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D'après ces données, une armée de 50,000 fantassins et de 30,000 cavaliers aurait dû avoir à sa suite environ 10,000 éléphants, proportion qui serait inadmissible, si l'on devait en juger d'après les faits et les notions de notre temps. Mais nous sommes loin de connaître l'état de l'Inde à ces époques reculées, et ce qui serait impossible aujourd'hui ne l'a peut-être pas toujours été. Nous pouvons même affirmer qu'à des époques plus récentes et mieux connues que celles auxquelles appartiennent les traditions que nous venons de rapporter, les Indiens avaient une confiance illimitée dans leurs éléphants, qu'ils regardaient comme la principale force des armées'.

La première mention d'éléphants de guerre dans l'Inde se trouve dans Diodore de Sicile, et elle se rapporte aux temps de Sémiramis, c'est-à-dire à quinze ou dixhuit siècles avant l'ère vulgaire 2. Mais j'aurai occasion de revenir sur cette expédition de la reine d'Assyrie; pour le moment je me dois borner à remarquer que le merveilleux y est tellement mêlé au vraisemblable, qu'il serait difficile d'en faire l'objet d'un travail historique. Cependant, un fait qu'on ne saurait révoquer en doute, c'est que la possession de ces animaux était, dès lors, un des plus beaux droits de la souveraineté, et que la puissance des rois était mesurée d'après la quantité d'éléphants qu'ils pouvaient entretenir.

épopées indiennes, antérieur d'au moins quatre siècles à notre ère, et par conséquent antérieur à l'époque d'Alexandre. J'ai consulté avec profit, sur plusieurs particularités relatives aux antiquités de l'Inde, le savant M. E. Burnouf, dont les travaux sont appréciés de tous les orientalistes, et dont la complaisance égale le pro

fond savoir.

1 Quint. Curt., VIII, 13. 2 Diod. Sicul., II, 16.

Plin., Hist. nat., VIII, 9.

Ce genre de luxe, inconnu aux peuples de l'Occident, frappa les premiers écrivains qui leur révélèrent les merveilles de l'Inde ; ceux-ci, il faut l'avouer, ont donné souvent trop libre carrière à leur imagination, et mêlé quelquefois des fables à leurs récits. Ainsi, nous pouvons nous dispenser d'ajouter foi au médecin Ctésias et à son copiste Élien, lorsqu'ils nous parlent d'un roi de l'Inde qui, dans ses expéditions, se faisait suivre par 100,000 éléphants'. Mais ce serait pousser trop loin le scepticisme, que de se refuser à tenir compte des nombreux témoignages d'auteurs graves et accrédités, qui s'accordent sur le grand nombre des éléphants entretenus par les princes de l'Inde. Au dire de Strabon, la seule nation des Sères, qui s'étendait à l'orient du Gange, avait sur pied 5,000 éléphants. Les Gangarides et les Prasiens, qui, après la défaite de Porus, s'étaient mis en marche pour s'opposer aux progrès d'Alexandre, amenaient avec eux, suivant Plutarque, 6,000 éléphants, 4,000 suivant Diodore, et au moins 3,000 suivant QuinteCurce. Alexandre, ayant pris des informations sur les lieux, demeura lui-même convaincu que le bruit de ces préparatifs n'était pas exagéré 2.

On trouve, dans la description que Pline nous a laissée de l'Inde, l'indication du nombre d'éléphants que chaque roi ou chaque peuple tenait sur pied. L'État le plus puissant, selon cet auteur, était celui des Prasiens, qui s'étendait jusqu'au Gange, et dont le roi résidait dans. la grande ville de Palibothra. Ce roi possédait 9,000 éléphants de guerre 3; venaient ensuite les Megalles,

1 Elian., Animal, XVII, 29.

2 Strab., Geogr., XV, 1, p. 276. — Plutarch., Alexand., c. 62. — Diodor. Sicul., XVII, 93.- Quint. Curt., IX, 2.

3 Plin., Hist. nat., VI, 19, 20. Selon le major Rennell, l'empire des Prasiens ou Gangarides s'étendait depuis le Pendjab jusqu'au

les Asanges, les Pandes, les Hortes, qui habitaient, à ce qu'il paraît, entre le Guzerate et les versants des Ghattes, et entretenaient environ 3,000 éléphants. Bref, le total des éléphants de guerre existants dans la seule partie de l'Inde qui fût alors connue des Romains s'élevait à près de 14,000. Il est des gens, je le sais, qui font profession de n'accorder aucune confiance à ces évaluations, et qui ne cessent de se récrier sur ce qu'ils appellent la crédulité et les exagérations des anciens. L'auteur que je viens de citer n'a point été épargné par eux; et cependant ce reproche, qu'on lui a souvent adressé, qu'on lui a même prodigué, n'est rien moins que fondé. Je m'arrêterai un instant sur cette question, qui touche de près aux recherches que je me suis imposées, et dont la solution peut d'ailleurs servir à établir la validité des documents dont je dois me servir.

Je ferai d'abord remarquer que les anciens, ceux-là surtout qui ont écrit après les conquêtes d'Alexandre et au temps de la grandeur des Romains, étaient à portée d'avoir, sur la géographie et sur l'histoire naturelle, des notions plus exactes qu'on ne le pense ordinairement. Ils avaient sous les yeux une foule de documents que le temps ne nous a pas conservés, ou qui ne nous sont parvenus que mutilés. Dans ce nombre, il faut ranger les Périples d'Hannon et de Scylax; les relations de plusieurs officiers d'Alexandre, tels que Néarque, Onésicrite, Ptolémée, Aristobule; la description des marches de ce conquérant, et la géographie des pays qu'il avait sou

Gange, et l'ancienne Palihothra (en sanscrit Patalipoutra) répondait à peu près à la ville moderne de Patnah. Robertson, au contraire, suivant en cela l'opinion de d'Anville, place Palibothra au confluent de la Jumnah et du Gange, où est maintenant la ville d'Allahabad.

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mis, par Diognète et Bæton; les mémoires de Mégasthène et de Daïmachus, ambassadeurs envoyés dans l'Inde par Séleucus; ceux de Patrocle, commandant de l'armée navale du même prince; enfin ceux qu'Apollodore avait écrits sur la Parthie et sur la Bactriane. Tous ces ouvrages existaient encore au temps de Pline, qui les nomme et en fait usage'. Rien n'est plus commun, quand on parcourt les écrivains de l'antiquité, que d'y voir mentionnés, ou cités par extraits, des ouvrages qui sont perdus pour nous; bien plus, il y a tout lieu de supposer qu'ils ne nous ont fait connaître ainsi que la plus petite partie des écrits qui existaient de leur temps, et qu'ils en possédaient une foule d'autres dont nous ne pouvons pas même soupçonner l'existence. Des voyageurs, des marchands, des envoyés politiques, allaient d'Occident en Orient; d'autres venaient d'Orient en Occident; il en arrivait souvent dans les cours d'Antioche, d'Alexandrie, et même à Rome. Deux ambassades furent envoyées à Auguste, avec de riches présents, par des princes de l'Inde. Nicolas de Damas, cité par Strabon, avait rencontré à Antioche trois de ces ambassadeurs, et il en avait obtenu, sur leur pays, de nombreux renseignements 2. Des ambassadeurs vinrent de Ceylan à Rome, du temps de l'empereur Claude, et ils donnèrent sur leur île de curieux détails que Pline nous a conservés 3.

Toutes ces relations, tous ces documents, étaient conservés dans les bibliothèques publiques, où les savants

1 L'un des plus savants géographes modernes, Gosselin, a démontré que les descriptions de Mégasthène et de Daïmachus ont le mérite d'une parfaite exactitude. (Recherches sur la géographie systématique des anciens, tom. 1.)

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Dion. Cass., LIV, 3. P. Oros.,

avaient la faculté de les consulter. Ce fut à l'aide de ces matériaux que Pline rédigea son immense travail, que l'on pourrait appeler l'encyclopédie de l'antiquité. Il nous apprend lui-même qu'il avait consulté environ deux mille volumes en tout genre, historiens, géographes, philosophes, etc. On n'a donc, selon moi, le droit de révoquer en doute les faits qu'il rapporte, que lorsqu'on a des preuves irrécusables à lui opposer. Les naturalistes et les voyageurs qui de nos jours ont visité l'Orient ont d'ailleurs plus d'une fois vengé les anciens du scepticisme des modernes, et confirmé des récits sur l'exactitude desquels on avait cru pouvoir jeter des doutes.

En ce qui concerne les éléphants, on aura dans le dernier chapitre de cet ouvrage une preuve que les historiens grecs et latins n'ont rien avancé d'exagéré. On y verra, en effet, que parmi les sultans mogols du XVI et du XVIIe siècle il y en eut qui entretinrent de 6,000 à 12,000 éléphants, et que l'on en comptait ordinairement de 5,000 à 6,000 dans les cours de Siam et du Pégu. Enfin nous venons de voir que, d'après les bases anciennement établies du système militaire de l'Inde, une armée de 80,000 hommes devait traîner à sa suite 10,000 éléphants, proportion qui dépasse de beaucoup les recensements donnés par Pline. A mesure que les travaux des orientalistes mettront à notre disposition les trésors de la littérature sanscrite, nous pourrons mieux juger de beaucoup de choses qui nous étonnent maintenant.

Une réflexion qui trouve ici naturellement sa place, c'est que l'espèce de l'éléphant a dû nécessairement aller en diminuant, à mesure que l'empire de l'homme s'est étendu sur la terre. Les races sauvages forment une société fugitive, condamnée à disparaître devant la civilisation. L'agriculture et le commerce sont également

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