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idées. Dans ces transformations successives d'un art encore en enfance, il y a trois époques que l'on peut nettement distinguer.

C'est d'abord le moyen-âge proprement dit, se terminant au milieu du seizième siècle, où la littérature dramatique est spontanée, prime-sautière, nationale, où les Mystères sont le résultat de la foi, encore vive et profonde, assez mal caractérisée par ces deux vers de Boileau:

Qui sottement zélée en sa simplicité

Joua les Saints, la Vierge et Dieu par piété.

Puis viennent les prémisses de la Renaissance, où l'esprit narquois l'emporte, où les farces joyeuses, récréatives, historiques, facétieuses, enfarinées, brillent d'une gaîté fantasque et d'une malice gauloise, d'où plus tard est sorti notre théâtre comique.

Enfin la Renaissance elle-même, où commence à se produire l'imitation des Grecs et des Latins, ce qui fait dire à Ronsard, en parlant de Jodelle:

Jodelle le premier, d'une plainte hardie,

Françaisement chanta la grecque poésie,

jugement qui pourrait passer aussi bien pour une critique que pour un éloge.

Dans ces diverses périodes, il y a, du reste, un symptôme qu'il eut été bon de faire ressortir: c'est la vivacité de certaines attaques publiques, la licence de certaines exhibitions satiriques contre les personnages les plus haut placés, que leur élévation ne protégeait pas, loin de là, contre ces écarts. Il est permis de s'étonner d'a

bord qu'ils aient pu être tolérés sous un régime qui faisait une si large part au principe aristocratique. Mais c'était là une des rares franchises de l'époque. Aux yeux de l'historien philosophe, c'est une preuve de plus que la liberté de penser, quelque comprimée qu'elle puisse être, finit toujours par trouver quelque fissure pour s'échapper, et que le droit de contrôle contre les actes des puissants, quand il n'est pas la liberté saine et sagement réglée, est presque inévitablement la licence.

On pouvait, à cette occasion, rappeler l'épisode des Basochiens de Paris et de Louis XII. Dans leur hardiesse à attaquer les ridicules et les abus, ils avaient mis en scène le roi lui-même, sous la figure de l'Avarice. Cette audace lui fut dénoncée et il répondit : « Je

veux qu'on les laisse jouer en liberté et que les jeunes gens déclarent les abus qui se font à la cour, puisque « les confesseurs et autres qui font les sages, n'en " veulent rien dire. >>

A côté de ces droits imprescriptibles de la philosophie, nous rappelons à l'auteur ceux de l'histoire, qui ne sont pas seulement de dresser un procès verbal des faits certains, officiels, et nous eussions aimé à le voir ne pas se réduire à n'admettre, comme prouvées, que les quelques représentations dont il a trouvé la trace dans des documents authentiques. Ce n'est pas assez : l'histoire a sa logique et son intuition; la divination de ce qui a dû nécessairement être, et par suite de ce qui a été, peut acquérir un degré d'évidence qui donne, en certains cas, à la conjecture historique une force égale à celle qu'on accorde tous les jours aux

présomptions morales, pour constituer une preuve. complète.

Ainsi, comment douter qu'en dehors des grandes pièces dont les représentations ne pouvaient être fréquentes à cause des frais considérables d'une luxueuse mise en scène, on n'ait pas fréquemment représenté les petits ouvrages à deux, trois, cinq ou six personnages, dans les dimensions de nos comédies modernes, lesquels pouvaient être joués par un petit nombre d'acteurs, sans appareil et sans faste.

Comment croire, pour ne citer qu'un seul exemple, que la farce de Pathelin, qui date de la deuxième moitié du xv siècle (1467 ou 1470), ce chef-d'œuvre de naïveté moqueuse et de finesse incisive, où l'on trouve des traits dignes de Molière et de Rabelais, et qui atteint quelquefois, pourrait-on dire, la sublimité du comique, n'ait pas fait à Rouen, dès cette époque, les délices de nos ancêtres? Elle eut, en France, plus de vingt-cinq éditions avant la fin du xvr° siècle, et, suivant la préface, mise en tête de la réimpression qu'en fit en 1859 le bibliophile Jacob, elle eut un succès si général qu'elle passa à l'étranger, qu'elle était devenue aussi populaire en Allemagne qu'en France, grâce à la traduction en vers latins qu'en fit le savant professeur Renchlin, qui l'avait vu jouer en France, et qui l'en avait emportée pour la faire représenter par ses élèves, à Heidelberg, en 1497. N'était-il pas bien plus inévitable qu'elle arrivât de Paris en Normandie, et qu'elle y fût chaudement accueillie, puisque, aux yeux de beaucoup de commentateurs, le héros devait être un avocat normand?

N'y a-t-il pas une vraisemblance égale, et à nos yeux

équivalant à vérité, pour affirmer que les pièces de ce genre qui ont été imprimées à Rouen, y furent nécessairement représentées? Citons, entre autres, une pièce pourvue d'un titre bien attrayant et qui se vendait chez Abraham Couturier, libraire, tenant sa boutique près de la grande porte du palais, au sacrifice d'Abraham, en 1568 Discours facétieux des hommes qui font saler leurs femmes à cause qu'elles sont trop douces; et cette autre la Farce joyeuse de Martin Baton qui rabbat le caquet des femmes, et est à cinq personnages, sçavoir: Martin Bâton;—

:

la 1re commère ; la 2e commère;

Caquet; Silence;

à Rouen, chez Jean Oursel

l'aîné, rue Ecuyère, à l'imprimerie du Levant.

Acoubar,

Dans un autre genre, les pièces de M. Jacques Duhamel, avocat en la cour du Parlement tragédie, en 1603, et Lucelle, tragi-comédie, en 1617, qui furent imprimées à Rouen par Raphaël du PetitVal, ne durent-elles pas obtenir, du légitime crédit dont jouissait leur auteur, l'honneur d'être représentées devant ses compatriotes?

Une autre lacune, peut-être difficile à combler, est celle qui concerne la disposition du théâtre et la mise. en scène; ces questions qui ont été agitées en ce qui concerne l'histoire générale du théâtre, auraient pu être examinées en ce qui concerne notre théâtre normand.

Victor Hugo, dans sa Notre-Dame-de-Paris, où il s'est montré aussi savant antiquaire que puissant romancier, a donné la description du théâtre élevé par la Basoche sur la Table de marbre du palais de Paris, en 1488, pour la représentation du mystère le Bon Juge

ment de madame la Vierge. Il nous fait voir la grande cage de charpente, dont la surface supérieure est le théâtre, et dont l'intérieur, masqué par des tapisseries, est le vestiaire des acteurs, le tout flanqué d'échelles extérieures qui établissent la communication entre le vestiaire et la scène, et dont les raides échelons servent aux entrées et aux sorties. Est-ce dans ce style que nos Basochiens de Rouen élevaient leurs estrades?

Il y a d'autres détails qui seraient intéressants à éclaircir. A l'origine, les femmes étaient exclues des troupes dramatiques. M. Louandre constate qu'en 1434, à Paris, lors de la représentation du mystère de Sainte-Catherine, le rôle de la sainte fut rempli... vous ne devineriez pas par qui?... par un notaire, du nom de Jean Didier, qui devait bien rire un peusous cape de la transformation féminine qu'il devait subir pour être à même de remplir son rôle.

Plus tard, nous voyons un progrès: en 1468, on exécute devant le roi une pièce mythologique, le Jugement de Paris; les rôles des trois déesses sont remplis par des femmes, dont je ne vous dirai pas le costume. Vénus, entre autres, était une Flamande d'une taille monumentale et d'un magnifique embonpoint. Ce progrès, indispensable et marqué dans la vérité de la mise en scène, se serait-il accompli également en Normandie? et à quelle époque?

En posant ces questions, nous n'avons pas la pensée de reprocher sérieusement à l'auteur de ne pas les avoir résolues, car nous ignorons si elles pouvaient l'être.

Il ne nous reste plus qu'à résumer le jugement de la Commission. Elle a trouvé dans le Mémoire qui lui

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