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du sol que sur les 300 hectares de la commune, plus de 200 sont cultivables, dont 145 à 150 hectares peuvent être consacrés aux labours.

Le sol n'est pas des plus riches. La décomposition du granite donne des terres de landes où poussent genêts, ajoncs, carex, fougères ou des terres argilo-sableuses, légères, très répandues, enrichies d'un peu de calcaire par la décomposition des diabases, mais pauvres en chaux. Cette chaux indispensable, c'est le goémon qui la lui procure. Le goémon est le seul engrais naturel que possèdent les habitants de l'île; ils ont exploité avec soin cette richesse depuis des temps très reculés et l'ont protégée contre les entreprises des <<< gens du continent » avec une jalousie dont les Archives nous ont transmis de longs échos. Depuis longtemps, sa coupe est réglementée et depuis longtemps aussi diverses ordonnances ont reconnu et garanti aux Bréhatins leurs droits sur le goémon qui couvre les îles d'alentour. Une ordonnance de 1681 fait défense formelle aux étrangers d'arracher ce goémon. Cette interdiction n'empêche pas les habitants du continent d'organiser de véritables expéditions pour aller voler nuitamment aux Bréhatins ce « bien si précieux », ce « don de la Providence ». Des arrêts du Parlement de 1734, 1767, 1775, 1779 renouvellent les défenses, énumèrent avec soin les deux lieux où pourra se faire la récolte, le temps pendant lequel elle sera permise ou interdite, et reconnaissent que le droit de propriété des Bréhatins s'étend << sur toutes les roches où croît le goémon où ils peuvent aller en couper de pied sec à mer basse et où les habitants des autres paroisses ne peuvent venir que par bateaux ». Mais plaintes et représailles n'empêchent pas les habitants de Ploudaniel, Ploubazlanec, Plourivo de continuer leurs « pilleries » et... d'en revendre le produit aux gens de Bréhat eux-mêmes! Et les doléances de continuer, dont les Cahiers des États-Généraux sont remplis, sur les difficultés qu'ont les habitants de s'assurer ce produit nécessaire non seulement pour l'engrais de leurs terres, mais pour « brûler... pour faire leurs buées, cuire leur soupe et enfin apprêter leur nourriture ». Ce n'est guère qu'avec l'amélioration des moyens de transports qu'ils purent jouir de leur bien en toute propriété, mais c'est alors entre les habitants de l'île euxmêmes que continuèrent les discussions.

Depuis longtemps, on avait partagé l'étendue des grèves entre les habitants de l'île pour empêcher les désordres. En 1776, puis en 1844, on avait attribué à chaque ménage, propriétaire de 15 ares, un «< avis »> ou portion de grève où il pouvait récolter le goémon. Mais les gens

venus s'établir dans l'île après le partage des grèves réclamaient aussi leur part et se livraient aux mêmes pillages qu'auparavant les habitants du continent. Une nouvelle répartition a eu lieu en 1906; le règlement autorise deux coupes par an : en mai-juin pour le goémon d'engrais; de juillet à septembre pour le goémon à feu. L'animation est grande les jours de coupe. On mobilise la demi-douzaine de chevaux de l'île et, dès que baisse la mer, tous s'en vont à la grève, enfants, hommes haut bottés, femmes les jupes serrées dans des culottes.

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2. LE MONT SAINT-MICHEL A L'ILE DE BRÉHAT.

Type de butte rocheuse aux pentes raides. Au premier plan, dépression à sables granitiques, couverte de cultures (on aperçoit un champ entouré de choux fourragers).

Ce qui est le plus près de la terre est chargé sur des charrettes. Du reste, on forme d'immenses galettes qu'on encorde avec soin pour empêcher les brins de s'échapper, dès que la mer remonte, on fait flotter ces grandes bouées que le flux ramène à la terre, convoyées souvent par des canots. De la rive, on les happe à la gaffe, on les hisse à terre, on étale le goémon qu'on fait sécher si c'est du goémon à feu, qu'on brûle pour en utiliser les cendres si c'est du goémon d'engrais.

C'est nourri de fumier et de ce seul goémon que le sol de Bréhat a longtemps fait vivre ses habitants. L'usage du guano s'est introduit dans la seconde moitié du XIXe siècle et l'on commence à utiliser les superphosphates, mais ceux-ci sont encore peu répandus. Les cultures n'ont jamais été très variées. Le blé en fut toujours

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la base et, malgré les apparences, il réussit assez bien. On le sème en décembre-janvier. Il suit la pomme de terre et précède l'avoine chez un cinquième des cultivateurs; chez le reste, blé et pommes de terre alternent avec le fourrage; cet assolement a remplacé l'ancienne rotation: blé, avoine, jachère. La culture en blé a couvert, pendant la guerre, jusque tout près de 100 hectares; elle n'excède pas aujourd'hui 65; le blé rapporte environ 12 à 15 hectolitres à l'hectare, l'avoine 17 à 18. On le coupe dans la première quinzaine d'août; on le bat dès le 16 dans l'île du Sud, à partir du 20 dans l'île du Nord.

Le blé a toujours été réservé pour la consommation locale et il ne suffisait pas aux besoins. Nombre de pétitions du XVIIe siècle nous indiquent que l'île ne produisait guère plus du quart ou du tiers du blé qui lui était nécessaire. Obligés de compter sur l'appoint du dehors, les Bréhatins se plaignent, sous l'Ancien régime, des droits qui frappent les embarquements et débarquements par bateaux qui sont «<leurs seules voitures »; et, chose curieuse au moment où se manifeste partout un esprit favorable à la libre circulation des grains, ils demandent qu'on fasse établir des magasins à blé et qu'on en défende la sortie de la provincé, lorsqu'il sera « au taux de 6 livres le boisseau ». Toutes leurs requêtes témoignent de leurs inquiétudes alimentaires, privés si souvent qu'ils sont de communications avec la terre.

Jusqu'à la guerre, chacun faisait cuire son pain; il avait remplacé la bouillie à laquelle on n'a d'ailleurs pas encore renoncé complètement; on portait alors le blé à moudre aux deux anciens moulins banaux. Le cultivateur trouve aujourd'hui plus de profit à le vendre et à acheter son pain, mais quelques-uns sacrifient encore au vieil usage; le jour de cuisson, qui revient à peu près une fois par quinzaine, c'est un pittoresque défilé de brouettes où s'empilent les mottes rondes de pâte sur lesquelles sont dessinées des lettres, animaux, fleurs, signes quelconques qui permettront à chacun de reconnaître son bien une fois la cuisson terminée. Quand la fournée est prête, le client vient prendre ce qui lui revient parmi l'amoncellement de pains que le boulanger a entassés le long du trottoir, sans trop de souci des injures auxquelles ils peuvent ainsi être exposés.

La production en blé continue à ne pas suffire aux besoins de l'île, mais l'importance de ce déficit a disparu aujourd'hui qu'elle peut se ravitailler au dehors. Outre le blé et l'avoine, on cultive l'orge et la betterave, mais pour une proportion insignifiante.

La culture de la pomme de terre a complètement bouleversé l'économie de l'île; dès son introduction les habitants, désormais délivrés de la crainte de la famine, ont pu, grâce à elle, suppléer au manque de blé et, aujourd'hui, devenue produit de vente et d'exportation, c'est un facteur de richesse. On cultiva longtemps la pomme de terre d'hiver; dès 1817, l'île en produisait assez pour en exporter, Aujourd'hui, elle couvre de 30 à 40 hectares (avec la pomme de terre primeur); c'est elle qui bénéficie de la part la plus large d'engrais; avant de la planter, on donne au champ du fumier, du goémon et de la cendre de varech, tandis que le blé ne reçoit pas de goémon. On récolte la pomme de terre en septembre-octobre; elle se conserve jusqu'en mai; elle suffit à la consommation locale mais ne s'exporte plus guère.

C'est seulement vers 1890 que la culture des « patates-primes »>, selon le terme en usage là-bas, a fait son apparition, venant du continent. Elle a tout de suite prospéré, car le sol lui convient. Culture lucrative, le Bréhatin a pour elle des soins précieux et, pour elle seule, se risque à l'achat de superphosphates. La pomme de terre se récolte à la mi-mai et est envoyée sur Paris.

La culture se borne à l'île de Bréhat même; on a, à plusieurs reprises, tenté, mais sans grand succès, de coloniser les îlots voisins. A Lodogec, en 1816, où il n'y avait que jonc, bruyère, fougère, on tenta de semer du seigle; la tentative échoua et l'île continue aujourd'hui à produire des ajoncs. En 1820, l'île de Saint-Riou était cultivée et habitée par une seule famille, et de même l'île Verte. Abritant autrefois des communautés, ces îles sont aujourd'hui à peu près désertes.

Toute cette vie agricole est encore patriarcale. Les parcelles cultivables sont toutes petites, en moyenne de 500 mètres carrés, et souvent n'en atteignent pas 100; entourées, par surcroit, de murs ou d'une rangée de choux-fourrages, on n'y peut mettre aucune machine agricole moderne. La petite charrue antique ne gratte guère la terre à plus de 15 ou 20 centimètres de profondeur. Il n'y a pas plus d'une quinzaine d'années qu'on moissonnait à la faucille. Les hommes prennent, aujourd'hui qu'ils vont moins en mer, une part plus grande aux travaux des champs; la main-d'œuvre de l'île y suffit, et aucun des travaux, même aux moments de presse, ne nécessite l'embauchage d'ouvriers venus du dehors. Il n'y a pas de prolétariat agricole et les journaliers sont tous des petits propriétaires qui louent leurs services quand ils ne sont pas occupés sur leur propre

terre. Les Bréhatins pratiquent d'ailleurs largement l'aide mutuelle : les propriétaires se groupent pour faire ensemble les travaux de la saison successivement chez chacun d'eux.

L'élevage tient une place importante dans cette économie, il suffit aux besoins locaux mais sans plus; toute famille possède au moins 1 ou 2 vaches, quelques porcs et 3 ou 4 moutons. On menait autrefois tout ce troupeau à la vaine pâture. Celle-ci, établie de temps immémorial, a fait l'objet d'autant de plaintes et de protestations que la coupe du goémon. L'île comptait deux pâtres, l'un pour l'île du Sud, l'autre pour l'île du Nord, qui menaient tout le troupeau communal à la pâture. Les mêmes édits minutieux qui réglementaient la récolte du goémon, fixaient aussi dans le détail les époques et les endroits où l'on pouvait faire pâturer le bétail. En principe, toute terre non enclose et sur laquelle la récolte était faite, pouvait être déclarée terre de vaine pâture; mais le bétail empiétait sur ses droits et les propriétaires, de leur côté, clôturaient leurs parcelles pour en interdire l'accès. Cette situation confuse dura jusqu'au moment de l'introduction des cultures fourragères, mais la vaine pâture subsista longtemps et les gens nés vers 1880 se souviennent fort bien d'y avoir dans leur enfance vu mener les bêtes.

L'île nourrit environ 300 vaches (en comptant les jeunes), 2 à 300 moutons, et, contre 145 hectares voués au labour, 160 sont consacrés à l'élevage comme près naturels, prairies artificielles, pâturages, pacages et landes. Les prés naturels, qui couvrent de 25 à 30 hectares, sont situés surtout dans le nord et l'ouest de l'île; ils donnent une coupe de foin par an, sans regain. Il y a 30 à 40 hectares de prairies artificielles composées surtout de trèfle qui pousse bien, dure deux ans et fournit trois coupes la première année, deux coupes la seconde; la luzerne est peu cultivée. Les pâturages situés sur les sommets ou les pentes supérieures des buttes ou dans certains basfonds sont occupés par le bétail la plus grande partie de l'année; on ne rentre les bêtes que dans la mauvaise saison; dès qu'il ne fait pas trop froid, on les met dehors, les vaches au piquet, les moutons liés deux à deux à une longue corde. Tout ce bétail rentre chaque soir à l'étable; seuls quelques îlots avoisinant Bréhat reçoivent cependant des moutons qui y pâturent, seuls, toute l'année et qu'un berger va visiter de temps à autre.

La lande joue un rôle capital dans l'économie pastorale en particulier et dans toute la vie de l'île en général. Elle ne fait pas seulement partie d'un paysage auquel le Bréhatin a depuis toujours

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