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levées, et organiser la défense de l'intérieur. Maîtres du cours du Pô, ils pouvaient faire arriver par cette voie toutes sortes de provisions, sans épuiser le pays, tandis que l'armée carthaginoise, ne pouvant s'éloigner du territoire gaulois, serait forcée d'en tirer sa subsistance, ce qui ne manquerait de mécontenter ces nouveaux alliés, et pourrait peut-être amener des changements favorables aux intérêts de Rome. Ainsi Annibal, éloigné de sa patrie, isolé au milieu de populations qu'il serait obligé de rançonner, verrait bientôt son armée se fondre d'ellemême, et ses beaux projets s'évanouir. Bref, le plan de Scipion était aussi bien combiné, et aurait pu être aussi heureux, que celui qui, plus tard, fit tant d'honneur à Fabius.

Mais ni les idées ni le caractère de Sempronius ne pouvaient s'accommoder de ce système de prudence : ardent et présomptueux, il ne voyait dans ces conseils que la timidité d'un vieillard découragé par un premier revers, ou la jalousie d'un émule qui craignait d'être éclipsé; car Scipion, ne pouvant, à cause de sa blessure, prendre une part active au combat, ne pouvait non plus participer à l'honneur de la victoire. Annibal, de son côté, désirait vivement une bataille: connaissant la vanité de Sempronius, il eut soin d'augmenter encore sa confiance en lui laissant l'avantage dans quelques escarmouches; puis il prit les dernières mesures pour engager une action générale. La nuit qui précéda la bataille, il choisit 1,000 fantassins et 1,000 cavaliers, et les envoya, sous le commandement de son frère Magon, jeune général formé à son école, se cacher dans le ruisseau dont nous avons parlé, avec ordre d'en sortir pour tomber sur les Romains au plus fort du combat. Ceux-ci, n'ayant pas d'éclaireurs au delà de la Trébie, ne se doutèrent pas de l'embuscade.

Le lendemain, à la pointe du jour, il fit passer la rivière à un fort détachement de cavaliers numides, et leur ordonna de s'avancer jusqu'aux avant-postes de l'ennemi, de les culbuter, et de marcher droit au camp des Romains. Sempronius fit sortir, pour les repousser, sa cavalerie avec 6,000 hommes de troupes légères; puis, voyant que l'engagement devenait sérieux, il s'avança lui-même dans la plaine à la tête de toute l'armée. Les Numides battirent alors en retraite, suivant l'ordre qu'ils en avaient reçu'. Sempronius ne manqua pas de les suivre, et, s'abandonnant à sa fougue irréfléchie, il poussa au delà de la Trébie, que ses soldats traversèrent avec de l'eau jusqu'à la poitrine. Il neigeait ce jour-là; le froid était très-vif; les Romains, sortis de leur camp à la hâte, et sans avoir pu prendre de nourriture, furent saisis d'engourdissement, et quand ils sortirent de l'eau, il leur restait à peine assez de force pour soutenir leurs armes 2. C'était un premier avantage qu'Annibal s'était donné; car, tandis que les Romains s'épuisaient ainsi avant le combat, ses soldats s'y étaient préparés sous leurs tentes, ou assis autour de grands feux, en prenant un repas solide, et en assouplissant leurs membres avec l'huile qu'on leur avait distribuée 3. Aussitôt qu'ils aperçurent l'ennemi, ils saisirent leurs armes, et, pleins d'ar

1 «Jubet... elicere ad pugnam hostem ; injecto deinde certamine, «cedendo sensim citra flumen pertrahere.» (Tit. Liv., xx1, 54.) «Quibus præceperat ut ad primum nostrorum incursum per nota «refugerent vada. » (Frontin., 11, 5, n. 23.)

2 Tous ces détails sout rapportés par Tite-Live.

3 L'usage de se frotter d'huile était général dans les armées anciennes : il fortifiait le soldat, et lui donnait de la légèreté. On destinait à cette opération la première veille de la nuit, heure à laquelle on allumait les feux pour préparer les aliments. Diodore de Sicile fait mention de cet usage à l'occasion de la guerre entre Eumène et Antigone.

deur et de force, ils coururent se ranger en bataille. Annibal forma son armée en phalange, sur une seule ligne, à un mille en avant de son camp. Il plaça les Gaulois au centre, et mit sur les flancs les Espagnols et les Africains, vieilles troupes dans lesquelles il avait la plus grande confiance. La cavalerie, qui, comme nous l'avons dit, s'élevait au moins à 10,000 hommes, fut partagée sur les ailes; enfin les éléphants furent placés devant les Espagnols et les Africains. Pour couvrir ces dispositions, et pour se donner le temps de les achever, Annibal envoya en avant ses troupes légères et ses frondeurs baléares au nombre de 8,000 leur attaque força l'ennemi à ralentir sa marche.

Autant qu'on peut le conjecturer, d'après les circonstances qui précédèrent et suivirent le combat, le camp d'Annibal était situé à une lieue au moins au delà de la Trébie, sa ligne de bataille à un mille en avant de son camp en effet, Sempronius, après avoir passé la Trébie, aura dû marcher le plus possible, pour ne pas être forcé d'accepter la bataille sur le bord même de cette rivière. C'est d'ailleurs ce que l'on peut conclure du texte de Tite-Live, qui dit qu'après la déroute cet obstacle empêcha seul les ennemis de poursuivre plus loin les fuyards1; donc les Carthaginois avaient alors déjà fait assez de chemin.

Les tacticiens modernes, qui ont décrit l'ordre de bataille d'Annibal, y ont ajouté des conjectures qu'il est bon de faire connaître. Selon quelques-uns, ce général aurait entremêlé des pelotons de tirailleurs à sa cavalerie, pour la protéger contre les avant-coureurs de l'ennemi; d'autres ont pensé que, pour faire paraître son

1 « Finis insequendi hostis Pœnis flumen Trebia fuit. (Tit. Liv., XXI, 56.)

armée plus nombreuse, il avait laissé de grands intervalles entre son centre et ses ailes, que dans ces intervalles il avait établi ses éléphants, et qu'ensuite il avait masqué ces parties de la ligne par les troupes légères et les Baléares, qui revenaient de la première attaque. Un auteur très-estimé croit, au contraire, qu'il fit passer ces troupes derrière son centre à mesure qu'elles revinrent de la charge, et qu'il en forma sa réserve. Toutes ces suppositions sont assez vraisemblables, mais elles ne s'appuient sur aucun document positif et sont peu d'accord avec les renseignements qui nous sont parvenus; elles ne changent d'ailleurs rien au fond des événements 1.

Sempronius déploya ses légions sur trois lignes, à la manière accoutumée. Il rejeta ses 4,000 chevaux sur ses ailes, se couvrit d'une avant-garde de troupes légères, et marcha à l'ennemi en bon ordre et au petit pas. Les éclaireurs avaient engagé l'action; mais une fois les deux lignes démasquées, la cavalerie carthaginoise chargea vigoureusement celle des Romains, et n'eut pas de peine à la mettre en fuite, non-seulement à cause de la supériorité du nombre, mais parce qu'elle était secondée par les archers et les frondeurs, qui, s'étant portés aux extrémités de la ligne, prenaient les Romains en écharpe et leur causaient de grandes pertes. Suivant Appien, dont le récit est d'ailleurs très-concis et très-incomplet, Annibal aurait d'abord lancé les éléphants sur la cavalerie romaine, pour la mettre en désordre, avant de la faire charger par les Numides. Ni Polybe ni TiteLive ne font mention de cette particularité, qui cepen

1 On peut, sur ces différentes opinions, consulter la relation de cette bataille dans le Polybe de Folard, dans les Mémoires militaires de Guischardt, et dans les Campagnes d'Annibal par le général Guillaume de Vaudoncourt.

dant peut très-bien s'accorder avec la relation du dernier 1.

Le choc de l'infanterie fut donné et soutenu avec une bravoure égale, et le terrain fut disputé vigoureusement des deux côtés : toutefois la fuite de la cavalerie des Romains avait rendu leur position désastreuse; car, leurs flancs se trouvant découverts, les frondeurs et les archers les criblaient de balles et de traits, tandis qu'Annibal poussait en avant sa phalange et ses éléphants. Néanmoins les légionnaires, quoique exténués et transis de froid, opposèrent une résistance héroïque, et ils parvinrent à repousser les éléphants: les vélites surtout rendirent de grands services, en coupant les jarrets à ces quadrupèdes et en les perçant de leurs épieux dans les endroits les plus vulnérables 2. Non-seulement ils parvinrent ainsi à se débarrasser de ces animaux, mais ils allaient même les rejeter sur les Carthaginois, lorsqu'Annibal, qui veillait au danger, les fit ramener sur les ailes, et diriger contre les Cénomans, qui formaient l'extrême gauche de l'armée romaine, et qui, n'ayant pas assez de consistance pour repousser cette attaque, se dispersèrent aussitôt dans la campagne.

Ce surcroît de malheur redoubla la consternation de

1 «Ad hoc elephanti eminentes ab extremis cornibus (equis << maxime, non visu modo, sed odore insolito territis) fugam late «faciebant.» (Tit. Liv., xx1, 55.) Les chevaux italiens, et même les hommes qui se trouvaient pour la première fois en présence de ces monstrueux animaux, devaient, en effet, en être frappés de ter

reur.

2 «Tamen in tot circumstantibus malis, mansit aliquandiu im«mota acies, maxime præter spem omnium adversus elephantos: <«<eos velites ad id ipsum locati, verutis conjectis et avertere, et «insecuti aversos sub caudis, , qua maxime molli cute vulnera acci«piunt, fodiebant.» (Tit. Liv., loc. laud.)

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