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noble mouvement de fierté qui, toutefois, ne devait amener qu'une funeste catastrophe.

Cependant, avant de rien entreprendre, Julien sentit la nécessité d'organiser une nouvelle armée, et d'y placer des officiers dont il connût les talents et la bravoure. Il lui fallut quelque temps pour rétablir la discipline, ranimer l'esprit des légions d'Orient, et les rendre capables de combattre à côté des vétérans qu'il avait ramenés des Gaules et de la Germanie. Lorsque ces préparatifs furent achevés, il se mit en campagne, concentra ses forces à Hierapolis sur l'Euphrate', fit jeter des ponts sur ce fleuve, et s'avança dans la Mésopotamie, tirant droit sur le Tigre et sur Ctésiphon; il voulait tenir la promesse qu'il avait faite au grand roi, et lui rendre visite dans sa capitale.

par

Ce projet n'avait rien d'impossible : l'armée de Julien était la plus forte et la mieux composée qu'on eût encore employée contre les Perses; elle comptait 65,000 légionnaires, un corps formidable de cavalerie scythe, et plusieurs contingents de Sarrasins ou Arabes fournis les tribus du désert. Elle marchait avec un ordre admirable dans les vastes plaines de la Mésopotamie; des corps d'éclaireurs la précédaient, et elle était suivie par une forte arrière-garde; de manière qu'il aurait été impossible de la surprendre ou de l'entamer. Une flotte nombreuse s'avançait en même temps sur l'Euphrate, et fournissait à tous les besoins des troupes; enfin l'empereur, toujours à la tête des colonnes, avait à sa suite les officiers les plus distingués, parmi lesquels on comptait les deux historiens Marcellin et Eutrope, qui nous ont laissé le récit de cette expédition.

L'armée de Chapour, également prête au combat,

1. On était au commencement du printemps de l'année 363.

marchait sur trois lignes: la première formée de cavalerie, la seconde d'infanterie, et la troisième d'éléphants. Ces colosses, dit l'historien, paraissaient au loin comme des monticules ambulants, et leur vue inspirait la terreur par le souvenir des ravages qu'ils avaient autrefois causés 1. Cependant les Perses, frappés du nombre et de la bonne contenance des Romains, n'osaient les attaquer, et se bornaient à leur couper les vivres et à gâter les routes, espérant que les fatigues de la marche et les difficultés du terrain feraient naître quelque bonne occasion de les surprendre ou de les repousser. En Assyrie, les habitants avaient coupé les digues des rivières et submergé la plaine; mais la constance des légions triompha de tous les obstacles: on établit des chaussées, on répara les écluses, et non-seulement l'armée put continuer sa marche, mais elle s'empara de Périsabora et de Maogamalcha, deux places regardées jusqu'alors comme imprenables.

Ce fut ainsi que Julien parvint sur les bords du Tigre. Ce courant profond et rapide semblait devoir arrêter sa marche, d'autant plus qu'une armée nombreuse de Perses était en position sur la rive opposée; mais sa fermeté et ses bonnes dispositions surmontèrent encore toutes les difficultés il passa le fleuve malgré l'ennemi, et ne tarda pas à montrer ses étendards devant la résidence royale de Ctésiphon. Toutes les forces de la Perse s'étaient réunies sur ce point, et il devenait impossible de rien entreprendre sur la capitale avant d'avoir dispersé l'armée. Julien prit donc ses dispositions pour attaquer les Perses, et après un combat acharné, qui ne

1 «Post pedites elephanti gradientium collium specie, motuque <«<immanium corporum, propinquantibus exitium intentabant, do«cumentis præteritis formidati.» (Ammian. Marcellin., xxiv, 6.)

dura pas moins de 12 heures, il parvint à les mettre en fuite. On trouve dans la relation de cette bataille une particularité qui mérite d'être remarquée dans l'histoire des éléphants: les Perses n'avaient pas oublié combien la révolte de ces animaux leur avait été funeste sous les murs de Nisibe; ils avaient songé à prévenir un semblable malheur, et à cet effet ils avaient ordonné aux conducteurs de ces animaux de se munir d'un poignard très-acéré, pour le leur enfoncer dans la nuque aussitôt qu'ils commenceraient à s'emporter, et qu'il n'y aurait plus d'espoir de les contenir par le commandement ou par les autres expédients accoutumés. Et pour être plus sûrs d'avoir sous la main ce moyen de salut, ces hommes devaient toujours tenir ce poignard attaché à leur bras droit 1.

Julien, maître de la campagne, ravagea le pays, et s'empara des forts qui protégeaient les abords de Ctésiphon. Il avait investi cette place, et tout était prêt pour commencer le siége, lorsque la fortune, qui avait secondé ses premières opérations, commença à l'abandonner. Il faut savoir qu'au moment de passer l'Euphrate il avait détaché un corps de 30,000 hommes, auquel il avait ordonné de se diriger sur le Tigre en longeant les frontières de l'Arménie, de passer ensuite ce fleuve, et

1 «Elephantis insidentes magistri manubriatos cultros dexteris <<manibus illigatos gestabant, acceptæ apud Nisibin memores cla<«dis, et si ferociens animal vires exsuperasset regentis, ne reversus <«<per suos, ut tunc acciderat, collisam sterneret plebem, verte<< bram ་ qua caput a cervice disterminat ictu maximo terebrabant. » (Ammian. Marcellin., xxv, 1.) On croit que Chapour fut obligé d'employer le même expédient à la bataille de Maronga, dont nous allons bientôt parler. Voyez l'Histoire du Bas-Empire de Le Beau, avec les additions de Saint-Martin, XIV, 43. vu (page 365) que cette invention datait de loin, puisque Asdrubal s'en était servi à la bataille du Métaure.

Nous avons

de venir, après avoir dévasté l'Adiabène, rejoindre le quartier impérial sous les murs de Ctésiphon. On ne sait pas si ces troupes prirent une fausse direction, ou si elles furent arrêtées par des obstacles imprévus, mais le fait est que l'empereur les attendit longtemps et inutilement. Le roi d'Arménie, qui avait promis d'amener des renforts, trompa aussi ses espérances, et se tint en observation dans ses États. Il paya plus tard la peine de sa fausse politique; mais pour le moment ces contrariétés firent échouer les projets de Julien. Il n'avait pas assez de monde pour entreprendre le siége d'une grande ville, et pour tenir en respect les renforts que Chapour appelait de toutes ses provinces au secours de sa capitale. Le pays était d'ailleurs épuisé, et la position de l'armée devenait chaque jour plus critique; enfin, on pensa que le seul moyen de la sauver était de décamper.

bile

Julien eut alors le malheur de prêter l'oreille aux suggestions d'un transfuge, qui avait été envoyé dans son camp tout exprès pour le tromper. Ce traître fut assez hapour lui persuader de porter la guerre dans l'intérieur du royaume, en lui faisant espérer qu'il rencontrerait dans sa marche les 30,000 hommes dont le retard lui causait tant d'inquiétudes, et qu'il trouverait facilement alors l'occasion d'anéantir les dernières réserves que préparait le grand roi; enfin, que, dans tous les cas, il pourrait s'établir dans les riches provinces d'Ecbatane et de Suse, où son armée, ravitaillée et réorganisée, dicterait la loi à la Perse.

Peu méfiant par caractère, et tout rempli de ses vastes projets, Julien se laissa persuader par ces perfides conseils. L'armée prit la route de la Médie; mais bientôt, trompée par de faux guides, elle se trouva engagée dans des plaines arides, où les privations et la chaleur eurent en peu de temps abattu ces braves vétérans, accoutu

més au climat tempéré des Gaules et de la Germanie. Cependant des essaims de cavalerie ennemie les entouraient au large, les accablaient de traits, et tombaient sur les hommes isolés, sur les traînards. Leur émissaire trouva alors moyen de s'évader, et l'empereur s'aperçut, mais trop tard, du piége dans lequel il était tombé1. Menacé d'éprouver le sort de Crassus, il prit le seul parti qui pouvait encore lui offrir un espoir de salut: ce fut de remonter le Tigre et de gagner à la hâte les montagnes de la Corduène et de la Cappadoce, provinces fertiles qui reconnaissaient l'autorité de l'empire.

Ce fut ainsi que Julien vit s'évanouir ses espérances, environ deux mois après avoir mis le pied sur le territoire de l'ennemi. Sa retraite commença avec beaucoup d'ordre, et tant que l'armée fut dans le plat pays, les Perses ne réussirent jamais à l'entamer. L'affaire la plus importante eut lieu dans la plaine de Maronga ou Maranga, où les légions combattirent vaillamment malgré leur épuisement, et défirent des troupes fort supérieures en nombre et qu'animait la présence de deux fils du roi. Pendant toute cette retraite, les Romains eurent à lutter contre les éléphants, qu'on leur présentait exprès pour

1 L'art de tromper par de faux déserteurs a toujours été en faveur chez les Perses. Tout le monde connaît le stratagème de Zopire en faveur de Darius fer. Cet exemple ne servit de rien à Crassus, dont la perte fut également causée par la confiance qu'il eut l'imprudence d'accorder au roi d'Édesse, traître vendu aux Parthes, qui, par ses perfides conseils, engagea les Romains dans les plaines arides de la Mésopotamie, où ils furent détruits. Julien tombe ici dans le même piége, et son erreur est accompagnée des mêmes circonstances et suivie des mêmes malheurs : taut il est vrai que les leçons de l'histoire sont souvent perdues pour les hommes! Triste vérité, dont les preuves se trouvent dans l'histoire moderne aussi bien que dans celle des temps

anciens.

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