la justice proprement dite.

et justifie une idée aperçue déjà par Charles Comte, sur la nature progressive et rationnelle de la science du devoir. On trouve lå des pages pleines de vigueur et d'éloquence. En réfutant la quatrième partie du remarquable ouvrage de M. J. Simon, sur le devoir, M. Oudot a souvent atteint, comme écrivain, à la hauteur de son adversaire et l'a surpassé par la supériorité d'une dialectique rigoureuse, mise au service d'une meilleure cause. Toute cette discussion ne peut manquer d'éveiller vivement l'attention des amis des sciences philosophiques.

Il nous reste maintenant à soumettre à M. Oudot quelques observations critiques. Parfois le luxe des citations insérées dans le texte peut déplaire à certains lecteurs pressés d'arriver au but; il conviendrait peut-être de rejeter dans les notes une partie de ces citations.

Nous avons entendu quelques personnes regretter aussi la multiplicité des subdivisions de détail. La suppression de quelquesunes d'entre elles semblerait devoir faciliter la lecture et l'intelligence du livre, en permettant à l'esprit de se reposer sur les divisions plus importantes.

Qu'on nous pardonne enfin une dernière remarque un peu minutieuse, relativement à un livre dont le fond et la forme sont également remarquables. Nous voulons parler de certaines inversions; le plus souvent elles donnent à la phrase un tour énergique, une allure plus conforme à la rapidité de la pensée elle-même; mais ici l'abus touche de près à l'usage, et des juges plus délicats que nous souhaitent que M. Oudot leur enlève toute occasion de critique, en supprimant parmi ces inversions celles dont l'emploi n'ajoute rien à l'énergie de son style.

GUSTAVE HUMBERT,

Docteur en droit.

ELEMENTS DE DROIT PENAL, Pénalités, Juridictions, Procédure suivant la science rationnelle, la législation positive et la jurisprudence avec les données de nos statistiques criminelles; par M. ORTOLAN, professeur à la Faculté de droit de Paris. Paris, Plon frères.

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Si nous étudions l'homme attentivement, nous reconnaissons en lui deux éléments distincts: l'un physique, le corps; l'autre métaphysique, l'âme. Si nous interrogeons en outre ses instincts, nous en constatons un qui est essentiel à sa nature, celui de la so

ciabilité. Suivant M. Ortolan, cette étude de l'homme sous une triple face est le point de départ de la science du droit en général et du droit pénal en particulier. De cette proposition, articulée avec beaucoup de netteté, l'auteur déduit en effet des conséquences dont la justesse frappe quelquefois. Voyons son application au droit de punir. Ce droit se tire-t-il de l'instinct providentiel de la vengeance, selon le système de Kaimes et de Luden? Dérive-t-il d'une convention sociale, comme le prétend Rousseau? Doit-on le puiser, avec Welcker, dans une idée de réparation; avec Bentham, dans la raison d'utilité; avec Romagnosi, dans la nécessité de légitime défense; avec Platon, dans le sentiment d'une justice absolue? Non. Ces théories et beaucoup d'autres ont le défaut d'être trop exclusives. Pour connaître la vérité, il faut envisager l'homme dans sa nature multiple. Esprit et matière, il a deux intérêts à satisfaire, le juste et l'utile; sociable, la conservation de la société se confond pour lui avec la conservation de son individu. De là cette conséquence irrésistible que le droit de punir découle simultanément des principes de rémunération ou de justice, et d'intérêt ou d'utilité.

Ce système, présenté en quelques pages avec précision et originalité, ne mettra pas fin sans doute à la controverse; mais on ne saurait lui refuser le mérite de concilier assez heureusement les prétentions des écoles les plus opposées, et de mener tout naturellement à des solutions inattendues. Au surplus, on constate facilement qu'il est chez l'auteur le résultat de méditations sérieuses, et l'expression d'idées fortement arrêtées, car il se reflète sur toutes les parties de son œuvre, à laquelle il imprime, par cela même, un remarquable caractère d'unité.

Aux notions du juste et de l'utile correspondent très-exactement deux ordres de connaissances distinctes premièrement, la connaissance des vérités morales, ou loi rationnelle, qui constitue la science du droit; deuxièmement, la connaissance des préceptes de l'autorité, ou loi positive, qui forme l'art du droit. Que si l'on ajoule à ces connaissances la pratique du droit, ou l'application des préceptes éclairée par la science, on aura un ensemble complet répondant à la destinée de l'homme, au double point de vue de la pensée et de l'activité.

Cet aperçu des principes et de la méthode de M. Ortolan suffira pour indiquer la direction générale de ses idées; resserré dans d'étroites limites, nous devons nous borner maintenant à quelques

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