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ce qu'a reconnu Jean-Baptiste Rousseau. Cependant, il faut le dire, et personne mieux que vous, monsieur, n'a pu s'en convaincre, vous qui avez si bien étudié tous les détails de la vie de Molière; non-seulement ces documens qui ont été publiés ne contredisent en rien l'ouvrage de Grimarest, mais ils y ajoutent peu.

Une autre considération, qui semble décisive à M. Aimé Martin2, 'c'est que dans toutes les critiques dirigées contre la Vie de Molière, on ne trouve pas un seul grief important. Cependant les auteurs de ces critiques avaient été les amis de Molière; ils devaient tous connaître ce que Grimarest est accusé d'avoir ignoré. Que ne signalaient-ils ces erreurs et ces omissions? que ne publiaient-ils de nouveaux mémoires? et pourquoi ne pas faire une justice éclatante pendant que les contemporains étaient là pour juger?

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Enfin les matériaux de ces mémoires ont été fournis à Grimarest par le fameux Baron, élève de Molière. Brossette et Jean-Baptiste Rousseau en conviennent eux-mêmes. Seulement ils accusent Baron « de s'être laissé emporter par son imagination et son talent de peindre, au-delà des bornes du vrai. » Suivant eux, « Grimarest aurait trop consulté cet acteur, et pas assez <«< la raison, en transportant sur le papier toutes les << bagatelles vraies ou fausses qu'il lui aurait ouï conter 3. >>

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Ainsi Jean-Baptiste Rousseau n'accuse Grimarest que d'avoir beaucoup consulté l'homme qui de

1. OEuvres de J-B. Rousseau, V, 329.

2.

Page xix de sa préface, d'où je tire presque tout ce que je dis ici. 3. Lettres de J.-B. Rousseau, III, 155.

:

vait le mieux connaître toutes les circonstances de la vie de Molière ce qui prouve au moins que si quelques erreurs se rencontrent dans ses Mémoires, ils n'en renferment pas moins beaucoup de vérités. Il faudrait une fatalité bien inconcevable pour que Baron eût toujours menti en parlant de son bienfaiteur, de son maître, de celui qui eut pour son enfance tous les soins d'un père, et pour sa jeunesse tout le dévouement d'un

ami!

Les preuves de la coopération de Baron aux Mémoires de Grimarest sont nombreuses; en voici une entre vingt, tirée d'un ouvrage imprimé en 17391. « Quand « Molière était dans sa maison d'Auteuil avec Chapelle « et Baron, il était impossible de deviner ce qui se passait entr'eux. Il a donc fallu que l'un des trois en ait rendu compte. Or, tout le monde sait que Gri<< marest et Baron ont été en liaison particulière pendant plusieurs années; cela suffit pour garantir la véracité, et j'ajoute la bonne foi de l'historien. »

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Un dernier mot décide tout ces Mémoires tant critiqués contiennent les seuls documens un peu considérables que nous possédions sur Molière; et cela est si vrai, que la plupart de ceux qui les ont blâmés n'ont pu se dispenser de les copier. Voltaire lui-même, après avoir traité l'auteur avec le plus profond mépris, s'est vu réduit à l'humiliante nécessité de lui emprunter tout le fond de son propre ouvrage. Sa notice spirituelle, mais froide, mais écourtée, n'offre

1. Lettre de M..... au sujet d'une brochure intitulée Vie de Molière.

rien de nouveau, rien de complet, rien qui révèle son auteur. Si tel a été le sort de Voltaire, que pouvonsnous espérer aujourd'hui, que toutes les traditions sur Molière sont éteintes?

Sans doute les mémoires sur la vie de ce grand poëte ne sont nullement exemts d'erreurs, et M. Aimé Martin le prouve par les notes qu'il y a jointes; mais enfin Grimarest a vu Molière; il a été l'ami de Baron, et ces circonstances donnent à son livre une place que le talent même de Voltaire n'a pu lui enlever. En un mot, l'ouvrage restera, parce qu'il est d'un contemporain, et nous n'avons plus qu'à rectifier ses erreurs et à réparer ses oublis.

Vous l'arrêtez dès son début, monsieur, et les fautes que vous lui reprochez vous paraissent tellement graves, que vous seriez tenté de ne plus regarder son témoignage que comme une simple conjecture qui mérite à peine quelque attention. Voici ce que dit notre

auteur:

« M. de Molière se nommait Jean-Baptiste Poquelin; « il était fils et petit-fils de tapissiers, valets de chambre << du roi Louis XIII. Ils avaient leur boutique sous les piliers des Halles, dans une maison qui leur appar<< tenait en propre. Sa mère s'appelait Boudet; elle était «< aussi fille d'un tapissier, établi sous les mêmes piliers « dès Halles. >>

Vous trouvez beaucoup d'erreurs dans ce peu de mots. La mère de Molière, d'après les recherches de M. Beffara et le registre de la paroisse Saint-Eustache

1. Dissertation sur Molière. Paris, 1821.

que je produis ici textuellement, s'appelait Marie Cresé. Boudet était le nom du beau-frère de Molière, qui avait peut-être pris l'établissement de Marie Cresé, sa bellemère, et qui, témoignant avec elle en 1662, habita avec elle lorsqu'elle fut veuve. Cette origine de la méprise de Grimarest l'explique assez naturellement pour le faire excuser d'avoir confondu les deux noms.

Mais, continuez-vous, l'auteur du Misantrope n'est pas né dans une maison située sous les piliers des Halles. M. Beffara nous prouve par des actes authentiques qu'il est né dans une maison rue Saint-Honoré, près la croix du Trahoir. Cette erreur, encore moins importante que la précédente, dérive de la même source. La boutique de Cresé, devenue celle des Boudet, était peut-être sous les piliers des Halles, et la boutique des Poquelin, près la croix du Trahoir, n'en était pas tellement éloignée, que les deux maisons n'eussent pu facilement être confondues par Baron. Cette légère inexactitude n'est certainement pas de nature à faire croire qu'il a eu l'intention de tromper son ami.

M. Beffara nous assure que le père de Molière mourut dans la maison de son gendre, André Boudet, sous les piliers des Halles, devant la fontaine, en février 1669, et conjecture qu'il s'était retiré dans cette maison. En juin 1663, la jeune madame Boudet, sœur de Molière, y avait eu un enfant, dont sa mère avait été marraine, et elle y était morte en mai 16651. Ces liaisons entre les familles Poquelin et Boudet ont sans

1. Dissertation de M. Beffara, 12.

doute trompé Baron, qui a lui-même trompé Grimarest. Cette double erreur est bien excusable.

Mais on en reproche une plus importante à Grimarest. Il dit que Molière mourut le 17 février 1673, âgé de cinquante-trois ans, et en cela il est d'accord avec tous les biographes de Molière, sans en excepter Voltaire, d'après lesquels Molière est né en 1620. Au bout de cent cinquante-neuf ans, M. Beffara, infatigable lecteur des registres des paroisses de Paris, y découvre l'extrait baptistaire ainsi conçu dans ceux de la paroisse de Saint-Eustache:

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« Du samedi 15 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouguelin » (c'est ainsi qu'il est écrit), « tapissier, et de Marie Cresé, sa femme, demeurant rue Saint-Honoré ; le parrain, Jean Pouguelin, porteur de grains; la marraine, Denise Lescacheux, veuve de feu « Sébastien Asselin, vivant marchand tapissier. » Cet enfant est bien certainement Molière 2.

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M. Beffara qualifie cet énoncé acte de naissance; mais il n'en donne nullement les motifs; il est arrivé souvent qu'on a baptisé des enfans plus de deux ans après leur naissance, et jamais un extrait baptistaire n'a dû recevoir la qualification d'acte de naissance, à moins que le tems de la naissance n'ait été spécifié dans l'acte c'est ce qui n'a point eu lieu ici.

nom,

:

Mais, objecterez-vous, Jean Poquelin, deuxième du fut fiancé et marié sur la paroisse de Saint-Eustache les 25 et 27 avril 1621, avec Marie Cresé, fille de Louis Cresé et de Marie Ancelin ou Asselin, marchand

1. Page clv de l'édition de M. Aimé Martin.

2. Dissertation de M. Beffara, 6.

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