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D'UN VILLAGE DISPARU

Devant Metz

PAR CH. ABEL.

Lu en séance de l'Académie le 29 Avril 1886.

Un souvenir de mon enfance qui me revient souvent à la mémoire, quand je m'approche de Longeville-lès-Metz, c'est la façon singulière et pittoresque dont les bêtes à cornes de l'endroit étaient conduites à la pâture. Le matin, à l'aurore, le berger faisait retentir sa trompe de fer-blanc, les vaches sortaient de leurs étables. Le taureau en tête, le chien du pâtre en queue, elles se dirigeaient vers la Moselle, à l'extrémité septentrionale du village. Elles entraient dans l'eau et nageaient rapidement vers l'autre rive, pendant que le berger fermait la marche dans une nacelle, ayant à ses côtés son chien et de jeunes veaux qui bêlaient après leurs mères, en attendant leur leçon de natation.

C'était un vrai tableau digne d'être peint par Paul

Potter ou Gérard Terburg. Pourquoi faut-il que ce soit ma plume qui retrace sans couleur ce charmant épisode rural qui aurait dû nous valoir soit un pastel de Rolland, soit une sépia de M. Aug. Menessier.

Les gens du pays me racontaient que du temps des païens il y avait un chemin ferré en cet endroit de la Moselle qu'ils appelaient par tradition lou chemi de la Vaçquinière; et ils ajoutaient qu'autrefois la rivière ne passait point par là mais en travers du pré Saint-Symphorien, faisant limite entre la paroisse de Longeville et celle de Montigny. Je ne me doutais guère il y a cinquante ans que j'utiliserais ces racontars de villageois pour l'instruction de l'Académie de

Metz.

Depuis quelques jours j'avais appris par le surveillant du Musée d'histoire naturelle que des ouvriers dragueurs venaient de retirer de la Moselle, sur l'ancien chemin des vaches de Longeville, une étonnante quantité de pierres de toutes formes.

Je m'y rendis le 22 Mars 1886 et j'eus le plaisir de trouver les restes d'une localité antique que je savais exister en ces parages, mais dont je cherchais en vain l'emplacement.

Les gaulois, nos pères, avaient l'habitude de vivre dans la campagne les uns près des autres. Cette réunion de huttes composait un ensemble qu'ils appelaient ham, du celtique amax, d'où nous avons fait amas. Le mot ham est resté appliqué à un grand nombre de localités qui n'avaient pas de nom spécial, aussi a-t-on été obligé d'y ajouter celui de la localité la plus voisine; ainsi nous avons Ham-devant- Marville, Hai-sous-Warsberg, Ham-sur-Nied. Les Romains ont latinisé le mot ham en hamellus, d'où nous

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avons gardé le terme hameau. Les Allemands nous l'ont emprunté pour en faire leur heim. Ils ne peuvent pas prétendre, suivant leur habitude, que ce sont les Celtes qui ont fait l'emprunt puisqu'au témoignage de Tacite,« les demeures des Germains primitifs « n'étaient pas rapprochées; ici, dit-il, ils s'arrêtent près d'une source, là, près d'un bouquet d'arbres.

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Au nord du Divodurum des Médiomatricks se voyait un Ham qui était le centre des pasteurs de la vallée de la Moselle et heureusement campé sur la route reliant Metz à Verdun.

Le plus ancien document que j'ai découvert sur ce village gaulois Ham-sous-Metz est une charte de Papon, abbé de Saint-Vincent de Metz qui, en 1027, donne une terram in loco Ham.

Une bulle du pape Victor IV, en 1162, confirmait à l'hôpital Saint-Nicolas de Metz la terram de Ham.

Il nous faut aller jusqu'au XIIIe siècle pour trouver dans le Cartulaire de l'abbaye Saint-Clément la donation faite par une dame Pentecoste d'une terre sise de sor Saint-Siphorien en Hem et par le citain Nicholaus Barbe d'une terre en Haim.

Au XIVe siècle, rien ne nous parle de cette localité. En revanche nous apprenons que, le 20 Septembre 1444, les escorcheurs qui s'étaient logés à Moulins viennent faire une course en Ham et jusque contre Montigny à la grange d'Agniel.

En 1457, par l'ordonnance des seigneurs de Metz, fut fait aux Vassieul, au-dessous des vignes de SaintSymphorien, un pont de bois pour passer gens et bêtes pour aller en Ham. Voilà tout ce que nous apprend notre chroniqueur Philippe de Vigneules. Ce village de Ham-devant-Metz semble avoir été

englouti par la Moselle à une époque antérieure à nos chroniques. Son territoire n'a cessé d'être la propriété de l'abbaye Saint-Symphorien, sous le nom de ban de Ham. Le 15 Août 1566 elle se faisait restituer le foin que le curé de Sey avait fait couper dans le ban de Ham, s'en prétendant décimateur au nom de l'église de Longeville. Le 20 Juin 1572, un autre procès est soutenu et gagné par l'abbaye Saint-Symphorien contre l'abbaye de Gorze qui, comme patron de la paroisse Saint-Quentin, se croyait décimatrice du ban de Ham et avait disposé de l'orge semée le long du chemené.

Les pieds terriers que les religieux de Saint-Symphoriens firent rédiger en 1639, 1746 et 1762 prouvent que le territoire qui dépendait de Ham occupait la moitié à peu près de l'ile actuelle que nous appelons Pré-Saint-Symphorien. Il y avait, jusqu'à la fin du XVIII siècle, une grande voie publique qui séparait le ban de Ham du grand pré Saint-Symphorien, on l'appelait lou chemy de Chemené ou de Chenevé.

La première forme chemené semble un souvenir d'une voie romaine, un Kem, tandis que la seconde rappellerait des chènevières disparues.

Cette prairie était aussi sillonnée par une route ancienne appelée lou chemy des bois ou des wuarrés, ce qui présuppose des barrages, des endiguements faits au travers de l'ile contre les caprices de la Moselle.

En 1719, les communautés de Longeville et de Montigny se disputèrent la propriété exclusive du grand pastural du ban de Ham. Il fut reconnu que le ban de Ham, de tout temps, avait fait partie de la commune de Montigny, mais que celle de Longeville

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avait droit à envoyer son bétail pâturer le long de la grande Moselle.

C'est en cet endroit que j'ai relevé onze grosses pierres de taille qui ont dû faire partie d'une pile de pont et qui présentent une grande analogie avec celles découvertes en 1868 en aval du Pont-desMorts. J'ai dessiné trois blocs quadrangulaires très bien conservés ayant encore leurs trous de louve et les entailles pour recevoir les goujons en chêne, coutume gauloise, comme nous l'apprend J. César.

A côté gisaient six pierres corrodées par un long séjour sous une eau rapide, mais il est facile de reconnaître des pierres qui avaient été taillées pour une pile de pont. Sur la berge, sur une longueur d'une centaine de mètres, on a ramené au jour une cinquantaine de mètres cubes de pierres jadis taillées et dont une dizaine présentent les traces d'un vif incendie.

On a aussi dragué une vingtaine de dalles en grès grisâtre et deux fragments en granit gris, l'un ayant une forme rectangulaire, l'autre celle d'une colonnette brisée et attaquée de deux côtés comme dans

un assaut.

Mais ce que j'ai rencontré de plus curieux c'est, au milieu d'un amas de tuiles à rebord, de briques vermicellées et de débris d'amphores et d'aires en ciment, un buste de statuette de femme et un fragment d'épaule d'une statue d'homme.

Ces débris prouvent bien que nous sommes en présence des ruines du village incendié et englouti de Ham-devant-Metz.

Cet engloutissement doit être bien ancien à en juger par des corps d'arbres carbonisés ou pétrifiés qui se trouvent au milieu des pierres rougies au feu.

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