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d'une manière effrayante; bientôt ils détruisirent les récoltes, renversèrent les habitations, exterminèrent les cultivateurs, et les choses en vinrent au point, que le gouvernement fut obligé d'y envoyer des troupes. Enfin, des battues régulières, commencées en 1805, délivrèrent la contrée de ces hôtes incommodes. Nul doute que, si la tranquillité continue à régner dans l'Inde, si l'agriculture surtout y fait des progrès, la race des éléphants n'y aille aussi toujours en diminuant.

A l'orient du Gange, les éléphants que l'on trouve dans l'empire des Birmans sont principalement recherchés à cause de leurs défenses, d'où l'on extrait l'ivoire le plus beau et le plus estimé. Le Chittagong et l'Arracan fournissent aussi de très-beaux éléphants, et l'on en prend de cinq à six cents par an dans les forêts qui bordent le Brahmapoutre. Les montagnes de Laos en donnent de magnifiques; l'espèce est également belle dans le Camboge et dans la Cochinchine (An-nam méridional), dont les éléphants sont surtout renommés à cause de leur docilité. On fait peu de cas de ceux du Pégu, du Tonkin (An-nam septentrional), du Kouang-si, du Sse-tchouan, et du Yun-nam, les seules provinces de l'empire chinois où l'on en rencontre. Mais, de toutes les contrées de l'Inde, celle qui abonde le plus en éléphants, c'est le royaume de Siam. D'après les relations des voyageurs, le roi en possède à lui seul plus de mille, qui sont, pour les propriétaires des terres voi sines de la cour, un véritable fléau; car ce troupeau destructeur a le droit de paître dans tous les champs et dans toutes les fermes, et malheur au particulier qui oserait s'y opposer!

C'est dans le royaume de Siam qu'on voit le plus souvent ces éléphants blancs qui sont en si grande vénération dans l'Inde. On pense maintenant que la couleur

de ces animaux provient plutôt d'une maladie de l'individu que d'une variété de l'espèce. Des observateurs éclairés, qui ont eu le loisir de les examiner, ont remarqué qu'ils étaient toujours dans un état de souffrance, et que leur peau était attaquée d'éruptions dartreuses ou sillonnée de crevasses en suppuration. Ils en ont inféré que ce prétendu type de perfection n'était, au fond, qu'une dégénération analogue à celle que l'on observe dans les Albinos ou nègres blancs, lesquels sont toujours les êtres les plus faibles de leur race. Mais ce n'est pas ainsi que les Hindous jugent leurs éléphants blancs; pénétrés du dogme de la métempsycose, ils sont persuadés que, dans la nature, l'éléphant tient après l'homme le premier rang, et comme, d'un autre côté, ils regardent la blancheur de la peau comme un symbole de la pureté de l'âme, comme une distinction que les dieux n'accordent qu'aux êtres les plus parfaits, il s'ensuit que, pour eux, l'éléphant blanc est un animal privilégié, dont le corps ne peut servir d'habitation qu'aux mânes des rois, des pontifes et des héros.

Telle est la cause de l'espèce de culte que les Hindous rendent à ce rare quadrupède, dont la possession est regardée par eux comme un gage de la faveur du ciel. Le roi de Siam, l'empereur des Birmans, ont mis au nombre de leurs titres les plus pompeux celui de possesseur de l'éléphant blanc. Tout ce que la magnificence asiatique a de plus éclatant est prodigué pour le service de cet être vénéré: des ministres et des officiers d'un rang élevé veillent à tous ses besoins ; l'or, les perles, les pierreries brillent sur ses harnais, et il ne se montre jamais en public sans être précédé par une musique choisie et escorté d'une garde d'honneur. L'histoire fait mention de guerres acharnées qui ont eu lieu entre les

princes de l'Inde trans-gangétique pour la possession d'un éléphant blanc, et, dans ces querelles, dont le sujet nous paraît si futile, on a vu des rois perdre le trône et la vie, et de vastes contrées être mises à feu et à sang 1.

Les éléphants que l'on trouve dans les vallées du Népaul et sur les versants boisés de l'Himmalaya atteignent rarement plus de six pieds, et il en est de même dans les autres pays élevés, qui marquent les limites de la demeure de ces animaux. Ces faits, maintenant constatés, confirment une assertion de Pline, suivant lequel il y avait une petite race d'éléphants qu'on appelait bátards, et qu'on mettait à la charrue : « Indis arant minores quos appellant nothos 2.» Cet emploi des éléphants, qui avait rencontré des incrédules, a été dernièrement essayé par un colon anglais de Ceylan, qui a labouré ses plantations avec des éléphants, et s'en est bien trouvé 3.

Les moyens que les Indiens emploient aujourd'hui pour prendre les éléphants sont encore les mêmes que ceux qu'ils employaient au temps d'Arrien et de Strabon, et dont ces auteurs nous ont laissé la description, tant ce peuple stationnaire aime à rester fidèle à ses usages! On choisit une vaste étendue de bois qu'on entoure de fortes barricades et de fossés larges et profonds: cette

1 On trouve un grand nombre d'anecdotes de ce genre dans la collection d'Hakluyt, dans les voyages du Mecklenbourgeois Mandelslo, de l'Anglais Ralph Fitch, et du Hollandais Jean Struys, qui visitèrent le Pégu et le Siam dans le xvie et dans le xvi° siècle; enfin dans l'ouvrage de Ranking, que j'ai déjà cité. On peut aussi consulter la Relation du royaume de Siam, par Schouten, et celle de l'ambassade de M. Crawfurd à la cour d'Ava en 1827.

2 Plin., Hist. nat., VIII, 1.

3 Ritter, Erdkunde, tom. IV.

4 Arrian., de Reb. indic., x. Strab., Geogr., xv, 1, p. 279.

enceinte est désignée dans l'Hindoustan sous le nom de keddah, et à Ceylan sous celui de kraal. On y introduit des femelles privées, connues au Bengale sous la dénomination de goondabs. C'est un appât auquel les éléphants sauvages, ou, comme on dit dans l'Inde, les koomkées, ne résistent jamais, surtout si l'on a eu soin de choisir la saison des amours. Ils arrivent par troupes dans la nuit, et vont trouver les femelles en passant par de larges ouvertures qu'on a eu soin de ménager dans l'enceinte; on ferme ces issues aussitôt qu'il en est entré un nombre suffisant, et l'on introduit, pour les traquer et pour battre les bois, des chasseurs et des éléphants privés.

On a eu soin de disposer à l'avance, dans l'intérieur de l'enceinte, de petits enclos à une seule entrée; on cherche à y engager les éléphants sauvages pour les isoler. Aussitôt qu'ils s'aperçoivent qu'ils sont renfermés, ils s'emportent avec fureur et font, pour recouvrer leur liberté, des efforts désespérés. On les laisse se débattre un certain temps, et lorsque la faim et la fatigue ont épuisé leurs forces, on les fait attaquer par des éléphants privés qui les terrassent à coups de trompe, et les forcent à se tenir tranquilles. Les chasseurs saisissent ce moment pour leur jeter des nœuds coulants, et pour les attacher aux arbres, où ils les laissent jusqu'à ce que, domptés par le jeûne et par la lassitude, ils n'opposent plus de résistance. Alors on les mêle aux éléphants privés, et on achève de les rendre dociles par des caresses et par des soins'.

On emploie quelquefois un moyen plus expéditif :

1 On trouve la description de cette chasse dans l'Ayéen Akbery, dans l'Elephantographia d'Hartenfels, dans le voyage de Mandelslo, dans la Description de Ceylan, par Baldæus, etc. Les éditeurs de ces différents ouvrages ont ajouté à leurs descriptions des gravures explicatives.

on entoure une grande forêt d'une chaîne de feux établis sur le terrain, et on la fait en même temps cerner par des troupes; on resserre ensuite successivement, toujours en battant le bois, cette espèce de circonvallation, jusqu'à ce que l'on ait acculé les éléphants dans une enceinte barricadée. On les attaque alors, et on les prend par les moyens que nous avons décrits plus haut. Le chevalier de Chaumont, ambassadeur de Louis XIV à la cour de Siam, dit avoir assisté à une chasse semblable, où l'on avait employé plus de trente mille hommes et du canon; suivant le P. Tachard, qui faisait partie de la même ambassade, on prenait de cette manière de soixante à quatre-vingts éléphants à la fois'. Dans une chasse faite plus récemment à Ceylan, on employa deux mille hommes pendant trois mois, et l'on prit trois cents éléphants. On comprend que des princes et des gouvernements peuvent seuls faire de telles entreprises; quant aux simples particuliers, ils réussissent rarement à prendre quelque animal isolé, soit avec des nœuds. coulants, soit en le faisant tomber dans des fosses adroitement cachées, d'où ils le retirent ensuite mort ou vif3.

On trouve dans Diodore de Sicile la description d'un moyen aussi hardi que périlleux, employé du temps de cet historien par les Éthiopiens chasseurs d'éléphants, alors connus sous la dénomination significative d'Èλepavτopάyo. Ces hommes, dit-il, se cachent sur des arbres pour observer les sentiers que suivent ordinairement les éléphants; un de ces animaux vient-il à passer sous une de ces cachettes, l'un des chasseurs saute sur lui, le

1 Voyez la relation de cette ambassade, et les deux voyages du P. Tachard à la cour de Siam.

2 Cordiner's Description of Ceylon; London, 1807.

3 Voyage de Jobson, dans le second volume de la collection de Purchas.

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