s'asseyoit rarement devant lui. Le marquis de Louvois s'étant rendu à Sainte-Marguerite, pour le voir avant sa translation à Paris, lui parla avec une considération qui tenoit du respect. Cet illustre inconnu mourut, le 9 novembre 1703, et fut enterré sous le nom de MARCHIALI, le lendemain à quatre heures après midi, dans le cimetière de la paroisse de StPaul. Ce qui redouble l'étonnement, c'est que quand on l'envoya aux isles Sainte-Marguerite, il ne disparut dans l'Europe aucun homme considérable. Ce prisonnier l'étoit sans doute; car voici ce qui arriva les premiers jours qu'il fut dans l'isle. Le gouverneur mettoit lui-même les plats sur sa table, et ensuite se retiroit après l'avoir enfermé. Un jour il écrivit avec un couteau sur une assiette d'argent, et jeta l'assiette par la fenêtre vers un bateau qui étoit au rivage, presque au pied de la tour. Un pêcheur, à qui ce bateau appartenoit, ramassa l'assiette et la rapporta au gouverneur. Celuici étonné demanda au pêcheur : Avez-vous lu ce qui est écrit sur celle assiette? Et quelqu'un l'a-il vue entre vos mains. Je ne sais pas lire, répondit le pêcheur je viens de la trouver personne ne l'a vue. Ce paysan fut retenu jusqu'à ce que le gouverneur fût bien informé qu'il n'avoit jamais lu, et que l'assiette n'avoit été vue de personne. Allez, lui dit-il, vous êtes bienheureux de ne savoir pas lire!... La Grange-Chancel raconte, dans une Lettre à l'auteur de l'Année Littéraire, que, lorsque St-Mars alla prendre le Masque de Fer pour le conduire à la Bastille, le prisonnier dit à son conducteur : Est-ce que le Roi en veut à ma - vie ? Non, mon Prince, ré pondit Saint- Mars, votre vie est en sûreté; vous n'avez qu'à vous laisser conduire. « J'ai su, ajoutet-il, d'un nommé Dubuisson, caissier du fameux Samuel Bernard, (qui, après avoir été quelques années à la Bastille, fut conduit aux isles Sainte-Marguerite) qu'il étoit dans une chambre avec quelques autres prisonniers, précisément audessus de celle qui étoit occupée par cet inconnu que, par le tuyau de la cheminée, ils pouvoient s'entretenir et se communiquer leurs pensées; mais que ceux-ci lui ayant demandé pourquoi il s'obstinoit à leur taire son nom et ses aventures, il leur avoit répondu que cet aveu lui coûteroit la vie, ainsi qu'à ceux auxquels il auroit révélé son secret. » Toutes ces anecdotes prouvent que le Masque de fer étoit un prisonnier de la plus grande importance. Mais qui étoit ce captif? Ce n'étoit pas le duc de Beaufort : nous l'avons prouvé dans son article. Ce n'étoit pas le comte de Vermandois, comme le prétend l'auteur des Mémoires. de Perse. Cet écrivain sans aven raconte que ce prince, fils légitimé de Louis XIV et de la duchesse de la Vallière, fut dérobé à la connoissance des hommes par son propre père, pour le punir d'un soufflet donné à Monseigneur le Dauphin. « Comment peut-on, dit un homme d'esprit, imprimer une fable aussi grossière? Ne sait-on pas que le comte de Vermandois mourut au camp devant Dixmude en 1683, et fut enterré solennellement à Arras? Le Dauphin avoit alors 22 ans. On ne donne des soufflets à un Dauphin en aucun âgeş et c'est en donner un bien ter¬ tible au sens commun et à la vérité, que de rapporter de pareils contes. » Il n'est pas moins absurde de vouloir faire d'autres conjectures sur le Masque de fer, Pour résoudre ce problême historique, il faudroit avoir des Mémoires des personnes qui ont eu ce secret important; et ces personnes n'en ayant point laissé, il faut savoir se taire. L'auteur de ce Dictionnaire, qui avoit pris des informations à l'isle Sainte-Marguerite, est le premier qui ait dit que l'Homme au Masque avoit d'abord été envoyé à la citadelle de Pignerol. Cette particularité a été confirmée par le Journal de du Jonca, lieute nant de roi de la Bastille, quand le prisonnier y arriva. Ce Journal, imprimé dans le Traité des différentes sortes de preuves qui établissent la vérité de l'Histoire, du P. Griffet, est très-curieux. Du Jonca ne dit point que le masque fût de fer il dit seulement que c'étoit un masque de velours noir; et nous n'avions pas fait entendre autre chose dans la première édition de ce Dictionnaire. Mais le nom de Masque de fer ayant prévalu pour désigner ce célèbre infortuné nous l'avons laissé subsister..... On lit dans le Journal Encyclopédique, du mois d'août 1770, qu'il y a lieu de croire que c'étoit un secrétaire d'état du duc de Mantoue, appelé Magni, qui, vendu à l'empereur, avoit parcouru les cours de différens princes, pour les exciter contre la France, et que Louvois fit enlever par vingt hommes masqués dans une partie de chasse près de Turin, et de là transférer à Pignerol. Ce n'est pas la dernière Conjecture qu'on a formée sur cette victime de la politique. On : trouve dans les éclaircissemens joints à la Vie de Voltaire, par M. de Condorcet, une note ou l'on propose quelques nouvelles idées assez vraisemblables pour n'être pas oubliées dans cet article: «Le Masque de fer, y est-il dit, étoit sans doute un frère et un frère aîné de Louis XIV, dont la mère avoit ce goût pour le linge fin sur lequel M. de Voltaire appuie. Ce fut en lisant les Mémoires de ce temps, qui rapportent cette anecdote au sujet de la reine, (Voyez ANNE D'AUTRICHE) que me rappelant ce même goût du Masque de fer, je ne doutois plus qu'il ne fût son fils ce dont toutes les autres circonstances m'avoient déjà persuadé. On sait que Louis XIII n'habitoit plus depuis long-temps avec la reine; que la naissance de Louis XIV ne fut due qu'à un heureux hasard habilement amené hasard qui obligea absolument le roi à coucher en même lit avec la reine. Voici donc comme je crois que la chose sera arrivée. La reine aura pu s'imaginer que c'étoit par sa faute qu'il ne naissoit point d'héritier à Louis XIII. La naissance du masque de fer l'aura détrompée. Le cardinal à qui elle aura fait confidence du fait, aura su, par plus d'une raison, tirer parti de ce secret. Il aura imaginé de tourner cet événement à son profit et à celui de l'état. Persuadé, par cet exemple, que la reine pouvoit donner des enfans au roi, la partie qui produisit leTM hasard d'un seul lit pour le roi et la reine, fut arrangée en conséquence. Mais la reine et le cardinal également pénétrés de la nécessité de cacher à Louis XIII l'existence du Masque de fer, l'auront fait élever en secret. Ce : secret en aura été un pour Louis XIV jusqu'à la mort du cardinal Mazaria. Mais ce monar que apprenant alors qu'il avoit un frère, et un frère aîné que sa mère ne pouvoit désavouer, qui peut-être portoit d'ailleurs des traits marqués qui annonçoient son origine, faisant réflexion que cet enfant né durant le mariage, ne pouvoit sans de grands inconvéniens, et sans un horrible scandale, être déclaré illégitime après la mort de Louis XIII, Louis XIV aura jugé ne pouvoir user d'un moyen plus sage et plus juste que celui qu'il empleya pour assurer sa propre tranquillité et le repos de l'état moyen qui dispensoit de commettre une cruauté que la politique auroit représentée comme nécessaire à un monarque moins consciencieux et moins magnanime que Louis XIV. Il me semble que plus on est instruit de l'histoire de ces temps-là, plus on doit être frappé de la réunion de toutes les circonstances qui prouvent en faveur de cette supposition.» L'auteur de la Vie du Duc de Richelieu a produit une lettre de Mile de Valois, écrite à ce duc, où elle se vante d'avoir appris du duc d'Orléans, son père, à d'étranges conditions, quel étoit l'homme an Masque de fer; et cet homme, dit-elle, étoit un frère jumeau de Louis XIV, né quelques heures après lui. Il est probable que si le régent fit cette confidence, il crut en affoiblir le danger, en faisant du Masque de fer un cadet, sans droit au trône, et non un aîné héritier présomptif de la couronne. En 1803, M. Reth a publié à Turin un opuscule, intitulé: Véritable clef de l'Histoire de l'homme au Masque de fer, dans lequel il prétend que ce personnage singulier est un comte Mathioly de Bologne, confident et ministre du duc de Mantoue, envoyé par ce dernier à Versailles pour y traiter secrétement de la vente de Casal à Louis XIV, et qui, de retour en Italie, révéla le secret de ce traité à la cour de Turin, et à Melgar gouverneur de Milan pour les Espagnols. L'ambassa◄ deur François à Turin, furieux de la perfidie de Mathioly, l'attira sur le territoire François, le fit arrêter, le 2 mai 1679, à la vue de Pignerol, et le confia à la garde de Saint-Mars. Celui-ci le conduisit au fort d'Exiles d'où il fut transféré ensuite aux isles SainteMarguerite, et enfin à la Bastille, où il mourut plus que sexagénaire, après une détention de 24 ans et demi. Cette opinion s'accorde assez avec celle qui nomme peut-être impropre ment, Magni, l'agent du duc de Mantoue. M. Reth a annoncé la publication prochaine de preuves complètes qui dévoilent cette énigme historique; mais jusqu'au moment où ces preuves pourront être appréciées, on demandera toujours pourquoi tant de précautions pour un prisonnier si peu' dangereux ? Pourquoi ces respects à son égard, cè masque de velours qui annonce le plus grand intérêt à cacher ses traits? Pourquoi son isolement absolu dans la prison, et l'attention scrupuleuse de le faire suivre dans toutes ses translations par le gouverneur qui ne l'avoit pas quitté, et avoit le secret de son histoire? Un simple agent d'un duc de Mantoue, sans nom remarquable 9 coupable d'une trahison peu importante, ne paroit devoir exciter ni l'inquiétude u gouvernement, ni des soins constans pour envelopper sa personne d'une obscurité impénétrable. Quoi qu'il en soit, nous rapportons fidellement tout ce que nous avons lu jusqu'à ce jour sur ce fameux prisonnier masqué, en avouant que jusqu'ici il n'y a eu encore sur son histoire que des conjectures. II. MASSAC, (Pierre-Louis Raymond de) né dans l'Agénois le 25 août 1728, mort en 1780, suivit quelque temps la profession d'avocat, et a laissé quelques ouvrages d'économie et de jurisprudence, estimés. Ce sont : 1. Recueil d'instructions et d'amusemens littéraires, 1765, in-12. II. Mémoire sur la manière de gouverner les abeilles, 1766, in-12. III. Autre sur la qualité et l'emploi des engrais, 1767, in-12. L'auteur publia une seconde édition de ces deux Mémoires, sous le titre de Recueil d'instructions économiques, 1779, in-8. IV. Manuel des rentes, 1777 et 1783, in-8.° V. Traité des immatricules, 1779, in-8.o MASSARI, (Lucio) célèbre peintre de Bologne, mort en 1633, à 64 ans, enrichit de ses tableaux les eglises et les couvens de sa patrie. * MASSILLON, (Jean-Baptiste) fils d'un notaire d'Hières en Provence, naquit en 1663, et entra dans la congrégation de l'Oratoire en 1681. Les agrémens de son esprit, l'enjouement de son caractère, un fonds de politesse fine et affectueuse, lui gagnèrent tous les cœurs dans les villes où on l'envoya; mais, en plaisant aux gens du monde, il déplut à ses confrères. Ses ta→ lens lui avoient fait des jaloux, et l'air de réserve qu'il prenoit avec eux, passoit pour fierté. Ses supérieurs lui ayant soupçonné, pendant son cours de régence, des intrigues avec quelques femmes, cherchèrent à l'éloigner de la congrégation. On prétend qu'il la quitta en effet pour aller s'ensévelir dans l'abbaye de Sept-Fonts, où il passa quelques mois. Mais il rentra bientôt après dans l'Oratoire. il fit ses premiers essais de l'art oratoire à Vienne, pendant qu'il professoit la théologie. L'oraison funèbre de Henri de Villars archevêque de cette ville, obtint tous les suffrages. Ce succès engagea le P. de la Tour, alors général de sa congrégation, à l'appeler à Paris. Il eut beau répondre que son talent et son inclination l'éloignoient de la chaire, il fallut obéir à son supérieur. Lorsqu'il eut fait quelque séjour dans la capitale, le P. de la Tour lui demanda ce qu'il pensoit des prédicateurs qui brilloient sur ce grand théâtre ? Je leur trouve, répondit-il, bien de l'esprit et du talent; mais si je prêche, je ne prêcherai pas comme eux. Il leur souhaitoit en effet une sensibilité plus vive et plus profonde. Il tint parole: il prècha, et il s'ouvrit une route nouvelle. Le P. Bourdaloue fut excepté du nombre de ceux qu'il ne se proposoit point d'imiter. S'il ne le prit pas en tout pour son modèle, c'est que son génie le portoit à un autre genre d'éloquence. Il se fit donc une manière de composer qu'il ne dut qu'à lui-même, et qui, aux yeux des hommes sensibles, parut supérieure à celle de Bourdaloue. La simplicité touchante et le naturel de l'Oratorien sont, ce semble, dit un homme d'esprit, plus propres à faire en◄ trer dans l'ame les vérités du Christianisme, que toute la dialectique du jésuite. La logique de l'Evangile est dans nos cœurs: c'est là qu'on doit la chercher. Les raisonnemens les plus pressans sur les devoirs indispensables d'assister les malheureux, ne tou cheront guère celui qui a pu voir souffrir son semblable sans en être ému. Une ame insensible est un clavecin sans touches, dont on chercheroit en vain à tirer des sons. Si la dialectique est nécessaire, c'est seulement dans les matières de dogme; mais ces matières sont plus faites pour les livres que pour la chaire, qui doit être le théâtre des grands mouvemens et non pas de la discussion. On sentit bien la vérité de ces réflexions, lorsqu'il parut à la cour. Après avoir prêché son premier Avent à Versailles, il reçut cet éloge de la bouche même de Louis XIV: Mon Père, quand j'ai entendu les autres Prédicateurs j'ai été très-content d'eux. Pour vous, toutes les fois que je vous ai entendu, j'ai été très mécontent de moi-même. Massillon, prêchant devant le même monarque, resta un instant sans se rappeler de la suite de son discours. << Remettezvous, mon Père, lui dit le roi; il est bien juste de nous laisser le temps de goûter les belles et utiles choses que vous nous dites.>> La première fois qu'il prêcha son fameux sermon du petit nombre des Elus, il y eut un endroit où un transport de sai sissement s'empara de tout l'auditoire. Presque tout le monde se leva à moitié, par un mouvement involontaire. Le murmure d'acclamations et de surprise fut si fort, qu'il troubla l'orateur. ce trouble ne servit qu'à aug - menter le pathétique de ce mot ceau. Ce qui surprit sur-tout dans le Père Massillon, ce furent ces peintures du monde, si saillantes, si fines, si ressemblantes. On lui demanda où un homme, consacré comme lui à la retraite, avoit pu les prendre ? Dans le cœur humain, répondit-il : pour peu qu'on le sonde, on y dẻ➡ couvrira le germe de toutes les passions.... Quand je fais un sermon, disoit-il encore, j'imagine qu'on me consulte sur une affaire ambiguë. Je mets toute mon application à décider et à fixer dans le bon parti, celui qui a recours à moi. Je l'exhorte, je le presse, et je ne le quitte point qu'il ne se soit rendu à mes raisons. Sa déclamation ne servit pas peu à ses succès. Il nous semble le voir dans nos chaires, disent ceux qui ont eu le bonheur de l'entendre, avec cet air simple, cè maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d'un homnie pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, et dans les coeurs les mouvemens les plus tendres. Le célèbre comé dien Baron, l'ayant rencontré dans une maison ouverte aux gens de lettres, lui fit ce compli ment Continuez, mon Père, à débiter comme vous faites; vous avez une manière qui vous est propre, et laissez aux autres les règles. Au sortir d'un de ses sermons la vérité arracha à ce fameux acteur cet aveu humiliant pour sa profession: Mon ami, dit-il à un de ses camarades qui l'avoit accompagné, voilà un Orateur, et nous ne sommes que des Comédiens. En 1704, le Père Massillon parut pour la seconde fois à la cour, et y fut trouvé encore plus éloquent que la première |