troupe de comédiens établie dans cette ville. L'Etourdi plut beaucoup, malgré la froideur des personnages, le peu de liaisons des scènes et l'incorrection du style. On ne connoissoit guère alors que des pièces chargées d'intrigues pen vraisemblables. L'art d'exposer sur le théatre comique des caractères et des mœurs, étoit réservé à Molière. Cet art naissant dans l'Etourdi, joint à la variété et à la vivacité de cette pièce, tint le spectateur en haleine, et en couvrit presque tous les défauts. Cette pièce fut reçue avec le même applaudissement à Beziers, où l'auteur se rendit peu de temps après. Le prince de Conti qui avoit connu Molière au collège, et qui avoit vu un grand homme dans cet écolier, tenoit alors dans cette ville les Etats de la province du Languedoc. Il reçut Molière comme un ami, et non content de lui confier la conduite des fêtes qu'il donnoit, il lui offrit une place de secrétaire. L'Aristophane François la refusa, et dit en badinant: Je suis un Auteur passable, et je serois peut-être un fort mauvais Secrétaire... Le Dépit amoureux et les Précieuses ridicules parurent sur le théâtre de Beziers et y furent admirés. Les incidens sont rangés avec plus d'ordre dans le Dépit amoureux que dans l'Etourdi. On y reconnoît dans le jeu des personnages un fond de vrai comique et dans leurs reparties des traits également ingénieux et plaisans ; mais le nœud en est trop compliqué, et le dénouement manque de vraisemblance. Il y a plus de simplicité dans l'intrigue des Précieuses ridicules. Une critique fine et délisate de la maladie contagieuse du bel esprit, du style empoulé et guindé des Romans, du pédantisme des femmes savantes de l'affectation répandue dans le lan-, gage, dans les pensées, dans la parure, sont l'objet de cette comédie. Elle produisit une réforme générale, lorsqu'on la représenta à Paris. On rit, on se reconnut, on applaudit en se corrigeant. Ménage qui assistoit à la première représentation, dit à Chapelain: Nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et avec tant de bons sens. Croyez-moi, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brulé. Cet aveu n'est autre chose que le sen timent réfléchi d'un savant détrompé; mais le mot du vieillard, qui du milieu du parterre s'écria par instinct: Courage, MOLIERE, voilà la bonne comédie ! est la pure expression de la nature. Louis XIV fut si satisfait des spectacles qué lui donna la troupe de Molière, qui avoit quitté la province pour la capitale, qu'il en fit ses Comédiens ordinaires, et accorda à leur chef une pension de mille livres. Le Cocu imaginaire, moins fait pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude, parut en 1660. On y retrouve Molière en quelques endroits; mais ce n'est pas Molière des Précieuses ridicules. Il y a pourtant un fonds de plaisanterie gaie qui amuse, une sorte d'intérêt né du sujet, qui attache. Cette pièce eut beancoup de critiques, qui ne furent pas écoutés du public. Ils se déchaînèrent avec beaucoup plus de raison contre Don Garcie de Navarre, pièce puisée dans le théâtre Espagnol. L'Ecole des Maris, comédie imitée des Adelphes de Térence, mais imitée de et recurent vers le même temps de nouvelles récompenses. Le roi, qui le regardoit comme le législateur des bienséances du monde, et le censeur le plus utile de l'affectation des précieuses, du langage scientifique des femmes érndites et des ridicules des François, le mit sur l'état des gens de lettres qui devoient avoir part à ses libéralités. Molière pénétré des bontés de ce monarque, crut devoir détruire dans l'Im-promptu de Versailles, les impressions qu'avoit pu donner le Portrait di Peintre de Boursault. Cet auteur avoit malignement supposé une clef à l'Ecole des Femmes, qui indiquoit les originaux copiés d'après nature. Molière le traita avec le dernier mépris; mais ce mépris ne tombe que sur l'esprit et sur les talens, et ne rejaillit qu'indirectement sur la personne. La cour goûta beaucoup en 1664 la Princesse d'Elide, comédieballet, composée pour une fête aussi superbe que galante que le roi donna aux reines. Paris, qui façon qu'elle forme une pièce nouvelle sur l'idée simple de l'ancienne, offre un dénouement naturel, des incidens développés avec art, et une intrigue claire, simple et féconde. Le théâtre retentissoit encore des justes applaudissemens donnés à cette comédie, lorsque les Facheux, pièce conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours, fut jouée en 1661 à Vaux, chez le célèbre Fouquet surintendant des finances, en présence du roi et de la cour. Cette espèce de comédie est presque sans nœud; les scènes n'ont point entr'elles d'union nécessaire. Mais le point principal étoit de soutenir l'attention du spectateur par la variété des caractères, par la vérité des portraits, et par l'élégance continue du style. On rapporte qu'en sortant de la première représentation de cette pièce, le roi appercevant le comte de Soyecourt, ennuyeux chasseur, dit à Molière voilà un original què tu n'as pas encore copié. En 24 heures la scène du Chasseur Fávit cette pièce séparée des ornecheux fut faite; et comme Molière ignoroit les termes de chasse il pria Soyecourt luimême de les lui indiquer. Dans P'Ecole des Femmes, donnée l'année d'après, tout paroît récit, et tout est action. Cette pièce souleva les censeurs qui relevèrent quelques négligences de style, sans faire attention à l'art quiy règne, au caractère inimitable d'Agnès, au jen des personnages subalternes tous formés pour elle, au passage prompt et naturel de surprises en surprises. Molière leur répondit en faisant lui-même une critique ingénieuse de sa pièce, qui fit disparoître toutes les censures impertinentes qu'elle avoit produites. Ses talens : mens qui l'avoient embellie à Versailles, en jugea moins favorablement. Le Mariage forcé, autre comédie-ballet, essuya le même sort. Une aventure arrivée au comte de Grammont, lui en avoit fourni le sujet. Don Juan ou le Festin de Pierre, cut peu de succès, et fit tort à l'auteur par plusieurs traits impies qu'il supprima à la seconde représentation. L'Amour Médecin parut encore un de ces ouvrages préci pités qu'on ne doit pas juger à la rigueur. C'est la première pièce où Molière ait attaqué la faculté. On dit qu'ayant été rançonné sur un loyer que lui avoit passé un médecin ignorant et avare, il s'attacha dès-lors à jeter du ridi cale sur cette profession. « J'ai un médecin, disoit-il au roi, j'écoute tous ses conseils, je ne les suis pas; aussi je me porte à merveille. L'auteur s'acquit une gloire éclatante et solide par son Misanthrope, pièce peu applaudie d'abord, par l'injustice ou par l'ignorance; mais regardée › depuis comme l'un des plus beaux ouvrages de la comédie ancienne et moderne. Cependant il faut avouer qu'elle est plus admirée dans le cabinet, que suivie au théâtre. « Si on osoit, dit Voltaire, chercher dans le cœur humain la raison de cette tiédeur du public aux représentations du Misanthrope, peut-être les trouveroit-on dans l'intrigue de la pièce, dont les beautés ingénieuses et fines ne sont pas également vives et intéressantes ; dans les conversations mêmes, qui sont des morceaux inimitables, mais qui n'étant pas toujours nécessaires à la pièce, peutêtre refroidissent un peu l'action pendant qu'elles font admirer l'auteur: enfin dans le dénouement qui, tout bien amené et tout sage qu'il est, semble être attendu du public sans inquiétude, et qui venant après une intrigue peu attachante, ne peut avoir rien de piquant. En effet, le spectateur ne souhaite point que le Misanthrope épouse la coquette Célimène, et ne s'inquiète pas beaucoup s'il se détachera d'elle. Enfin, on prendroit la liberté de dire que le Misanthrope est une satire plus sage et plus fine que celle d'Horace et de Boileau, et pour le moins aussi bien écrite; mais qu'il y a des comé→ dies plus intéressantes, et que le Tartufe, par exemple, réunit les beautés du style du Misanthrope avec un intérêt plus marqué. (Voyez WICHERLEY.) Les ap plaudissemens des gens de goût ayant consolé Molière des dédains de la multitude pour cette pièce, il ne se rebuta point. Le Médecin malgré lui parut en 1666. C'est une farce très-gaie et très-bouffonne. L'auteur qui se déguisoit en farceur pour plaire à la multitude, auroit pu retrancher les obscénités des scènes de la nourrice. Le Sicilien, ou l'Amour - Peintre, est une petite pièce qu'on voit avec plaisir, parce qu'il y a de la grace et une galanterie moins triviale que dans quelques autres comédies. Mais l'admiration fut à son comble, lorsque le Tartufe parut. En vain les Orgons, les imbécilles et les faux-dévôts se soulevèrent contre l'auteur, la pièce fut jouée et admirée. L'hypocrisie y est parfaitement dévoilée, les caractères en sont aussi variés que vrais, dialogue également fin et naturel. Cette pièce subsistera, tant qu'il y aura en France du goût et des hypocrites. La première pièce que Piron vit jouer à Paris, fut le Tartufe; son admiration alla jusqu'à l'extase. Après l'avoir entendue, il se retourna vers ses voisins, et s'écria: « Ah! Messieurs, si cet ouvrage n'étoit pas fait, il ne se feroit jamais. » Tartufe fut d'abord défendu. Huit jours après cette défense, on représenta à la cour une pièce intitulée Scaramouche Hermite, farce très-licencieuse. Le roi en sortant, dit au grand Condé : Je voudrois bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la Comédie de Molière, ne disent rien de celle de Scaramouche? Les Comédiens Italiens, répondit le prince, n'ont offensé que Dieu; mais les François ont offensé les dévots. (Voy. MAIM le BOURG. Cependant Molière donna en 1668 Amphitryon, comédie en trois actes, imitée de Plaute, et supérieure à son modèle, où le poëte respecte moins les bienséances que dans le Tartufe, et dont le sujet ne pouvoit guère s'accommoder avec les égards dûs aux mœurs. Il fait rire, à la vérité; mais il ne suffit pas que la comédie soit plaisante pour être applaudie par les sages; il faut que la vertu n'y soit pas blessée. L'Avare, autre imitation de Plaute, est un peu outré dans le caractère principal; mais le vulgaire ne peut être ému que par des traits marqués fortement. Un reproche sur lequel il est plus dificile de le justifier, c'est que dans cette pièce l'autorité paternelle est avilie. « C'est un grand vice, dit J. J. Rousseau, d'être avare et de prêter à usure; mais n'en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire mille insultans reproches; et quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d'un air goguenard, qu'il n'a que faire de ses dons? Si la plaisanterie est excellente, en estelle moins punissable? et la pièce où l'on fait aimer le fils insolent qui l'a faite, en est-elle moins une école de mauvaises.mœurs? » George Dandin ou le Mari confondu, Monsieur de Pourceaugnac, le Bourgeois Gentilhomme, les Fourberies de Scapin, sont d'un comique plus propre à divertir qu'à instruire, quoiqu'il y ait plusieurs ridicules exposés avec force. Molière travailla avec plus de soin sa comédie des Femmes Savantes, satire ingénieuse du faux bel-esprit et de l'érudition pédantesque qui régnoient alors à l'hôtel de Rambouillet. Les incidens n'en sont pas toujours bien combinés, ainsi que dans quelques autres de ses pièces; mais son sujet, quoique aride en lui-même, y est présenté sous une face très-comique. La scène entre Trissotin et Vadius, fut imaginée d'après une dispute élevée entre l'abbé Cotin et Ménage. Le Malade imaginaire offre un comique d'un ordre inférieur à celui des Femmes Savantes; mais il n'en peint pas moins la charlatanerie et le pédantisme des médecins. (Voy. MALOUIN.) Ce fut par cette pièce que Molière termina sa carrière. Il étoit incommodé lorsqu'on la représenta. Sa femme et Baron le pressèrent de prendre du repos et de ne point jouer : Eh! que feront, leur répondit-il, tant de pauvres ouvriers? Je me reprocherois d'avoir négligé un seul jour de leur donner du pain. Les efforts qu'il fit pour achever son rôle lui cau-sèrent une convulsion, suivie d'un vomissement de sang, qui le suffoqua quelques heures après le 17 février 1673, à 53 ans. Il étoit alors désigné pour remplir la première place vacante à l'académie Françoise, et il n'auroit plus joué que dans le haut comique. Cette compagnie lui a rendu un nouvel hommage en 1778, en plaçant son buste dans la salle où sont les portraits des académiciens. Elle a voulu, par cette espèce d'adoption posthume de ce grand homme, se dédommager du désagrément de ne l'avoir pas possédé pendant sa vie. Cette statue qui est un chef-d'œuvre de M. Houdon, a été donnée à l'académie par M. d'Alembert. Entre plusieurs inscriptions proposées pour ce buste, on a choisi ce vers de Sourin: RIEN NE MANQUE A SA GLOIRE, IL MANQUOIT A LA NOTRE... L'archevêque de Paris refusant de lui accorder la sépulture, la veuve de ce grand homme dit: On refuse un tombeau à celui à qui la Grèce auroit dressé des Autels. Le roi engagea ce prélat à ne pas couvrir de cet opprobre la mémoire d'un homme aussi illustre; et il fut enterré à Saint-Joseph, qui dépend de la paroisse Saint-Eustache. La populace toujours extrême, s'attroupa devant sa porte le jour de son convoi, et on ne put l'écarter qu'en jetant de l'argent par les fenêtres. Tous les rimailleurs de Paris s'exercèrent à lui faire des Epitaphes. Un de ces insectes eut la bêtise d'en montrer une de sa façon au grand Condé, qui lui répondit froidement: Plut à Dieu que celui que tu déchires, m'eut apporté la tienne! La seule peut-être de ces pièces qui mérite une place dans cette esquisse, est celle dont l'honora le fameux Père Bouhours, jésuite. Elle a rapport aux injustices que l'Aristophane François essuya pendant sa vie et à sa mort. Tu réformas et la Ville et la Cour, Mais, Molière, à ta gloire il ne man queroit rien, Si, parmi les défauts que tu peignis si bien, Tu les avois repris de leur ingratitude. Cette ingratitude ne fut pas durable, et l'on reconnut bientôt tout son mérite après sa mort, comme le dit Boileau dans sa 7° Epître : Avant qu'on peu de terre obtenu par prière, Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière, Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés, Furent des sots esprits à nos yeux rebutés, L'ignorance et l'erreur à ses naissantes Pièces, En habits de Marquis, en robes de Comtesses, Venoient pour diffamer son chefd'œuvre nouveau, Et secouoient la tête à l'endroit le plus beau Mais si-tôt que, tales mains, d'un trait de ses fa L'aimable Comédie avec lui terrassée, En vain d'un coup si rude espéra revenir, Et sur ses brodequins ne sur plus se tenir. Sa veuve, ( qui vécut jusqu'en 1700) se remaria au comédien Guérin, mort en 1728, à 92 ans..... On peut regarder les ouvrages de Molière comme l'histoire des mœurs, des modes et du goût de son siècle, et comme le tableau le plus fidelle de la vie humaine. Né avec un esprit de réflexion, prompt à remarquer les expressions extérieures des passions et leurs mouvemens dans les différens états; il saisit les hommes tels qu'ils étoient, et exposa en habile peintre les plus secrets replis de leur cœur, et le ton, geste, le langage de leurs sentimens divers. « Ses comédies bien lues, dit M. de la Harpe, pourroient suppléer à l'expérience, non parce qu'il a peint des ridicules qui passent, mais parce le |