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voulait porter que l'habit qu'elle avait sur le dos, et sa chemise,

Le jour du départ arrivé, Claudine Raillon alla attendre son mari à l'une des portes de la ville, mais dans un équipage qui n'annonçait en elle qu'un projet de marcher à pied., Elle monta cependant dans la voiture de Laugier; et l'on s'arrêta pour diner à la maison de campagne que possédait celui-ci, sur le chemin de Marseille. Là, Claudine Raillon s'esquiva, et revint le même jour dans la maison de son père. Aussitôt sommation, de la part de Laugier, à ce qu'elle eût à se rendre, dès le lendemain, à sa maison de campagne, pour continuer ensemble leur voyage jusqu'à Marseille, La réponse du père de Claudine Raillon fut que les mauvais traitemens exercés contre elle par son mari et par les nommés Rondil et Dubois, ses satel lites, lui avaient occasioné une maladie dangereuse, et qu'on allait demander la descente d'un conseiller du parlement. Laugier prévint le coup; il fit faire une visite judiciaire dans la maison du sieur Raillon, et le rapport ayant constaté que Claudine était sans fièvre ni meurtrissure, et que rien ne l'empêchait d'aller à Marseille, il intervint une sentence qui lui ordonna de se rendre sur-lechamp auprès de son mari.

Claudine Raillon appela de cette sentence; mais bientôt elle abandonna son appel, et y substitua une plainte des mauvais traitemens qu'elle disait avoir reçus dans la maison de campagne de son mari; cette plainte fut suivie d'une information, pendant laquelle Rondil, l'un des accusés, rendit plainte en subornation de témoins, et obtint permis. sion d'en faire informer. Dans ces circons tances, le juge, sur la plainte de Claudine Raillon, décréta d'assigné pour être ouïs, Laugier, Dubois et Rondil; et sur celle de Rondil, prononça un décret semblable contre Raillon père et sa femme. Claudine Raillon appela du premier de ces décrets et prétendit le faire commuer en décret de prise de corps; mais cet appel n'eut pas de suite.

La mort du sieur Raillon, arrivée en 1709, mit fin à cette foule de procédures et de chi canes. Depuis ce temps jusqu'au 23 janvier 1731, les deux époux vécurent, chacun de son côté, dans le plus profond oubli l'un de l'au tre. A cette époque, Laugier déceda, laissant une succession de 500,000 livres, et un testament par lequel il instituait pour heritier Jacques Meyffren, fils de Thérèse Perrin, sa nièce, et faisait pour 120,000 livres de legs pieux.

Sa veuve était alors très-âgée, et dénuée de

toute ressource. Le bureau charitable qu'elle consulta sur ses droits, fut d'avis qu'elle devait demander la Quarte de l'authentique præterea; en conséquence, elle fit assigner l'héritier et les légataires, pour se voir condamner à lui faire la délivrance de cette portion.

La cause portée à l'audience de la grand'chambre du parlement d'Aix, on disait, pour les défendeurs, que l'authentique præterea était absolument tombée en desuétude dans la Provence; que, depuis plus de six cents ans, elle n'y avait point eu d'exécution; et que les deux seules fois qu'on l'avait réclamée, les veuves qui voulaient s'en aider, n'avaient point été écoutées, comme il paraissait par deux arrêts rendus, l'un contre la veuve du nommé Bonteil, l'autre contre la dame Baculard.

« La cour (ajoutait-on) se détermina alors sur le sentiment de Bugnion, qui assure, dans son Traité des lois abrogées, liv. 3, no 1, et liv. 5, no 17, que cette authentique n'a aucune vigueur en France. Dumoulin pense de même sur les commentaires de Décius sur le Code; et, en interpretant l'authentique præterea, il dit: Hæc authentica non observatur in regno Franciæ. D'Argentrée, sur la coutume de Bretagne, parlant de la Quarte dont il s'agit, assure que l'authentique qui l'établit, tomba en désuétude peu de temps après la mort de Justinien, parcequ'elle était due à l'aveugle complaisance de ce prince pour l'impératrice Theodora, sa femme. D'ailleurs cette loi est contraire à tous les principes du droit ancien sur la matière des successions. C'est la remarque de Rollandus à Valle, conseil 14. Socin, conseil 108, ajoute que son exécution peut donner lieu à des conséquences très-dangereuses.

» Enfin, une preuve certaine qu'elle n'a jamais été reçue en Provence, c'est que, de tous les auteurs de ce pays, aucun n'en a parlé ; on n'en trouve pas le moindre vestige, ni dans Saint-Jean, ni dans Clapiers, ni dans Duperrier, ni dans le commentateur des statuts; et Julien, qui était parfaitement instruit des usages de la province, après avoir parlé de la loi unique, C. undè vir et uxor, ne fait pas seulement mention de l'authentique præterea, comme si elle ne faisait pas partie du corps de droit.

» Il est vrai qu'on nous oppose un arrêt tiré des manuscrits de M. le conseiller de Thoron. Mais quel témoignage! Un arrêt sans date, sans aucune sorte d'autorité, et qu'on n'a pu trouver au greffe de la cour, ni dans les archives du chapitre de Saint-Sau

veur, qui était, à ce qu'on prétend, partie au procés ».

A ces moyens du fond, les défendeurs ajoutaient plusieurs fins de non-recevoir.

« 1o (Disaient-ils) le mariage de la demanderesse n'a point été consommé. D'Argentrée enseigne que la femme quæ recusavit concu bitum, doarium capere non debet ; et ce que dit cet auteur par rapport au douaire, s'ap plique naturellement à la Quarte de l'au thentique præterea, puisque l'un n'a été introduit par le droit coutumier, que pour

remplacer l'autre.

» 2o La demanderesse n'est pas recevable aujourd'hui à demander la Quarte, elle de vait l'exiger au moment de sa séparation. Le chap. 5 de la novelle 117 y est exprès. Il est vrai que la femme ne peut alors demander que le quart de ce qui a été acquis pendant sa co-habitation avec son mari; mais si elle de meure avec lui jusqu'à la fin, ce n'est qu'après la mort du mari qu'il faut composer cette Quarte: Si usque ad mortem cùm ed vivens præmoriatur, accipere similiter et eam Quartam illius substantiæ portionem.

» 3o La demanderesse n'est pas indotée ; elle a eu des biens de sa mère et de son aïeul. » 4° Elle n'est point dans une extrême misère.

» 5o Elle n'a point en sa faveur ce que Justi nien appelle affectus nuptialis; et elle ne s'est point trouvée avec son mari au moment de sa mort; c'est cependant ce qu'exigent les novelles et tous les interprètes qui les ont le mieux entendues. Quand la femme s'éloigne sans raison, et qu'elle ne donne pas tous ses soins à son mari, elle n'a point de Quarte à prétendre; elle devient indigne de tous les avantages qu'il peut lui faire ».

De son côté, la veuve Laugier soutenait que l'authentique præterea devait être exécutée en Provence, comme dans les autres pays de droit écrit.

« On ne rapporte (disait-elle) ni loi ni statut qui l'ait abrogée, ou qui y ait dérogé. Les défendeurs conviennent eux-mêmes qu'elle a été réclamée deux fois, et prétendent tirer avantage de ce que la cour n'y a point eu d'égard : il est vrai que les circonstances dans lesquelles se trouvaient les parties, ne permirent pas alors d'écouter les réclamations de deux veuves.

» La première était une servante, veuve d'un valet, appelé Bonteuil, qui avait laissé un enfant, et seulement pour 1500 livres de biens; l'arrêt, qui est rapporté par Boniface, décida qu'elle n'avait pas même d'alimens à prétendre. En effet, quelle ressource était-ce

pour cette femme que l'usufruit de la Quarte d'une si faible somme? Et quel préjudice cette réduction, toute modique qu'elle eût été, n'aurait-elle pas causé à l'enfant ? Cette servante, avec son usufruit, aurait toujours été obligée de se mettre en service.

» L'espèce du second arrêt est encore plus différente de celle dont il s'agit. La dame Baculard avait été dotée; elle avait été, après la mort de son mari, attaquée en spoliation de sa succession; elle avait transigé et com→ posé de ses droits et conventions avec l'héritier, par lequel elle s'était fait abandonner ce qu'elle avait diverti; elle avait même maltraité et réduit son mari à mourir de chagrin; et, six mois après la transaction, elle avait pris des lettres de rescision, pour avoir lieu de réclamer la faveur de l'authentique dont elle fut déboutée, comme indigne d'en profiter. Si la cour, en jugeant qu'elle n'était pas dans le cas de la loi, avait eu intention de rejeter l'authentique, comme ayant été abrogee, ou comme ayant cessé d'être en vigueur par le non usage, elle s'en serait expliquée; dès qu'elle n'en a rien dit, elle a reconnu que cette loi doit avoir lieu suivant la situation de la femme.

>> La veuve Laugier a donc raison d'en demander l'exécution, se trouvant précisément dans toutes les circonstances qu'elle requiert.

» Enfin, tous les auteurs qui ont travaillé sur l'authentique præterea, conviennent du droit que la veuve a de prétendre la qua trième partie des biens de son mari, et que les lois qui la lui adjugent, sont suivies. Il ne faut que consulter Décius, dans son conseil 24; Dumoulin, sur ce conseil; Barry, de successionibus, liv. 18, chap. 4; et Cujas, sur la novelle 53. Lebrun, Traité des successions, liv. 1, chap. 7, no 3, dit expressement que cette authentique a toujours eu son exécution dans les pays de droit écrit »

A l'égard des fins de non-recevoir, voici comment la veuve Laugier les écartait :

1o La Quarte, accordée aux veaves par l'authentique præterea, étant absolument différente du douaire, il est inutile d'entrer dans la question imaginaire de savoir si le douaire est dû, quoique le mariage n'ait pas été consommé; car la Quarte n'est fondée que sur l'indigence de la femme, à laquelle la loi a voulu remédier. D'ailleurs, comment peuton soutenir affirmativement qu'un mariage n'a pas été consommé, sur ce que le mari et la femme n'ont pas habité ensemble, surtout lorsqu'ils ont toujours eu pleine liberté de se

voir, et qu'il ne leur a été fait aucune défense à cet égard?

» 2o Comment la demanderesse aurait-elle pu réclamer la Quarte de l'authentique avant l'ouverture de la succession de son mari? Nous n'admettons, suivant nos lois, d'autre separation entre le mari et la femme, que celle qui se fait par la mort de l'un des conjoints. La veuve Laugier, tant que son mari a vécu, a demandé des provisions; elle espérait toujours qu'il rentrerait dans sa première affection, qu'il serait touché des malheurs et de l'infortune de sa femme, qu'il écouterait les principes de la religion, et qu'il rappellerait enfin auprès de lui celle qui lui était liée par un sacrement auguste.

» 30 Elle s'est trouvée indotée par les malheurs arrivés dans sa famille, et encore plus par le propre fait de son mari, qui, l'ayant abandonnée, a négligé l'exécution de la sentence du lieutenant d'Arles.

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4o Elle a été, dés-lors, dans une telle pauvreté, qu'elle n'a vécu, depuis quarante ans, que par le secours de ses sœurs; elle est aujourd'hui dans un âge très-avancé, soumise à la plus cruelle indigence, d'où elle ne peut être tirée que par la faveur de la loi qu'elle réclame.

» 5o Les termes, affectus nuptialis, dont se sert la novelle, ne peuvent avoir ici d'application dans le sens qu'on les objecte, puisqu'ils ne signifient autre chose que le dessein que deux amans formaient de se lier par le lien conjugal: or, les sieur et dame Laugier ont rempli ce précepte, quant à la loi divine et humaine. Si la tendresse que le sieur Laugier devait à sa femme, a cessé dans le même instant qu'il n'était plus le maître d'en disposer pour une autre, sa femme, au contraire, a toujours mesuré la sienne à ses devoirs. Si elle ne s'est pas trouvée auprès de son mari dans le temps de sa mort, pour l'assister et lui rendre les derniers devoirs, on ne peut raisonnablement lui en faire un crime; on en peut juger par toutes les tentatives qu'elle a faites, tant qu'il a vécu, pour se réunir avec lui: elle a entièrement ignoré sa maladie, qui n'a pas été publique, et qui n'a duré que trois jours quand même cette maladie lui aurait été connue, elle n'aurait pu se transporter chez son mari, parcequ'alors elle était elle-même dangereusement malade, suivant les témoignages qu'elle en rapporte ».

Sur toutes ces raisons, le parlement de Provence, par arrêt du 21 février 1732, rendu sur les conclusions de M. l'avocat général de Séguiran, adjugea à la veuve Laugier le quart

des biens de son mari, conformément à l'authentique præterea.

« Cet arrêt (dit Augeard) est d'autant plus >> important, qu'il fait, pour ainsi dire, re» vivre une loi qui, sans avoir été abrogée, » était regardée dans le pays, par quelques» uns, comme entièrement oubliée et sans » vigueur : aussi ne passa-t-il pas tout d'une » voix; de douze juges, huit furent pour » l'arrêt, deux pour débouter la veuve de sa » demande, et deux pour lui donner une >> pension seulement ».

Ce partage d'opinions fit croire aux parties condamnées qu'elles auraient un meilleur sort à espérer, si elles pouvaient parvenir à faire juger de nouveau la question.

En conséquence, le curateur de Jacques Mey ffren, héritier institué, se pourvut en requête civile, à cause du vice de l'assignation qui lui avait été donnée.

Les legataires intervinrent sur cette demande, et la requête civile fut entérinée par arrêt du 22 juin 1733.

Claudine Raillon entreprit de faire casser cet arrêt au conseil; mais sa requête fut rejetée le 6 août 1736, et elle mourut le 4 decembre suivant.

Anne et Marie Raillon, ses sœurs et héritières, reprirent la cause, et reproduisirent tous les moyens qu'elle avait fait valoir en 1732. L'héritier et les légataires de Laugier en firent autant de leur côté; et, après que la cause eût été plaidée de part et d'autre, avec une nouvelle chaleur, M. l'avocat général de Gueidan remonta à l'origine de la contestation, rappela tous les faits que nous avons retracés plus haut, exposa toutes les raisons que les parties employaient respectivement; et, venant à son propre avis, il remarqua d'abord, qu'en supposant l'authentique præterea en pleine vigueur, il fallait examiner si Claudine Raillon était dans le cas précis de cette loi.

« A cet égard dit-il), outre la pauvreté de la femme, les novelles 53 et 117 exigent deux conditions pour qu'elle puisse préten dre au quart de la succession de son mari: la première, qu'elle ait été choisie librement par pure tendresse et dans la vue d'un honnête mariage; la seconde, qu'elle ait toujours vécu unie avec lui.

» D'où il est aisé de juger que la fin du législateur a été de reconnaître les assiduités d'une épouse pour son mari, et de conserver la dignité da mariage. Il parut équitable à l'empereur Justinien, que celle que l'amour ou la vertu aurait élevée au rang d'épouse, qui aurait vécu dans un certain éclat pen

dant la vie de son époux, et partagé avec lui toutes les charges et tous les soins du mariage, ne tombát pas tout d'un coup dans la misère par la mort d'un homme qui aurait oublié sa tendresse ou méprisé ses engagemens.

» Or, la Raillon ne peut être placée ni dans l'un ni dans l'autre cas. Quand même tout ce qu'il a plu à cette fille d'exposer dans sa plainte, devrait se prendre à la lettre, ces sentimens de Laugier pour elle n'auraient ni les conditions ni le caractère que demande la loi. Cette loi veut que ce soit une affection chaste et honnête, qui ait sa racine dans la vertu; au lieu que c'est ici une pure debauche qui n'a rien que de honteux. Ce n'est point Laugier qui choisit la Raillon pour épouse; c'est elle qui le force à l'épouser par une plainte en rapt. Et ce qui est bien singulier en cette cause, elle ne s'avise de former sa plainte que six ans après cette prétendue injure; mais elle la forme précisément lorsque la fortune de Laugier paraît s'établir par l'acquisition d'une maison des champs. Jusque-là, Claudine Raillon est tranquille. La perte de son honneur, l'infidélité de Laugier, rien ne la touche. Pour racheter sa liberté, Laugier se résoud à la prendre pour épouse. C'est un homme battu de l'orage, qui sauve ce qu'il peut par le sacrifice de ce qu'il ne peut sauver. Est-ce là ce qu'on appelle préférer la vertu à la richesse, et se choisir une femme par affection et par tendresse, cùm affectu solum nuptiali (novelle 11)?

» Mais au moins, après le mariage, a-t-elle vécu avec son mari? L'a-t-elle servi jusqu'à l'extrémité de la vie? Pas un seul moment de concorde et d'union. A peine le sacrement les a unis, que l'animosité les sépare. La Raillon se retira chez son père; et, pendant quarante trois ans qui se sont écoulés depuis, deux fois seulement elle a parlé à son mari ; la première, en 1696, lorsqu'à la tête d'un notaire et de deux témoins, elle alla elle-même lui faire signifier un acte de sommation; la seconde, un an après, lorsqu'elle feignit d'aller avec lui à Marseille, et le même jour revint jouer la comédie. Il a été malade plusieurs fois, suivant les certificats des cures, des médecins et chirurgiens, produits au procès. Il fut dangereusement blessé en 1693, durant la nuit, dans les rues d'Arles, et ses assassins furent condamnés aux galères. En 1729, il perdit un œil. Elle poussa l'indifference jusqu'à ne point le visiter dans ces différentes occasions, ni même pendant sa dernière maladie. Est-ce là remplir cette autre condition de la loi, qui exige qu'une femme ait toujours resté avec son mari, pour pouvoir demander le quart de sa TOME XXVI.

succession après lui, et usque ad mortem cùm eá vivens præmoriatur (novelle 117) » ? Ici, M. l'avocat général se fait à lui-même les objections que Claudine Raillon opposait à ses adversaires : les démarches qu'elle n'avait cessé de faire pour se réunir à son mari; les efforts continuels de Laugier pour en éluder l'effet; son intention bien marquée de la faire vivre dans une retraite qu'il avait luimême choisie pour l'asile d'une prostituée qu'il entretenait; les mauvais traitemens dont il l'avait accablée lorsqu'il avait feint de vouloir la conduire à Marseille; la maladie dont elle s'était trouvée attaquée au moment où il était près d'expirer, et qui l'avait empêchée de se rendre auprès de lui: après quoi, M. de Gueidan continue en ces

termes :

« Telles sont les raisons qu'Anne et Marie Raillon étalent avec beaucoup de confiance; mais, réduites à leur juste valeur, elles se tournent en preuves contre elles. Claudine Raillon, leur sœur, n'avait rien tant desiré, disent-elles, que de se réunir à son mari. Mais quand et à qui l'avait-elle demandé? Qui sont les amis et les personnes charitables qu'elle avait employés, les moyens et les négociations qu'elle avait mis en œuvre? Nous voyons bien ce qu'elle faisait pour se procurer un entretien, mais nous ne voyons d'elle aucune avance, aucune démarche pour gagner Laugier. C'est qu'en effet une pension assortissait mieux sa façon de vivre, que la présence d'un mari. Voulait-elle se réconcilier avec lui, lorsqu'elle calomniait publiquement ses mœurs, sa conduite; lorsqu'accompagnée d'un no taire et de deux temoins, elle alla elle-même lui signifier un acte de sommation plein d'aigreur et de menaces? Le voulait-elle, lorsque, quelques heures après être partie avec lui pour se rendre à Marseille, elle le quitta et prit la fuite, à quoi il est bien aisé de juger, par l'équipage de son départ, qu'elle s'était préparée, prévoyant sans doute, par un pressentiment prophetique, les mauvais traitemens qu'elle aurait à souffrir? Non seulement elle ne l'a demandé ni voulu, mais elle a opiniâtrément refusé toutes les offres que Laugier lui a faites de la recevoir. Elle résista à trois sentences qui la condamnaient à se retirer auprès de lui. C'est, dit-on, qu'elle craignait d'être maltraitée. Nous savons, disait un ancien, combien la peur est capable de donner de mauvais conseils mais pourquoi Laugier doit-il en être responsable? C'est, ajoutet-on, que l'expérience avait appris à la Raillon ce que pouvait ce mari furieux. Quelle

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expérience? Veut-on parler de cette insulte qu'elle prétendait avoir reçue à la maison de campagne? Mais cette plainte, et l'information qui fut prise, peuvent-elles être comparées avec l'information qui avait été faite précédemment à la requête de Laugier, et où cette femme fut si évidemment convaincue d'artifice et d'imposture ? Et le décret obtenu contre Laugier, Rondi et Dubois, ne se trouve-t-il pas plus que détruit par le décret que ceux-ci obtinrent contre Raillon et sa femme, pour subornation de témoins?

>> Il est donc manifeste que la Raillon n'avait rien tant évité, rien tant appréhendé que sa réunion avec son mari. Trois fois il lui est ordonné de se retirer auprès de lui, et toujours elle refuse d'acquiescer. Rebelle à la justice, il lui sied bien d'en réclamer la protection! C'est donc à elle que le divorce doit être imputé avec toutes ses suites. Au lieu des tendres soins qu'elle devait à son mari, elle ne songea qu'à le persécuter toute sa vie par des procédures et des chicanes sans fin. C'est elle qui, au mépris de toutes les lois, a poussé l'animosité jusqu'au bout. Laugier, sans doute, aurait dû ne pas porter sa rancune dans le tombeau ; mais toujours était-ce à elle à faire les avances. Elle était malade, nous dit-on; quelle en est la preuve? des témoins entendus sans commission du juge, sans assignation, sans serment. Mais quels sont ces témoins qui attestent sa maladie? Des médecins et des chirurgiens? Non; ce sont des aventuriers. Que disent-ils? L'un nous atteste qu'au mois de janvier, il avait vu la Raillon auprès du feu; et tous les autres, qu'ils ont ouï dire à la sœur de la Raillon qu'elle était malade. Certainement, on ne peut assez admirer qu'on ose, dans cette audience, avancer, comme des faits décisifs, des faits qui prouvent si peu. Mais il n'y a rien que la soif de l'or n'inspire.

>> Finissons une discussion qui n'est déjà que trop longue, et disons que la Raillon n'était pas même au cas de la pauvreté, qui est la troisième condition que la novelle exige. Quel est le but de cette loi? D'éviter qu'une femme qui aura été choisie par affection, et qui n'aura eu pour dot que son mérite, ne change soudainement d'état, et qu'après avoir partagé l'éclat, ou du moins l'aisance de son mari, elle ne déchoie totalement par sa mort, et ne traine dans la poussière le nom et la qualité d'épouse. C'est le sens que tous les interprètes ont donné à cette novelle. Or, c'est là un risque que

la Raillon ne courait point. Ni par son mariage, ni par la mort de son mari, sa fortune n'avait souffert aucun changement. Pendant soixante-cinq ans, elle a marché sur la même ligne. Quelle bienséance, quelle justice y aurait-il qu'elle sortit aujourd'hui, si elle vivait encore, de la médiocrité de ses pères, pour monter à un état d'opulence qu'elle n'a jamais connu ?

» Il y a plus : c'est que l'état de la Raillon n'était pas, à beaucoup près, l'extrême pauvreté, qui est le cas précis de la loi. Nous voyons bien quelques inquiétudes de cette femme pour améliorer sa fortune, tant que son père a vécu. De la mort de celui-ci à celle de son mari, plus de vingt ans se sont écoulés sans qu'elle ait paru mécontente de sa condition. Ni plainte, ni demande de sa part, La faim n'est pas si tranquille. Perdant tout ce temps, la Raillon se suffit à elle-même ; et son mari n'est pas plutôt dans le tombeau, qu'elle se meurt de misère, qu'elle intéresse la charité de tout le monde. C'est sans doute une étrange métamorphose.... Ne serait-ce pas là autant de raisons de la priver de tous les avantages qu'elle prétendait, si, par des raisons superieures, elle n'en avait été entièrement exclue ?

» Ces raisons consistent en ce que l'authentique præterea, qui est toute sa res. source, n'a jamais eu parmi nous force de loi. C'est un joug que nos pères n'ont pu porter; nous n'avons ni plus de force ni plus de docilite qu'eux. Que cette loi ait été en usage chez les Romains, à la bonne heure; elle n'était point, chez eux, sujette aux mêmes inconvéniens qu'elle produirait chez nous. Parmi eux, les mariages étaient toujours assortis; parceque, selon les lois romaines, toute femme ne pouvait être épouse légitime de tout homme. Il fallait que l'un et l'autre fussent citoyens romains, et qu'il y eût proportion entre les conditions. Un sénateur ne pouvait épouser une affranchie, et un homme libre ne pouvait épouser une esclave. La femme étant donc toujours égale au mari, il était juste que la mort de celui-ci ne la réduisit point à un abaissement honteux. Parmi nous, au contraire, où l'amour rapproche souvent les conditions les plus éloignées, quelle justice y a-t-il qu'une femme, qui n'a quelquefois d'autre mérite que d'avoir su allu mer une folle passion, recueille le quart d'un riche heritage?

» Cependant, quelque différence qu'il y ait, sur ce point, entre nos mœurs et les mœurs

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