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Ce serait donc en vain qu'une partie voudrait réclamer contre une transaction, sous prétexte qu'il y aurait une erreur de droit. En général les erreurs de droit ne s'excusent point; et dans les jugements auxquels on assimile les transactions, de pareilles erreurs n'ont jamais été mises au nombre des motifs suffisants pour les attaquer.

Mais c'est surtout sous le prétexte de la lésion que les tentatives, pour revenir contre les transactions, out été le plus multipliées. Cependant il n'y a point de contrat à l'égard duquel l'action en lésion soit moins admissible. Il n'est point en effet dans la classe des contrats commutatifs ordinaires, dans lesquels les droits ou les obligations des parties sont possibles à reconnaître et à balancer par la nature même du contrat. Dans la transaction, tout était incertain avant que la volonté des parties l'eût réglé. Le droit était douteux, et on ne peut pas déterminer à quel point il était convenable à chacune des parties de réduire sa prétention ou même de s'en désister.

« Lorsqu'en France on a négligé de se conformer à ces principes, on a vu revivre des procès sans nombre qu'aucune transaction ne pouvait plus amortir. Il fallut, dans le seizième siècle (avril 1560), qu'une ordonnance fût rendue pour confirmer toutes les transactions qui auraient été passées entre majeurs, sans dol ni violence, et pour interdire, sous de grandes peines, aux juges d'avoir égard à l'action en rescision pour cause de lésion d'outre moitié ou même de lésion plus grande, aux officiers des chancelleries de délivrer les lettres alors nécessaires pour intenter cette action, et à toutes personnes d'en faire la demande.

Il n'y a ni consentement ni même de contrat lorsqu'il y a erreur dans la personne. Telle serait la transaction que l'on croirait faire avec celui qui aurait qualité pour élever des prétentions sur le droit douteux, tandis qu'il n'aurait aucune qualité, et que ce droit lui serait étranger.

Il n'y a point de consentement s'il a été surpris par dol ou extorqué par violence. Ce sont les principes communs à toutes les obligations.

:

« Lorsqu'un titre est nul, il ne peut en résulter aucune action pour son exécution ainsi, lors même que dans ce titre il y aurait des dispo sitions obscures, elles ne pourraient faire naître de contestation douteuse, puisque celui contre qui on voudrait exercer l'action aurait dans la nullité un moyen certain d'en être déchargé. Il faut donc, pour que dans ce cas la transaction soit valable, que les parties aient expressément traité sur la nullité.

Il a toujours été de règle qu'une transaction faite sur le fondement de pièces alors regardées comme vraies, et qui ont ensuite été reconnues fausses, est nu le. Celui qui voudrait en profiter serait coupable d'un délit, lors même que dans le temps du contrat il aurait ignoré que la pièce était fausse, s'il voulait encore en tirer avantage lorsque sa fausseté serait constatée.

« Mais on avait dans la loi romaine tiré de ce principe une conséquence qu'il serait difficile d'accorder avec la nature des transactions et avec l'équité. On suppose dans cette loi que dans une transaction il peut se trouver plusieurs chefs, qui soient indépendants et auxquels la pièce fausse ne soit pas commune. On y décide que la transaction conserve sa force pour les chefs auxquels la pièce fausse ne s'applique pas.0 .Cette décision n'est point admise dans le projet de loi. On ne doit voir dans une transaction

que des parties corrélatives; et lors même que les divers points sur lesquels on a traité sont indépendants quant à leur objet, il n'en est pas moins incertain s'ils ont été indépendants quant à la volonté de contracter, et si les parties eussent traité séparément sur l'un des points.

« On eût moins risqué de s'écarter de l'équité en décidant que celui contre lequel on se serait servi de la pièce fausse aurait l'option, ou de demander la nullité du contrat en entier, ou d'exiger qu'il fût maintenu quant aux objets étrangers à la pièce fausse; mais la règle générale que tout est corrélatif dans une transaction est celle qui résulte de la nature de ce contrat ; et ce qui n'y serait pas conforme ne peut être exigé par celui même contre lequel on s'est servi de la pièce fausse.

« La transaction qui aurait été faite sur un procès terminé par un jugement passé en force de chose jugée, dont les parties ou l'une d'elles n'avaient point connaissance, doit être nulle, puisque le droit n'était plus douteux lorsque les parties ont transigé.

«Si le jugement était ignoré des parties, le fait qu'il n'existait plus ni procès ni doute n'en serait pas moins certain. Il y aurait eu erreur sur l'objet même de la transaction.

«Si le jugement n'était ignoré que de l'une des parties, il y aurait une seconde cause de rescision, celle résultant du dol de la partie qui savait qu'elle était irrévocablement condamnée.

« Il en serait autrement si le jugement ignoré des parties était susceptible d'appel. On peut à la verité présumer que si la partie qui aurait obtenu ce succès l'eût connu, elle eût cherché à en tirer avantage dans la transaction; mais il suffit que le jugement rendu fut alors susceptible · d'appel pour qu'il y eut encore du doute; et lorsque la base principale de la transaction reste, on ne saurait l'anéantir sur une simple présomption.

« On ne fait point mention, dans la loi, du pourvoi en cassation, qu'elle autorise, en certains cas, contre les jugements qui ne sont pas susceptibles d'appel. Le pourvoi en cassation n'empêche pas qu'il n'y ait un droit acquis, un droit dont l'exécution n'est pas suspendue; mais si les moyens de cassation présentaient eux mêmes une question douteuse, cette contestation pourrait, comme toute autre, être l'objet d'une transaction.

«La transaction sur un procès précédemment jugé est nulle, parce qu'il n'y avait pas de question douteuse qui pùt en être l'objet. Le motif est le même pour déclarer nulle la transaction ayant un objet sur lequel il serait constaté par des titres nouvellement découverts, que l'une des parties n'avait aucun droit. Il eût pu arriver que la partie à laquelle les titres sont favorables eût été condamnée par un jugement sans appel avant que son adversaire fut coupable de les avoir retenus; mais ce n'est pas sur cette espèce d'incertitude que les parties ont traité, et on peut encore moins intervertir le véritable objet de la transaction, lorsque l'effet de cette interversion serait d'enrichir, aux dépens de l'une des parties, celle qui n'avait même pas un droit douteux.

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sitions que sous la condition qu'elles ne pourraient élever l'une contre l'autre de nouvelle contestation sur aucune de leurs affaires antérieures. Cette condition emporte la renonciation à tout usage des titres qui pourraient être postérieurement découverts.

« Si, dans les opérations arithmétiques sur les conventions qui sont le résultat de la transaction, il y avait erreur, cette erreur serait évidemment contre la volonté réciproque des parties.

«Mais on ne pourrait pas également regarder comme certaine cette volonté, s'il s'agissait d'erreurs de calcul faites par les parties dans l'exposition des prétentions sur lesquelles on a transigé. Ainsi la transaction sur un compte litigieux ne pourrait être attaquée pour cause de découverte d'erreurs ou d'inexactitude dans les articles du compte.

«Telles sont, citoyens législateurs, les règles générales sur les transactions, et les observations dont ces règles ont paru susceptibles. »

PROJET DE LOI

SUR LA RÉUNION DES LOIS CIVILES.

Rédaction définitive.

Le citoyen Bigot-Préameneu, d'après la conférence tenue avec le Tribunat, présente la rédaction définitive du projet de loi sur la réunion des lois civiles en un seul corps, sous le titre de CODE CIVIL DES FRANÇAIS.

Le Conseil l'adopte en ces termes : Article 1er.« Seront réunies en un seul corps « de lois, sous le titre de CODE CIVIL DES FRANCAIS, les lois qui suivent; savoir :

« 1°. Loi du 14 ventôse an II, sur la publication, « les effets et l'application des lois en général. « 20 Loi du 17 ventôse an XI, sur la jouissance « et la privation des droits civils.

« 3o Loi du 20 ventòse an XI, sur les actes de « l'état civil.

« 4o Loi du 23 ventôse an XI, sur le domicile. « 5o Loi du 24 ventôse en XI, sur les absents. « 6° Loi du 26 ventôse an XI, sur le mariage. « 7o Loi du 30 ventôse an XI, sur le divorce.

« 8° Loi du 2 germinal an XI, sur la paternité « et la filiation.

« 9° Loi du 2 germinal an XI, sur l'adoption et la « tutelle officieuse.

« 10° Loi du 3 germinal an XI, sur la puissance paternelle.

« 11° Loi du 5 germinal an XI, sur la minorité, « la tutelle et l'émancipation.

« 12° Loi du 8 germinal an XI, sur la majorité,

« l'interdiction et le conseil judiciaire.

« 13° Loi du 4 pluviôse an XII, sur la distinc

a tion des biens.

« 14° Loi du 6 pluviôse an XII, sur la propriété. « 15° Loi du 9 pluviôse an XII, sur l'usufruit, « l'usage et l'habitation.

« 16° Loi du 10 pluviôse an XII, sur les servi«tudes ou services fonciers.

« 17° Loi du 29 germinal an XI, sur les succes« sions.

« 18° Loi du 13 floréal an XI, sur les donations « entre-vifs et les testaments.

« 19° Loi du 17 pluviose an XH, sur les contrats « ou les obligations conventionnelles en général. «20° Loi du 19 pluviôse an XII, sur les engagements qui se forment sans convention.

« 21° Loi du 20 pluviôse an XII, sur le contrat de mariage, et les droits respectifs des époux. « 22° Loi du 15 ventôse an XII, sur la vente. « 23° Loi du 16 ventôse au XII, sur l'échange.

24° Loi du 16 ventôse an XII, sur le contrat « de louage.

« 25° Loi du 17 ventôse an XII, sur le contrat « de société.

« 26° Loi du 18 ventôse an XII, sur le prét. « 27° Loi du 23 ventôse an XII, sur le dépôt et « le séquestre.

« 28° Loi du 19 ventôse an XII, sur les contrats « aléatoires.

« 29o Loi du 19 ventôse an XII, sur le mandat. 30° Loi du 24 pluviôse an XII, sur le caution

« nement.

« 31° Loi du 29 ventôse an XII sur les transac« tions.

« 32° Loi du 23 pluviôse an XII, sur la con«trainte par corps en matière civile.

« 33° Loi du 25 ventôse an XII, sur le nantis« sement.

« 34° Loi du 28 ventôse an XII, sur les priviléges « et hypothèques.

« 35% Loi du 28 ventôse an XII, sur l'expropria«tion forcée et les ordres entre les créanciers.

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«36° Loi du 24 ventôse an XII, sur la prescrip« tion. »

Art. 2. « Les six articles dont est composée la « loi du 21 du présent mois, concernant les actes respectueux à faire par les enfants aux pères et « mères, aïeuls et aïeules, dans les cas où ils sont « prescrits, seront insérés au titre du mariage, à << la suite de l'article qui se trouve maintenant au « n° 151. »

Art. 3. « Sera insérée au titre de la distinction « des biens, à la suite de l'article qui se trouve « maintenant au no 529, la disposition contenue << en l'article qui suit:

«Toute rente établie à perpétuité pour le prix « de la vente d'un immeuble, ou comme condition << de la cession à titre onéreux ou gratuit d'un « fonds immobilier, est essentiellement rache<< table.

« Il est néanmoins permis au créancier de régler « les clauses et conditions du rachat.

« Il lui est aussi permis de stipuler que la rente « ne pourra lui être remboursée qu'après un cer«<tain terme, lequel ne peut jamais excéder « trente ans toute stipulation contraire est nulle. »

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Art. 4. Le Code civil sera divisé en un titre << préliminaire et en trois livres.

«La loi du 14 ventôse an XI, sur la publication, « les effets et l'application des lois en général, est « le titre préliminaire.

« Le livre premier sera composé des onze lois

« suivantes, sous le titre des personnes.

« Le second livre sera composé des quatre lois suivantes, sous le titre des biens et des diffé«rentes modifications de la propriété.

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Le troisième livre sera composé des quatre «<lois suivantes sous le titre des différentes ma« nières dont on acquiert la propriété.

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«Chaque livre sera divisé en autant de titres qu'il y a de lois qui doivent y être comprises." Art. 5.« Il n'y aura pour tous les articles du « Code civil qu'une seule série de numéros. » Art. 6. « La disposition de l'article premier « n'empêche pas que chacune des lois qui y sont « énoncées n'ait son exécution, du jour qu'elle a « dû l'avoir en vertu de sa promulgation parti«< culière. >>

Art. 7. « A compter du jour où ces lois sont « exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, « les coutumes générales ou locales, les statuts, << règlements, cessent d'avoir force de loi géné« rale ou particulière dans les matières qui sont

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Le citoyen Portalis, nommé pas le Premier Consul, avec les citoyens Bigot-Préameneu et Treilhard, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance du 28 ventôse, le projet de loi sur la réunion des lois civiles en un seul corps, sous le titre de CODE CIVIL DES FRANÇAIS, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 30 du même mois, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de ce projet.

Cet exposé est ainsi conçu :

« Citoyens législateurs,

Le 30 pluviôse an XI, le titre préliminaire du Code civil fut présenté à votre sanction. Une année s'est à peine écoulée, et nous vous apportons le projet de loi qui termine ce grand ouvrage.

Dans ce projet, on s'est proposé de classer les différentes matières dont la législation civile se compose, et de les réunir en un seul corps de lois, sous le titre de CODE CIVIL DES FRANÇAIS.

«Chaque partie de ce Code vous a été successivement soumise. Chaque projet est devenu loi dès qu'il a été consacré par vos suffrages. Dans la présentation des divers projets, on a été forcé de se conformer à l'ordre du travail. Dans leur réunion actuelle, on rétablit l'ordre des matières et des choses. On indique la place naturelle de toutes les lois destinées à former un même tout, quelle qu'ait été l'époque de leur promulgation. Il n'y aura qu'une seule série de numéros pour tous les articles du Code; on a pensé que cette mesure ne devait point être négligée. Elle rend plus apparent le caractère réel d'unité qui convient à l'ouvrage; elle ménage le temps et elle abrége la peine de ceux qui étudient et qui appliquent les lois.

Nous réparons une omission importante. On avait oublié de régler le sort des rentes foncières. Ces rentes seront-elles rachetables, ou ne le serontelles pas? La question avait été vivement controversée dans ces derniers temps; il était nécessaire de la décider.

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conquérants qui avaient acquis par les armes de vastes portions de terrain, ont été invités à les distribuer à des cultivateurs, par la facilité de stipuler une rente non rachetable, qui les associait aux profits de la culture, sans leur en faire partager les soins ou les embarras, et qui garantissait à jamais leur fortune et celle de leur postérité.

« L'histoire des rentes foncières remonte, chez les divers peuples de l'Europe, jusqu'au premier établissement de la propriété. S'agit-il d'un pays où il y a de grands défrichements à faire et de vastes marais à dessécher? On doit y autoriser les rentes foncières non rachetables. Elles y seront un grand moyen de favoriser l'industrie par l'espérance de la propriété, et d'améliorer un sol inculte, ingrat, par l'industrie.

« Mais les rentes foncières non rachetables ne sauraient présenter les mêmes avantages dans des contrées où l'agriculture peut prospérer par les secours ordinaires du commerce, et où le commerce s'étend et s'agrandit journellement par les progrès de l'agriculture. Dans ces contrées on ne peut supporter des charges ou des servitudes éternelles. L'imagination inquiète, accablée par la perspective de cette éternité, regarde une servitude ou une charge, qui ne doit pas finir, comme un mal qui ne peut être compensé par aucun bien. Un premier acquéreur ne voit, dans l'établissement de la rente à laquelle il se soumet, que ce qui la lui rend profitable. Ses successeurs ne sont plus sensibles qu'à ce qui peut la leur rendre odieuse.

« On sait d'ailleurs combien il fallait de formes et de précautions contre le débiteur d'une rente perpétuelle, pour assurer au créancier une garantie suffisante qui pût avoir la même durée que son droit.

«Nous eussions cru choquer l'esprit général de la nation sans aucun retour d'utilité, en rétablissant les rentes non rachetables.

«La disposition la plus essentielle du projet qui vous est soumis est celle par laquelle on déclare qu'à compter du jour où les nouvelles lois civiles que vous avez sanctionnées sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements, cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l'objet desdites lois composant le présent Code.

Cette disposition nous rappelle ce que nous étions, et nous fait apprécier ce que nous

sommes.

« Quel spectacle s'offrait à nos yeux! on ne voyait devant soi qu'un amas confus et informe de lois étrangères et françaises, de coutumes générales et particulières, d'ordonnances abrogées et non abrogées, de maximes écrites et non écrites, de règlements contradictoires et de décisions opposées; on ne rencontrait partout qu'un dédale mystérieux, dont le fil nous échappait à chaque instant; on était toujours prêt à s'égarer dans un immense chaos.

«Ce désordre s'explique par l'histoire.

« Les nations ont un droit public avant que d'avoir des lois civiles.

« Chez les peuples naissants, les hommes vivent plutôt entre eux comme des confédérés que comme des concitoyens; ils n'ont besoin que de quelques maximes générales pour régler leur association : la puissance qui s'élève au milieu d'eux n'est occupée qu'à organiser ses moyens de sûreté et de défense. Dans tout ce qui concerne les affaires ordinaires de la vie, on est régi par des usages, par des habitudes, plutôt que par des lois.

« Ce serait un prodige que des hommes, tour

à tour conquérants et conquis, placés dans des lieux différents, sous des climats divers, à des distances plus ou moins éloignées, et souvent sans autres communications entre eux que celles qui naissent du pillage et des hostilités, eussent les mêmes habitudes et les mêmes usages de là cette diversité de coutumes qui régissaient souvent les différentes provinces du même empire, et même les différentes villes de la même province.

« L'Europe, inondée par les barbares, fut, pendant des siècles, ensevelie dans l'ignorance la plus profonde. On ne pouvait penser à faire des lois, quand on n'était pas assez éclairé pour être législateur; de plus, les souverains étaient intéressés à ne pas choquer des peuples enivrés de la prétendue excellence de leurs coutumes. Pourquoi se seraient-ils permis des changements qui eussent pu produire des révolutions?

« Charlemagne, fondateur d'un vaste empire, jeta, par ses règlements politiques, les fondements des grandes institutions qui ont tant contribué dans la suite à éclairer l'Europe; il constitua les premiers ordres de l'Etat; mais, dans le gouvernement civil, son génie eût vainement aspiré à la gloire de contrarier trop ouvertement les mœurs et les préjugés de son siècle.

« Louis IX, dans ses Etablissements, se proposa d'embrasser l'universalité des matières civiles. Le temps ne comportant pas une si haute entreprise, les vues de ce prince demeurèrent aux termes d'un simple projet. Elles n'eurent quelque réalité que pour les vassaux de ses domaines.

« On crut, dans des temps moins reculés, avoir fait un grand pas vers le bien, quand on eut l'idée et le courage, je ne dis pas de réformer les anciennes coutumes, mais d'ordonner qu'elles seraient rédigées par écrit. Cette époque est célèbre dans l'histoire de notre ancienne législation; car des coutumes écrites, quoique d'ailleurs plus ou moins barbares, plus ou moins sages dans leurs dispositions, firent disparaître les inconvénients attachés à des conditions incertaines et variables. Les affaires de la vie prirent un cours plus fixe et plus régulier il y eut plus de sûreté dans l'ordre des successions, dans les propriétés privées et dans toutes les transactions sociales.

«Par intervalles, dans des moments de crises et de trouble, on promulguait quelque acte solen. nel de législation destiné à rétablir l'ordre, à réformer quelques abus ou à prévenir quelque danger. C'est au milieu des troubles civils que les belles ordonnances du chancelier de L'Hôpital furent publiées; mais des lois isolées, que le choc des passions et des intérêts faisait sortir du sein des orages politiques comme l'acier fait jaillir le feu du caillou, ne produisaient qu'une lumière vacillante, passagère, toujours prête à s'éteindre, et incapable de diriger longtemps une nation dans la route de la prospérité et du bonheur.

« Insensiblement les connaissances s'accrurent, diverses causes hâtèrent le progrès de l'instruction. Mais, dans une nation guerrière comme la nôtre, les premières classes de la société se vouaient au service militaire; elles avaient plutôt une discipline qu'une police; elles dédaignèrent longtemps l'étude de la jurisprudence et des lois; cette partie des connaissances humaines, qui n'est certainement pas la moins importante de toutes, était abandonnée à des hommes qui n'avaient ni le loisir. ni la volonté de se livrer

à des recherches qu'ils eussent regardées comme plus curieuses qu'utiles.

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L'antiquité nous avait laissé des collections précieuses sur la science des lois; malheureusement ces collections n'étaient connues que dans les contrées régies par le droit écrit, et encore faut-il observer qu'elles n'y étaient connues que de ceux qui se destinaient à la judicature ou au barreau.

« Les littérateurs ne cherchaient dans les anciens que les choses d'agrément: et les philosophes se bornaient à ce qui regarde les sciences spéculatives.

« Il ne faut pas s'étonner de cette indifférence. Nous naissons dans des sociétés formées, nous y trouvons des lois et des usages, nous ne regardons point au delà. Il faut que les événements donnent l'éveil à l'esprit; nous avons besoin d'être avertis pour prendre une direction nouvelle, et porter notre attention sur des objets jusque-là inconnus ou négligés.

« Ce sont nos découvertes dans les arts, nos premiers succès dans la navigation et l'heureuse fermentation née de nos succès et de nos découvertes en tout genre, qui produisirent, sous Louis XIV, les règlements de Colbert sur les manufactures, l'ordonnance des eaux et forêts, l'ordonnance du commerce et celle de la marine.

« Le bien naît du bien. Quand le législateur eut fixé sa sollicitude et ses regards sur quelques matières importantes, il sentit la nécessité, et il eut le désir de toucher à toutes. On fit quelques réformes dans l'ordre judiciaire, on corrigea la procédure civile, on établit un nouvel ordre dans la justice criminelle, on conçut le vaste projet de donner un Code uniforme à la France.

Les Lamoignon, les d'Aguesseau entreprirent de réaliser cette grande idée. Elle rencontrait des obstacles insurmontables dans l'opinion publique, qui n'y était pas suffisamment préparée, dans les rivalités de pouvoir, dans l'attachement des peuples à des coutumes dont ils regardaient la conservation comme un privilége, dans la résistance des cours souverainés qui craignaient toujours de voir diminuer, leur influence et dans la superstitieuse incrédulité des jurisconsultes sur l'utilité de tout changement qui contrarie ce qu'ils ont laborieusement appris ou pratiqué pendant toute leur vie.

«Cependant les idées de réforme et d'uniformité avaient été jetées dans le monde. Les savants et les philosophes s'en emparèrent; ils portèrent dans les matières législatives le coup d'oeil d'une raison exercée par l'observation et par l'expérience. On compara les lois aux lois, on les étudia dans leurs rapports avec les droits de l'homme et avec les besoins de la société. Le judicieux Domat et quelques auteurs contemporains commencèrent à se douter que la législation est une véritable science. J'appelle science une suite de vérités ou de règles liées les unes aux autres, déduites des premiers principes, réunies en corps de doctrine et de système sur quelqu'une des branches principales de nos connaissances.

« Les jurisconsultes ne furent plus de simples compilateurs, les magistrats raisonnèrent. Le public éclairé prit part aux querelles des jurisconsultes; il examina les décisions du magistrat, et, s'il est permis de le dire, il osa juger les justices.

« Dans les sciences, comme dans les lettres et dans les arts, tandis que les talents ordinaires luttent contre les difficultés et s'épuisent en vains efforts, il paraît subitement un homme de génie qui s'élance et va poser le modèle au delà des

bornes connues. C'est ce que fit, dans le dernier siècle, le célèbre auteur de l'Esprit des lois; il laissa loin derrière lui tous ceux qui avaient écrit sur la jurisprudence; il remonta à la source de toute législation; il approfondit les motifs de chaque loi particulière; il nous apprit à ne jamais séparer les détails de l'ensemble, à étudier les lois dans l'histoire, qui est comme la physique expérimentale de la science législative; il nous mit, pour ainsi dire, en relation avec les législateurs de tous les temps et de tous les mondes.

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Telle était parmi nous la disposition des esprits; telles étaient nos lumières et nos ressources, lorsque tout à coup une grande révolution éclate.

« On attaque tous les abus à la fois; on interroge toutes les institutions. A la simple voix d'un orateur, les établissements, en apparence les plus inébranlables, s'écroulent; ils n'avaient plus de racines dans les mœurs. La puissance se trouve subitement conquise par l'opinion.

« Il faut l'avouer: c'était ici une de ces époques décisives qui se rencontrent quelquefois dans la durée des Etats, et qui changent la position et la fortune des peuples, comme certaines crises changent le tempérament des individus.

« A travers tous les plans qui furent présentés pour améliorer les choses et les hommes, l'idée d'une législation uniforme fut une de celles qui occupèrent d'abord plus particulièrement nos assemblées délibérantes.

« Proposer une telle idée, c'était énoncer le vœu constant des magistrats les plus distingués et celui de la nation entière; c'était énoncer ce vœu dans un moment où l'on entrevoyait la possibilité de le réaliser.

Mais comment préparer un Code de lois civiles au milieu des troubles politiques qui agitaient la France?

La haine du passé, l'ardeur impatiente de jouir du présent, la crainte de l'avenir, portaient les esprits aux mesures les plus exagérées et les plus violentes; la timidité et la prudence, qui tendent à tout conserver, avaient été remplacées par le désir de tout détruire.

Des priviléges injustes et oppressifs, qui n'étaient que le patrimoine de quelques hommes, avaient pesé sur la tête de tous. Pour recouvrer les avantages de la liberté, on tomba pendant quelques instants dans les abus de la licence. Pour écarter les préférences odieuses et les empêcher de renaître, on chercha à niveler toutes les fortunes après avoir nivelé tous les rangs.

• Des nations ennemies, rivales et jalouses, menaçaient notre sûreté; en conséquence nous voulions, par nos lois, nous isoler de toutes les nations.

La France avait été déchirée par les guerres religieuses qui avaient laissé dans un grand nombre de familles des souvenirs amers. On crut devoir porter la coignée au pied de l'arbre, et détruire toute religion pour prévenir le retour de la superstition et du fanatisme.

Les premières lois qui furent promulguées par nos assemblées passèrent à travers tous ces systèmes exagérés, et s'y teignirent fortement. On détruisit la faculté de tester, on relâcha le lien du mariage, on travailla à rompre toutes les anciennes habitudes. On croyait régénérer et refaire, pour ainsi dire, la société: on ne travaillait qu'à la dissoudre.

a On revint ensuite à des idées plus modérées, on corrigea les premières lois, on demanda de nouveaux plans; on comprit qu'un Code civil |

devait être préparé avec sagesse, et non décrété avec fureur et précipitation.

« Alors le consul Cambacérès publia un projet de Code, qui est un chef-d'œuvre de méthode et de précision. Ce magistrat laissa aux circonstances et au temps le soin de ramener des vérités utiles qu'une discussion prématurée n'eût pu que compromettre. Ses premiers travaux préjugérent dès lors la sagacité et la sagesse avec lesquelles il devait un jour, sur ces grands objets, éclairer nos délibérations. Les événements publics qui se succédaient rapidement suspendirent tous les travaux relatifs à la confection du Code civil. Mais tous les bons esprits demeurèrent préoccupés de ce grand projet.

Au 18 brumaire, le premier soin du héros que la nation a choisi pour son chef fut, après avoir agrandi la France par des conquêtes brillantes, d'assurer le bonheur des Français par de bonnes lois.

<< Des commissions furent nommées pour continuer des travaux jusque-là toujours repris et abandonnés.

«La guerre, qui a si souvent l'effet de suspendre le cours des projets salutaires, n'arrêta point les opérations qui devaient amener le résultat de ces travaux. Les tribunaux furent consultés. Chaque magistrat, chaque jurisconsulte acquitta le tribut de ses lumières en quelques années nous avons acquis l'expérience de plusieurs siècles. L'homme extraordinaire qui est à la tête du Gouvernement sut mettre à profit le développement d'idées que la Révolution avait opéré dans toutes les tètes, et l'énergie de caractère qu'elle avait communiqué à toutes les âmes. Il réveilla l'attention de tous les hommes instruits; il jeta un souffle de vie sur des débris et des matériaux épars, qui avaient été dispersés par les tempêtes révolutionnaires; il éteignit les haines et réunit les partis : sous ses auspices, la justice et la paix s'embrassèrent, et dans le calme de toutes les passions et de tous les intérêts, on vit naître un projet complet de Code civil, c'est-à-dire le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir.

«Citoyens législateurs, le vœu de la nation, celui de toutes nos assemblées délibérantes, est rempli. Les différentes parties du Code civil, discutées dans le Tribunat par des hommes dont les lumières nous ont été si profitables, ont déjà reçu votre sanction, et vous allez proclamer, à la face de l'Europe, le Code civil des Français.

« Lors de la présentation de chaque loi, on vous a exposé les raisons qui la motivaient, et ces raisons ont obtenu vos suffrages. Il nous suffit dans ce moment de jeter un coup d'œil général sur l'ensemble des lois que vous avez sanctionnées. Ces lois ne sont point l'ouvrage d'une volonté particulière, elles ont été formées par le concours de toutes les volontés; elles paraissent, après la Révolution, comme ces signes bienfaisants qui se développent dans le ciel pour nous annoncer la fin d'un grand orage.

« Et en effet, eût-il été possible de terminer l'important ouvrage du Code civil, si nos travaux et les vôtres eussent été traversés par des factions? Eut-on pu transiger avec les opinions, si déjà on n'avait réussi à concilier les intérêts et à rapprocher les cœurs? Oui, citoyens législateurs, la seule existence d'un Code civil uniforme est un monument qui atteste et garantit le retour permanent de la paix intérieure de l'Etat. Que nos ennemis frémissent, qu'ils désespèrent de nous diviser, en voyant toutes les parties de la République ne plus former qu'un seul tout; en

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