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usages, ses gouvernemens et ces grandes scènes de montagnes auxquelles les amis de la nature reviennent toujours, parce que nulle part la nature n'est plus variée, plus grande; on pourrait même dire plus gigantesque.

La révolution de Suisse, favorisée par le gouvernement français, changeait la face de ce beau pays, tandis que Miss Williams était occupée à le peindre. Il est affligeant de penser que les vallons paisibles où l'on se compleit avec l'auteur, que les glaciers menaçans et les rocs escarpés que sa plume décrit en frémissant, sont devenus, depuis, des champs de bataille. Il est affligeant de penser que les descendans de Tell ont défendu les abus que cinq siècles avaient fait germer parmi eux, avec autant de constance que les compagnons de Tell en mirent à défendre la liberté. Mais, en même tems, il est curieux d'observer ces mêmes abus pendant qu'ils régnaient encore, et de connaître ces choses pour lesquelles on se bat de nouveau ; aucun ouvrage auparavant n'avait si bien fait connaître la fierté des bourgeois-souverains de Berne; la corruption, la vénalité, plus ouvertement professées dans les gorges de Schwitz et d'Ury que dans les salles de Westminster ; et le ridicule de la flagornerie italienne distillée en sonnets sur un paysan - proconsul, lorsqu'il était envoyé par des marchands de fromage pour administrer, juger, rançonner quelques portions de cette belle Italie anciennement conquise par les Suisses.

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Miss Williams, dans un avertissement qu'elle a mis en tête de cette nouvelle édition, déplore les excès commis, au nom de la liberté, en Suisse comme en beaucoup d'autres lieux. Les pillages d'un Rapinat ont presque passé en proverbe. Elle parle de ces malheurs, du ton qui convient aux vrais amis de la liberté, celui de la profonde affliction. Qui doit en être plus affecté ? C'est leur cause qui a été souillée; ce sont les sentimens nobles, généreux qui les animent, qui ont été diffamés; enfin ce sont des principes éternellement vrais, les simples inspirations du bon sens, qui ont été remis en problême. Il est vrai que

les exultations de la canaille amie des préjugés politiques et religieux passera ; mais la France et l'humanité, resteront malheureusement tachées des excès contraires par lesquels est signalée une époque qui pouvait être si glorieuse pour elles.

par

On trouve dans cette seconde édition des notes étendues dout le but est, soit de rectifier quelques opinions soutenues par l'auteur dans la première, soit de justifier la plupart de ces opinions contre les déclamations postérieures à la publication de l'ouvrage. Il est surtout piquant de voir Mallet Dupan combattu par un écrivain de son bord, Gibbon, auteur de la grande histoire de la décadence de l'empire romain, lequel, comme on sait, était dans les premières années de la révolution un de ses plus furieux antagonistes. Il est mort depuis. Ses ouvrages posthumes ont été publiés par son ami lord Sheffield; on y trouve une lettre, omise on ne sait pourquoi par le traducteur français, et adressée à un suisse sujet du gouvernement de Berne, sous lequel Gibbon lui-même avait vécu beaucoup d'années. « Dans le dernier siècle, dit Gibbon dans » cette lettre, le grand conseil de Berne commença à élire » lui-même ses membres, ce qui était un grand pas vers » l'oligarchie..... Alors l'intrigue, la vénalité et la cor» ruption des mœurs, présidèrent au choix des membres » du conseil souverain; l'ambition prodiguà ses richesses » pour acheter le droit de satisfaire sa cupidité. »

Le même écrivain, qui était pourtant dans de fort bons termes avec l'aristocratie bernoise, convient dans la même lettre, qu'elle n'a jamais eu ces soins paternels que la plupart des princes ont d'ordinaire pour les pays qu'ils gouvernent. «Citez-moi, dit-il, un seul établissement utile » que le pays de Vaud doive à ces souverains bernois. » Et ce qu'il y a de très-remarquable, c'est que pendant que l'Angleterre, la Prusse et tous les états, même catholiques, voisius de la France, s'enrichissaient des pertes que lui causa le fanatique Louis XIV, à la révocation de l'édit de Nantes, Foligarchie bernoise fut le seul gouvernement

qui refusa l'hospitalité aux protestans fugitifs. « Si nous » souffrons, dirent-ils, qu'ils se mêlent parmi nos sujets, ils vont tout vivifier par leur industrie; et à l'exemple » des ambassadeurs de Porsenna, on conclut (ô honte!) » qu'un prince devait plutôt commander à des sujets pauvres et soumis, que d'avoir sans cesse à combattre contre les passions d'hommes énorgueillis par la pros» périté. Y.

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LITTÉRATURE-BEAUX-ARTS.

UN homme de lettres qui parcourait l'Italie quelques années avant la révolution, a bien voulu nous communi→ quer le journal de son voyage. Nous en publierons de tems à autre, quelques fragmens. Â Nous allons commencer par un morceau sur les Improvisateurs.

DES

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IMPROVISATEURS.

« NAPLES, 7 avril 1787. Je sais maintenant ce que c'est qu'improviser.

» M. le baron de ** donnait hier un grand diner à des voyageurs de divers pays. Il voulut les régaler d'un plat italien, et il invita Dom Luigi S**, avocat et improvisateur célèbre. C'est un homme d'environ quarante ans, chargé d'embonpoint, comme le sont tous ceux qui, dans les pays chauds, ne se livrent point à des occupations manuelles.

» Notre poëte ne voulut manger de rien, quelques instances qu'on lui fit. Mais, après le diner, lorsque nous fûmes dans le salon, on lui apporta, ainsi qu'il l'avait demandé, une bouteille d'un vin doux et un verre. Il distri bua ensuite à deux joueurs de violon que l'on avait appelés exprès, les airs notés sur lesquels il allait chanter.La compagnie se rangea en cercle.

» On lui proposa deux questions; la première: Quel était l'hommage le plus flatteur que l'on pût rendre aux talens? L'autre, assez insignifiante: Lequel faut-il préférer

de plaire ou d'aimer? — Dom Luigi se lève, reste huit à dix minutes sans parler, les yeux fixés sur le plancher. Et cependant les violons jouaient pianissimo un air tendre et sentimal. Cette musique douce, expressive, exécutée par deux violons seulement, dans une chambre où le jour pénétrait avec peine au travers de longs rideaux cramoisis, me parut préférable à toutes ces symphonies bruyantes qui étonnent l'oreille, mais inspirent bientôt de l'ennui. Elle disposa mon ame à l'attention, à la mélancolie (1).

» La voix de l'improvisateur se mêla bientôt à ces sons mélodieux. Elle était juste et expressive: c'était tout ce qu'il fallait. Il chanta, avec action, des vers qui me parurent bien rimés, mais dont j'avais peine à saisir le sens, tant il était vague et indécis. Il me sembla que notre poëte s'écartait beaucoup de la question, qu'il battait la campagne. Il trouva moyen de glisser un petit compliment pour l'abbé de B**, là présent: c'était le personnage le plus impor tant de l'assemblée. On applaudit beaucoup, on admira. - Enfin, après une heure au moins pendant laquelle il changea trois fois de mètre, ce qui rendait sa composition bien plus difficile, il termina son chant et la réponse à la première question.

» Je fus bien plus content de sa réponse à la seconde question. Il y méla du sentiment, de la délicatesse. Il déclara, après avoir pesé les avantages et les inconvéniens, qu'il préférait d'aimer sans plaire, à plaire sans aimer.-Peu de Françaises sans doute seraient de son avis.

» Je m'aperçus que son nsage était de partager sa réponse en trois parties. Dans la première, il pose la ques

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(1) Après que l'improvisateur eut fini, je lui demandai cet air qui m'avait fait une si douce impression. Il me le donna avec empressement. Je le joindrai à mon journal. Plusieurs des chansons de Métastase, et surtout celle qui a pour titre la Partenza, peuvent se chanter sur cette musique.

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N. B. On trouvera l'air noté, dont parle le voyageur, à la fia de ce No de la Décade.-.

tion le plus clairement qu'il lui est possible, en l'ornant, en la commentant à sa manière; dans la seconde, il passe en revue toutes les réponses que l'on pourrait faire ; dans la troisième, il donne son opinion, la fait valoir, l'appuie de preuves et de raisonnemens. Cet ordre est juste et méthodique. Nos meilleurs orateurs n'en suivent pas d'autre.

» Cet exercice me parut le fatiguer beaucoup : la sueur coulait de son front; ses yeux se gonflaient, mais aussi s'animaient. Il est habituellement laid: il cesse de l'être alors qu'il improvise. Tout son visage prend de l'expression, et l'expression c'est la beauté.

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Après-demain, je dois entendre un improvisateur encore plus renommé. C'est le celeberrimo don Gasparino M**. Soit. Voyons encore celui-ci.

» 9 avril. Don Gasparino, Dieu vous le pardonne; mais vous m'avez ennuyé.

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Quel rapport y avait-il entre la question que je vous avais proposée, et histoire de Paris et d'Hélène que vous nous avez chantée si longuement? Vous ne nous avez dit rien autre chose que cette histoire.

presque

» On prétend que don Gasparino a la fièvre un jour avant celui où il doit improviser, et aussi le jour d'après. Si tout le moude me ressemblait, on ménagerait la santé de don Gasparino....

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"Oh! certes, les Italiens seuls peuvent improviser. Quelle autre langue fournirait ces nombreux synonymes, ces rimes riches et sonores?.

» Mais voilà encore de ces plaisirs qui n'en seront jamais pour moi. Un pauvre poëte se tourmente là, devant yous, sue sang et eau pour vous amuser quelques heures, si toutefois quelqu'un peut véritablement s'amuser à cela )! Eh! si vous aimez la musique et les vers, donnez au poëte, plusieurs jours et même un mois d'avance, le sujet qu'il doit traiter; que,, devant son bureau, il écrive, rature, compose tout à son aise: ne l'appelez que lorsqu'il aura répondu à votre question avec justesse ou au moins d'une manière ingénieuse, et piquante. J'aime mieux trois

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