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rait à croire que celles de César ne furent pas aussi insignifiantes qu'Hirtius le suppose.

Les documents historiques qui nous sont parvenus étant insuffisants pour nous éclairer sur les autres circonstances de cette bataille, je me permettrai de hasarder quelques conjectures fondées sur la marche même des événements. Pour moi il est évident que la défaite de l'armée des alliés doit être attribuée au peu d'accord qui régnait entre les chefs. Juba était d'un caractère féroce et orgueilleux. Fier de sa puissance en Afrique, il regardait les Romains comme de malheureux proscrits, qui n'avaient d'autre ressource que sa protection. Il dédaignait Scipion, il envoyait des messages impérieux aux sénateurs: c'était, en un mot, ainsi que le dit Hirtius, le plus vain et le plus insolent des Barbares '.

Scipion ne soutenait que faiblement le beau nom de sa race. De toutes les qualités de ses ancêtres, il n'avait que la bravoure personnelle; du reste, esprit rétréci, entêté, présomptueux, il voyait avec jalousie les talents et la vieille expérience de Labiénus; et celui-ci, à son tour, méprisait l'incapacité et la suffisance de ses collègues. Avec de pareilles dispositions, il ne pouvait y avoir, chez les alliés, ni ensemble dans les projets, ni vigueur dans l'exécution.

Le plan de Scipion devait être de profiter de sa supériorité numérique, et d'étendre ses ailes pour envelopper l'armée de César. Cela posé, les ailes devenaient le poste d'honneur, et il était naturel qu'il s'en réservât une pour lui, et qu'il confiât l'autre au roi de Mauritanie. Quant à Labiénus, on lui abandonna probablement le commandement du centre, où il devait rester simple

1 «Juba homo superbissimus inertissimusque. » (Hirt., Bell, afric., 57.)

spectacteur des succès présumés de ses collègues. Je pourrais même ajouter, d'après un passage de Florus que je citerai bientôt, que ce fut Juba qui prit le commandement de la gauche, composée de ses Africains et des éléphants qu'il venait d'amener. Scipion alors devait être à la droite avec ses Romains. On pourrait le prouver au moyen du texte que j'ai cité, en racontant le massacre de ceux de ses soldats qui se rendirent en demandant quartier; car il est évident qu'il fallait qu'ils fussent Romains pour oser en appeler, après leur défaite, à la protection et au civisme (fidem) de César'.

Ces dispositions et ces calculs des confédérés furent déjoués par la prévoyance du dictateur. Il connaissait, par les déserteurs qui lui arrivaient tous les jours, tout ce qui se passait dans leur camp. Il savait que Juba devait commander la gauche, et que les éléphants de ce prince, pris tout récemment, n'étaient pas encore dressés au combat. L'incapacité du chef, l'infériorité des troupes, devenaient pour lui des gages de victoire. Il se décida donc à attaquer par sa droite, et ce ne fut pas sans raison qu'il mit à ce poste la plus intrépide de ses légions, cette formidable 10°, qu'il réservait toujours pour les coups décisifs. L'événement justifia ses prévisions : « Le carnage, dit Florus, commença par les troupes de Juba. Ses éléphants, nouvellement tirés de leurs forêts, et encore étrangers aux combats, s'effarouchèrent au premier bruit du clairon; aussitôt l'armée prit la fuite. » En effet, la gauche des ennemis une fois rompue, César dut manœuvrer pour tourner leur centre et

1 «li omnes Scipionis milites, quum fidem Cæsaris implorarent, « etc...» (Voy. ci-dessus, p. 215.)

2 «Strages a Juba cœpit. Ejus elephanti bellorum rudes et nu«peri a sylva, consternati subito clangore; statim et exercitus in fugam.» (Flor., Epitom., iv, 2.)

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leur droite, qui, menacés d'être cernés, et déjà à moitié vaincus, ne tardèrent pas non plus à chercher leur salut dans la fuite.

Telle est l'idée que je me suis formée du plan et de la conduite de César dans cette bataille. On m'objectera peut-être que l'attaque fut déterminée par l'impatience des troupes, bien plus que par la volonté du chef, puisque, d'après Hirtius et Florus, les trompettes sonnèrent la charge sans qu'on leur en eût donné l'ordre. Je répondrai que ce fait, quelqu'étrange qu'il soit, ne change rien à mes suppositions, car au moment où le signal partit de la droite, non-seulement le plan de l'attaque était arrêté, mais chaque corps avait pris sa place et reçu sa consigne. Quoi qu'il en soit, j'ai peine à croire qu'un général aussi sévère que César en fait de discipline se soit laissé forcer la main dans une semblable occasion: aussi serais-je porté à voir, dans sa répugnance à donner le signal du combat, un trait de politique pour compromettre ses soldats, et leur faire contracter l'obligation de vaincre ou de mourir, une fois qu'ils auraient cru s'être engagés de leur propre mouvement et contre la volonté de leur chef.

Une particularité remarquable de cette bataille de Thapsus, c'est qu'elle ferme la première période de l'histoire militaire des éléphants. Pendant trois siècles il ne fut plus question de ce moyen de guerre, et pour voir encore figurer ces animaux à la suite des armées, il faut descendre aux temps des rois sassanides, et se transporter de nouveau dans les plaines de la Perse et de la Mésopotamie. Un autre fait digne de remarque, c'est que le premier et le dernier des capitaines contre lesquels ils combattirent, pendant cette première période de leur histoire militaire, furent les deux plus grands hommes de guerre de l'antiquité : Alexandre, qui leur

ouvrit les barrières de l'Occident; César, qui marqua le terme de leur intervention dans les batailles de cette époque1.

1 Nous ferons connaître au chapitre x du livre suivant la destinée ultérieure des éléphants pris par César à la bataille de Thapsus. Le souvenir de cette grande victoire fut souvent symbolisé par la représentation d'un éléphant, sur les médailles du dictateur et sur celles de la gens Julia. La figure n. 8 de la planche qui est en tête de ce volume reproduit une de ces médailles.

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CHAPITRE XII.

Les Romains se décident à employer les éléphants. - Occasions dans lesquelles ils se sont servis de ces animaux. - Guerres de Macédoine et de Syrie.-Bataille des Cynocephales.- Combat des Thermopyles.-Passage périlleux des éléphants au travers de la chaîne de l'Olympe.

Bataille

de Pydna. — Les Romains amènent des éléphants contre les Celtibériens et contre Viriathe. — Ils font usage de ces animaux dans leurs premières expéditions dans la Gaule transalpine. Défaite des Arvernes et des Allobroges sur les bords du Rhône.

On a souvent occasion de remarquer, quand on parcourt l'histoire de la grandeur des Romains, que l'une des principales causes de l'excellence de leurs institutions militaires fut le bon esprit qu'ils eurent toujours d'adopter les armes et les usages des autres peuples, toutes les fois qu'ils les jugèrent préférables aux leurs'. Il est donc à présumer que, la première fois qu'ils se trouvèrent en face des éléphants, ils durent examiner si ce nouveau moyen d'attaque pouvait être introduit utilement dans leur tactique. Le résultat de cet examen ne fut sans doute pas favorable aux éléphants; car il se passa bien du temps avant qu'ils se décidassent à essayer de cette innovation. Rien n'eût été cependant aussi facile pour eux nous avons vu que, dès la première apparition de ces animaux en Italie, plusieurs tombèrent entre leurs mains; ils eurent souvent à les combattre pendant les deux premières guerres puniques, et le hasard en mit à leur disposition un grand nombre dont ils pouvaient immédiatement se servir, car ils étaient dressés pour le combat, et il n'y avait qu'à les retourner contre l'ennemi.

1 Voyez Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, chap. 2.

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