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intéressés à leur destruction, et à mesure que les arts font des progrès, on trouve des moyens plus sûrs pour les exterminer. De nombreux documents historiques viennent à l'appui de ces considérations. Serait-il possible aujourd'hui de réunir, comme le fit César, 400 lions dans l'arène1; comme Pompée, 600 lions et 400 panthères; ou enfin, comme Probus, un millier d'autruches? Et cependant, l'espèce de l'éléphant, qui a besoin, plus que toute autre, d'exploiter de vastes étendues de terrain, doit disparaître la première à l'approche de l'homme, et diminuer en général d'une manière beaucoup plus sensible que les autres. On conçoit donc qu'il y ait aujourd'hui, en Asie, moins d'éléphants qu'il n'y en avait du temps de Diodore, de Strabon et de Pline 4.

Cependant, cet animal, que l'on trouvait dans l'Inde si communément, est resté longtemps inconnu à l'Europe et à l'Asie occidentale. Homère, qui a tracé une peinture si fidèle des usages et des connaissances de

1 Plin., Hist. nat., viii, 20.

2 Dion. Cass., XXXIX, 6.

Plin., loc. laud., et vin, 24.

3 Fl. Vopisc., Prob., xix. Voyez d'ailleurs à la fin du volume l'Appendice n° 1.

4 Il ne faudrait pas pourtant se figurer cette diminution de l'espèce de l'éléphant plus grande qu'elle ne l'est réellement. Tippo - Saheb possédait encore en 1784 700 éléphants, malgré les pertes que lui avait causées la guerre qu'il venait de soutenir contre les Anglais. Il résulte d'un rapport présenté à la Chambre des communes, que de 1788 à 1798, on avait importé en Angleterre plus de trente mille défenses d'éléphant. Ajoutons à ce nombre toutes celles qui, pendant le même laps de temps, doivent avoir été portées sur les autres marchés du globe, et nous resterons peut-être en deçà de la vérité en disant qu'il y avait eu par année une consommation de 3 à 4,000 éléphants. La race de ces animaux n'est donc pas autant appauvrie qu'on pourrait le croire. - Voy. Ranking, Historical researches, etc., chap. 15.

son temps, ne le nomme nulle part'. Même silence dans Hésiode. L'histoire sacrée, où les armées des anciens rois d'Asie sont si souvent décrites, ne parle d'éléphants qu'à l'époque des Machabées, très-postérieure, comme on sait, à celle d'Alexandre. Il est vrai que les interprètes se sont singulièrement tourmentés pour trouver la signification du mot behemoth, par lequel Job a désigné, à ce qu'il paraît, un des plus grands et des plus forts quadrupèdes de son temps. Bochart a épuisé son érudition pour démontrer que cet animal était l'hippopotame; dom Calmet veut à toute force que ce soit l'éléphant; mais ces conjectures, d'ailleurs très-contestables, sont en dehors de l'histoire. Les monuments figurés des Égyptiens n'offrent non plus aucune trace d'éléphants, tandis qu'on y trouve représentés une foule de quadrupèdes qui vivent dans les mêmes forêts et à la même distance de l'Égypte que l'éléphant. Peut-être cet animal était-il de ceux que ce peuple avait en horreur, et dont il ne voulait pas reproduire la figure. La mention la plus ancienne de ces animaux se trouve, si je ne me trompe, dans Hérodote 2.

Cependant, bien que l'existence de l'éléphant fût un mystère pour les nations d'Occident, elles connaissaient très-bien l'ivoire 3, et l'usage de cette substance était répandu de temps immémorial en Grèce, en Italie, en Syrie et sur toutes les côtes de la Méditerranée. Les Phéniciens et les Étrusques excellaient dans l'art de le

1 Le mot és, dans Homère, ne signifie jamais que de l'ivoire. 2 Un fait assez curieux et dont il est difficile de se rendre compte, c'est que Xénophon, écrivain de plus d'un demi-siècle postérieur à Hérodote, et à qui nous devons tant de détails militaires sur les nations de l'Asie, ne fasse nulle part mention des éléphants.

3 Cette remarque avait été faite par Pausanias, Attica, 12.

teindre en pourpre; on en décorait les temples et les palais des rois, même avant la guerre de Troie. Le lit de Pénélope, le fauteuil d'Ulysse, les portes du palais de Ménélas, en étaient incrustés; on en garnissait les poignées des épées et les brides des chevaux. C'est avec cette matière précieuse que Salomon fit faire son trône; Achab s'en servit pour la décoration de sa résidence 2; il est dit dans la Bible que les vaisseaux de Salomon et d'Hiram, qui allaient chercher leurs cargaisons sur les rivages de Tharsis et d'Ophir, en rapportaient de l'ivoire entre autres marchandises 3; enfin cette substance était si abondante à Tyr, que les gens riches en embellissaient leurs bateaux de parade1.

Cette précieuse denrée, qui, alors comme aujourd'hui, ne pouvait venir que des plages lointaines de l'Inde et de l'Afrique, passait sans doute plusieurs fois de main en main avant d'entrer dans les entrepôts de la Phénicie, où elle arrivait avec une foule de productions exotiques dont on ignorait également la nature et l'origine. Il n'y a rien en cela qui doive nous étonner. On a attaché beaucoup de prix aux perles et à la soie, on s'en est longtemps paré, avant de savoir que les premières étaient les concrétions d'une huître, et l'autre, le travail d'une chenille 5.

Aristote est le premier naturaliste qui ait donné la

1 Odyss., IV, 73; xix, 55, 562; xxIII, 200.- Iliad., iv, 141. 2 Paralip., 11, 9. — Reg., III, 22. - Psalm., XLIV, 9. 3 Paralip., II, 9. - Reg., III, 10.

4 «Transtra tua fecerunt tibi ex ebore indico. » (Ezech., XXVII, 6.) 5 Voyez, sur l'antiquité de l'usage de l'ivoire, le Jupiter olympien de M.Quatremère de Quincy; et sur les lieux où on allait le chercher, le deuxième volume des Recherches sur la politique et le commerce des peuples de l'antiquité, par Heeren; enfin, Macpherson's Annals of commerce and navigation,

description de l'éléphant, et cette description est si exacte et si détaillée, qu'on serait tenté de croire que ce philosophe a eu occasion de voir ce quadrupède et de l'examiner à loisir. Il n'y aurait rien d'improbable dans cette supposition, si l'on admettait qu'il a travaillé à son histoire des animaux pendant les dernières années de sa vie. Il aurait pu, en effet, avoir alors sous les yeux quelques-uns des éléphants pris à la bataille d'Arbelles, événement qui précéda sa mort de dix ans. On sait qu'au milieu même des soins et des dangers de la guerre, Alexandre entretenait avec son ancien précepteur une correspondance suivie; on sait aussi qu'il se faisait un plaisir de lui procurer des animaux rares et des curiosités naturelles. Pline assure qu'il payait des milliers de chasseurs, d'oiseleurs et de pêcheurs, pour explorer tous les pays qu'il parcourait, afin qu'aucune espèce d'animaux n'échappât à la connaissance d'Aristote, à qui d'ailleurs il envoyait des cadeaux très-considérables en argent, pour l'aider dans ses études 1. D'après cela, il est tout naturel de penser qu'Alexandre, ayant en son pouvoir des éléphants, n'aura pas manqué d'en envoyer à Athènes, où le philosophe faisait alors sa résidence. Le prince qui donnait 800 talents à la fois (plus de 4,000,000 de francs) à son précepteur ne pouvait et ne devait pas reculer devant l'envoi d'un éléphant, d'autant plus que c'était un moyen de relever aux yeux des Grecs, des Athéniens surtout, à l'opinion desquels il tenait tant, l'importance de ses exploits. Toutes ces raisons me paraissent assez fortes pour élever ma conjecture au rang de certitude.

Quoi qu'il en soit, il faut nécessairement ou qu'Aris

1 Plin., Hist. nat., VIII,
17.
- A. Gell., Noct. attic., xx, 5.
2 Onesicrit. ap. Plutarch., Alexand., c. 60.

tote ait vu et examiné l'éléphant, ou qu'il en ait reçu, de ses amis qui suivaient l'armée, des descriptions trèsexactes1. En effet, il entre sur cet animal dans les plus grands détails : il décrit soigneusement le mâle et la femelle, il en donne l'anatomie, parle de l'accouplement, fait connaître le temps de la gestation, et détermine en médimnes macédoniens la quantité de nourriture nécessaire chaque jour à chaque individu; enfin, chose remarquable, il dément quelques erreurs accréditées de son temps sur l'organisation et les habitudes de ce quadrupède, erreurs qui furent reproduites dans les siècles suivants, et qui n'ont été bien reconnues que de nos jours 2. J'ai dit que ce philosophe aurait pu voir les éléphants qui avaient été pris à Arbelles; il ne vécut pas assez pour voir les premiers qui furent amenés dans la Grèce par les successeurs d'Alexandre, sa mort ayant précédé de deux ans cet événement.

1 Ptolemée Lagus, qui jouissait d'une grande faveur auprès d'Alexandre, et le philosophe Callisthène, qui suivait aussi le quartier général, avaient été disciples d'Aristote. Le second était, en outre, son neveu.

2 Aristot., Animal., 1, 1, 12. ; II, 1, 2, 5, 6, 9, 15, 17; ш, 9, 22; IV, 9, 10; v, 2, 14; vi, 18, 27; vil, 9, 22, 26; IX, 1, 46. J'ai consulté les notes ajoutées à cet ouvrage par Camus, et celles de Cuvier sur le livre vIII de Pline, édition de Panckoucke. Il résulte du travail de ces savants qu'Aristote a mieux connu et mieux décrit l'éléphant que Buffon lui-même.

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