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cette place depuis le commencement de la guerre. Cette fois, il avait pris toutes mesures pour ne pas

échouer il parut devant la ville à la tête d'une armée formidable, avec un équipage de machines de siége, et un train d'éléphants qui, suivant quelques relations, ne s'élevait pas à moins de 300. La garnison, composée de troupes d'élite et commandée par le vaillant comte Lucillien, était disposée à faire tous les efforts pour repousser l'ennemi; mais de nouveaux agresseurs remplaçaient toujours ceux qu'on avait tués, et Chapour, à force de prodiguer le sang de ses soldats. parvint à s'établir sur la contrescarpe, et à ouvrir la brèche dans le corps de la place.

Tout fut aussitôt disposé pour l'assaut : les colonnes formées hors de la portée du trait s'avancèrent pour environner les ouvrages; les éléphants, disposés de distance en distance et bardés de fer, portaient des tours recouvertes de lames de même métal, et remplies d'archers et de frondeurs destinés à dégarnir les parapets, et à protéger la marche des colonnes. On aurait cru, dit un témoin oculaire, à la vue de ce redoutable

appareil, que des remparts mobiles allaient se précipiter

sur l'enceinte délabrée de la ville.

Les assaillants comblèrent d'abord les fossés; puis ils y firent passer les hommes, et ensuite les éléphants : Chapour excitait par son exemple l'ardeur de ses soldats. Mais les assiégés, de leur côté, redoublaient de courage en présence du danger : ils déchargeaient toutes leurs machines sur les assaillants, et lançaient surtout contre les éléphants, pour les effaroucher, des pierres et des traits enflammés. Leurs efforts ne furent pas inutiles; car ces animaux, exaspérés par les blessures et épouvantés par le feu, jetèrent bas leurs tours, et se retournèrent furieux contre les troupes de Chapour,

dont ils firent un carnage d'autant plus effroyable, qu'elles étaient plus serrées. Théodoret assure que plus de 10,000 hommes perdirent alors la vie, par le seul fait des éléphants; et ce rapport pourrait ne pas être exagéré, s'il est vrai qu'il y avait plusieurs centaines de ces animaux.

Forcé d'ordonner la retraite, le roi de Perse renonça pour le moment à l'emploi de ces auxiliaires dangereux, et avisa à d'autres moyens pour venir à bout de son entreprise. Il détourna d'abord le fleuve Mygdonius, qui traversait la ville: il espérait réduire les habitants par la soif; mais il leur restait quelques sources et quelques citernes, et leur résistance pouvait encore se prolonger. Chapour imagina alors un projet plus gigantesque encore ce fut de soutenir les eaux de ce même fleuve, par une immense levée, et de les lâcher ensuite tout à coup sur la ville 1. Les habitants, surpris par cette terrible inondation, eurent à peine le temps de chercher un refuge sur les tours et sur les toits. De là ils s'efforcèrent de repousser les barques armées de l'ennemi, qui se dirigeaient de tout côté sur la place. La violence des eaux ayant ensuite entraîné un pan de mur de 150 pieds, les Perses se précipitèrent sur cette ouverture avec leur cavalerie et leurs éléphants; mais les chevaux n'avançaient qu'avec peine sur le terrain détrempé par l'inondation, et les éléphants y restaient embourbés, ce qui donna à la garnison le temps de les écraser sous une grêle de traits et de projectiles 2. Il est cependant probable que la

tée

1 On trouve dans l'Histoire du Bas-Empire de Le Beau, annopar Saint-Martin, tom. 11, liv. vii, des détails intéressants sur les moyens employés par le roi de Perse pour venir à bout de cette étonnante entreprise, et sur les résultats qu'il en obtint.

2 Le zèle religieux eut autant de part que l'esprit national à la résistance désespérée des habitants de Nisibe; car Chapour

ville aurait fini par succomber, sans un événement imprévu qui arriva à propos pour la sauver. Chapour reçut la nouvelle que les Massagètes venaient de faire une irruption dans ses Etats, et qu'ils s'avançaient au cœur du royaume. Forcé de parer à ce danger, il se hâta de brûler toutes ses machines et de lever le siége : il avait, en quatre mois, perdu sous les murs de cette place plus de 20,000 hommes1.

Cette invasion des Massagètes amena une trêve forcée entre la Perse et l'empire; mais au bout de neuf ans Chapour rentra avec une armée de 100,000 hommes dans la Mésopotamie. Cette fois il n'eut garde de s'arrêter devant Nisibe, il tourna ses efforts contre la ville d'Amide (aujourd'hui Amid, Kara-Amid, ou Diarbekir), place importante, à proximité du Tigre, et dont on venait de porter la garnison à la foree imposante de sept Jégions. Ammien Marcellin, qui nous a laissé la relation de ce siége mémorable, avait un commandement dans la place; de sorte qu'il fut en même temps témoin et acteur des faits dont nous lui devons la connaissance.

Les éléphants figuraient en première ligne parmi les moyens de destruction amenés sous les murs de la place; et l'on peut conjecturer qu'ils étaient fort nom

s'était déclaré l'ennemi et le persécuteur des chrétiens. Le courage des assiégés fut toujours soutenu par les exhortations et par l'exemple de saint Jacques, leur évêque. On voyait ce digne pasteur se présenter sur la brèche, revêtu de ses habits pontificaux, et s'exposer le premier aux coups de l'ennemi. C'est en commémoration de ce beau trait, que les Grecs, les Syriens et lés Arméniens, célèbrent encore aujourd'hui la fête du saint évêque de Nisibe.

1 Zosim., Histor., lib. II, pag. 151, éd. Oxon. — Theodor., Hist. ecclés., 11, 30. Zonar., Annal., 11, 13; Chronic. Alexandrin., pag. 674. Tillemont, Histoire des empereurs, tom. IV, pag. 350 sqq. Gibbon, Histoire de la décadence, chap. 18. — Le Beau, Histoire du Bas-Empire, tom. 11, liv. vi.

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breux, car l'historien emploie souvent, pour les désigner, l'expression elephantorum agmina, qui manquerait de justesse s'il n'y en avait eu qu'un petit nombre. Chaque fois que l'ennemi s'avançait pour attaquer les ouvrages, il se faisait accompagner ou précéder de ces quadrupèdes, armés de leurs tours garnies de gens de trait. Ammien décrit avec détail une de ces attaques, et l'on voit, par son récit, quelle terrible impression faisait cet appareil sur les troupes de la garnison. Les assiégés repoussaient les éléphants à coups de fronde et de machines que l'on appelait scorpions 2. On leur jetait aussi des feux d'artifice, et des quartiers de pierre d'une telle grosseur, qu'ils pouvaient briser les tours et écraser ces énormes quadrupèdes.

La peinture qu'Ammien nous a laissée de l'emploi de tous ces moyens peut donner une idée de la manière de combattre de ces temps reculés, surtout lorsqu'on avait affaire aux éléphants. Il paraît, en outre, d'après les paroles de cet historien, qu'on pouvait amener ces animaux assez près des remparts pour les faire servir de véritables machines de siége. Ce serait un exemple de plus à ajouter à ceux que nous avons rapportés au chapitre VIII du livre précédent, sur le service des éléphants dans l'attaque des places 3.

1 «Occidentali portæ oppositi sunt Segestani acerrimi omnium «bellatores cum quibus elata in arduum specie elephantorum « agmina, rugosis horrenda corporibus, leniter incedebant arma<«<tis onusta, ultra omnem diritatem tetri spectaculi formidanda.» (Ammian. Marcell., XIX, 2, ed. Vales.) -Les Segestani dont il est ici parlé sont les habitants du Seistan ou Sedjestan, qui fait aujourd'hui partie de l'Afghanistan.

2 Voyez l'appendice III, à la fin du volume.

3 Voici le récit d'Ammien: «Lux nobis advenit moestissima, « Persarum manipulos formidatos ostendens, adjectis elephanto«rum agminibus, quorum stridore immanitateque corporum nihil

Enfin, après soixante et treize jours d'efforts et de combats, Chapour s'empara d'Amide; et cette malheureuse ville fut abandonnée à la fureur du soldat, et ensuite rasée. Ammien eut la plus grande peine à se dérober au massacre et à gagner les avant-postes de l'armée impériale. Mais ce triomphe coûta cher au vainqueur : il y perdit 30,000 de ses meilleurs vétérans, et ne put rien entreprendre pendant le reste de la campagne. L'épuisement des deux partis fit même traîner la guerre avec lenteur, pendant les deux ans qui suivirent ce désastre, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Constance, laquelle arriva en 361.

Un prince jeune, belliqueux, accoutumé à vaincre, vint alors s'asseoir sur le trône de Byzance. La cour, l'administration, l'armée, prirent une nouvelle face, et Chapour ne tarda pas à s'apercevoir qu'une main plus ferme et plus habile tenait les rênes de l'empire. Il craignit pour ses conquêtes, et fit des ouvertures de paix; mais Julien brûlait d'illustrer les commencements de son règne, et de réparer le tort que l'incapacité de son prédécesseur avait fait à la gloire du nom romain. Il répondit donc aux avances du roi de Perse à peu près comme Alexandre avait répondu aux offres de Darius;

«humanæ mentes terribilius cernunt. Cumque omni ex latere ar<«<morum et operum, belluarumque molibus urgeremur, per scor«pionum ferreas fundas e propugnaculis subinde rotundi lapides «acti, dissolutis turrium coagmentis, ballistas earumque tortores «ita fundere præcipites, ut quidam citra vulnerum noxas, alii «obtriti magnitudine ponderum interirent: elephantis vi magna «<propulsis, quos flammis conjectis undique circumnexos, jam << corporibus tactis, gradientesque retrorsus, retinere magistri non << poterant. >> (Lib. XIX, cap. 7.)- Une autre conséquence qu'on peut tirer de ce passage, c'est que, comme nous l'avons dit plus haut, on établissait des balistes et d'autres grosses machines sur le dos des éléphants.

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