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le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, il avait lui-même concouru aux Palinods. Ce jour-là, il devait encore s'y faire entendre, ainsi que nous l'allons voir. Près de lui était son ami Etienne Pascal, nommé l'année précédente, conjointement avec MM. Claude de Paris, et Diel de Miromesnil, intendant dans la généralité de Rouen, et depuis cette époque, fixé dans cette ville avec ses trois enfants: Gilberte, Jacqueline et Blaise ; oui, Blaise, Blaise Pascal!

Ils attendaient avec une vive impatience la proclamation des prix. Nous en donnons l'indication d'après les manuscrits du temps (1):

La Palme, fut décernée à Alexandre Guillemot, pour le premier prix du chant royal.

Le Lys, à Du Raynel, pour deuxième prix de la même fondation.

La Rose, à Thirel, de Lisieux, pour prix de la ballade.

Le Miroir d'argent, au précédent lauréat, Alexandre Guillemot, pour prix de l'ode française.

L'Anneau d'or, à Thirel, de Lisieux, déjà nommé, pour prix du sonnet.

Le Laurier, au célèbre professeur de l'Université de Caen, Antoine Halley, pour le premier prix de l'épigramme latine.

L'Etoile, à Henri de Tarallian, pour deuxième prix de l'épigramme latine.

La Ruche, à Nicolas Le Roux, sieur du Bourgtheroulde, pour prix de l'ode latine, qu'on appelait

(1) La plupart existent dans les archives de l'Académie.

l'ode pontificale, à cause du fondateur du prix, François de Harlay, archevêque de Rouen.

Le Soleil d'argent revint à Auger pour deuxième prix de la stance.

Vint enfin la Tour; c'était le premier prix de la stance, fondé en 1596, par le grave et savant Claude Groulart, premier président au Parlement de Rouen. Ce ne fut pas sans une surprise extrême que l'auditoire entendit proclamer le nom du lauréat Jacqueline Pascal, une enfant de quatorze ans,et voici les deux dernières stances qu'elle avait composées :

L'arche saincte, conduite en vn lieu plein de vice,
Dès l'abord qu'elle y vient, renverse les faux dieux;
Elle en fuit la demeure, et répute à supplice

D'habiter en vn lieu si peu chéry des cieux.

Sy donc vne simple arche, et bien moins nécessaire, Ne sauroit habiter dans vn profane lieu,

Comment penseriez-vous que cette saincte mère

Estant vn temple impur, fust le temple de Dieu ? (1)

Quand le prince des Palidods l'invita à venir recevoir son prix, Jacqueline ne répondit pas à l'appel de son nom. Son père, tout ému de son bonheur, n'osait prendre la parole. Le grand Corneille, en personne, s'avança vers l'estrade et, au nom de sa petite amie, remercia l'assemblée et son président. Il le fit en quelques vers qui ont été conservés et que retrouveront facilement ailleurs que dans ce discours déjà trop long,

(1) Recueil des Palinods, 1631-46, in-f. ms. f. 142, verso. Biblioth. de l'Acad. de Rouen.

ceux qui ne craindront pas d'étudier un grand génie jusque dans ses improvisations les plus fugitives.

La séance se termina sur cet incident à son heure réglementaire, cinq heures.

Le lendemain, le prix fut porté à Jacqueline en grande cérémonie, avec accompagnement de trompettes et de tambours. Par une lettre de sa sœur Gilberte, on voit qu'à l'arrivée du cortége, elle était si peu préoccupée de ce triomphe que, malgré ses quatorze ans, elle était entourée de quantité de poupées qu'elle habillait et deshabillait tour à tour.

Antoine Corneille, qui était alors sous-prieur au prieuré de Saint-Thomas-le-Martyr, du Mont-auxMalades et qui lui même avait été couronné cinq fois aux Palinods, de 1636 à 1639, voulut, comme son frère aîné, célébrer la victoire de Jacqueline Pascal par des strophes qui ont été imprimées dans le recueil palinodique de l'année 1641.

Cette étonnante jeune fille a occupé d'autres beaux esprits que ceux de son temps. En 1844, M. Cousin lui a consacré un livre dans lequel il lui rend un brillant hommage. « Avec un peu plus de culture, dit-il, Jacqueline Pascal eut pu devenir une des personnes les plus éminentes de son siècle; naturellement belle et enjouée, d'un esprit sérieux et gracieux tout à la fois, d'une merveilleuse aptitude pour la poésie, née pour faire les délices de la famille et le charme d'une société d'élite, (1) » elle fut tout à coup saisie de scrupules religieux poussés à l'excès. Touchée des discours de son frère, séduite par les lectures de Jansénius, de Saint

(1) Jacqueline Pascal, cinquième édit., p. 46; Paris, 1862, in-12.

Cyran, d'Arnauld, et les instructions de son directeur, M. Singlin, Jacqueline renonça au mariage et au monde. Mais respectant les volontés de son père, elle attendit sa mort pour déclarer sa vocation. Elle entra à Port-Royal, sous le nom de sœur SainteEuphémie, le 4 janvier 1652, étant alors agée de 26 ans, et mourut le 4 octobre 1661, dans ce berceau vénérable des lettres françaises (1). Ses dernières années furent attristées par le regret d'avoir signé, pour plaire à ses supérieurs, un formulaire qui condamnait certaines doctrines professées par Jansénius dans son traité intitulé: Augustinus. (2)

Quel était donc cet Etienne Pascal, le père de Jacqueline et de Blaise, le chef de cette illustre famille? Etienne Pascal fils d'un trésorier de France, occupa divers emplois dans l'administration des Finances, notamment à la cour des Aides d'Auvergne, comme second président. En 1631, il quitta Clermont et vint s'établir à Paris pour se livrer à l'éducation de ses enfants et à la sienne propre. Il s'y lia avec les savants les plus distingués en physique et en mathématiques : le Père Mer

(1) Bordes-Demoulin, Éloge de Pascal, couronné par l'Acad. française en 1842.

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(2) Cornelii Jansenii, episcopi Iprensis, Augustinus; seu doctrina S. Augustini de humanæ naturæ sanitate, ægritudine, medicina, adversus Palagianos et Massilienses; Lovanii, 1640, 3 tom. en 1 vol. in-f.-Parisiis, 1641, seu Rothomagi, 1643-52, 3 tom. en 2 vol. in-f. — Les propositions condamnées, au nombre de cinq, traitent du libre arbitre, de la prédestination et surtout de la gráce. Sur cet ouvrage célèbre, voy. J. Racine, Abrégé de l'Hist. du Port-Royal;-Sainte-Beuve, Port-Royal, t. II, Paris, Hachette, 1860, liv. 2, chap. x et xi; - Cousin, Jacqueline Pascal, p. 10, 17, 20, 319 et suiv.; Pascal, Les Provinciales, lettres 18 et 19.

senne, de Roberval, Carcavi, le Pailleur et le rouennais Adrien Auzout; il les recevait chez lui et participait à leurs travaux. Il avait donné à son fils Blaise des connaissances un peu systématiques qui ne furent pas sans influence sur la tournure de son puissant et merveilleux esprit. Ses deux filles avaient reçu une éducation très forte outre le latin, l'histoire, la philosophie, il leur avait encore montré les mathématiques. On rapporte qu'après avoir défendu un jour avec chaleur, chez le chancelier Séguier, les intérêts de ceux qui étaient menacés d'un retranchement de rentes sur l'Hôtel-deVille de Paris, Etienne Pascal fut poursuivi par les ordres de Richelieu, (mars 1638); mais dans cette circonstance délicate, nous retrouvons encore la charmante Jacqueline, qui, un an après, à force de gentillesse et d'esprit dans le principal rôle d'une comédie en vers (1), jouée par des enfants devant le ministre, obtint la rentrée en grâce de son père.

A la fin de l'année 1639, ce retour de la faveur du cardinal valut à Etienne Pascal sa nomination aux fonctions d'intendant de la généralité de Rouen, conjointement avec M. Claude de Paris, conseiller du roi en ses conseils. De Paris eut l'intendance pour les gens de guerre et Etienne Pascal pour les tailles. Le poste était difficile: il y avait eu des troubles récents, on avait pillé les bureaux de recettes et, comme nous l'avons vu plus haut, le maréchal de camp de Gassion partit pour la Normandie avec 10,000 hommes de troupes. C'est à la complication des calculs que devait alors faire Etienne

(1) L'Amour tyrannique, tragi-comédie de Scudéry. Jacqueline remplissait le rôle de Cassandre.

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