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CHAPITRE III.

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Première rencontre d'une armée européenne avec les éléphants. - Passage de l'Indus par Alexandre. - Bataille de l'Hydaspe. Réflexions sur ces événements. Retour d'Alexandre à Babylone. - Introduction des éléphants dans l'Asie occidentale.

Il me semble hors de doute, après ce que je viens d'établir, que la première apparition historique des éléphants à l'occident de l'Indus ne remonte pas au delà de l'expédition d'Alexandre, et qu'elle eut lieu précisément à la bataille d'Arbelles (331 av. J. C.), où Darius avait rangé environ quinze de ces animaux devant le centre de son armée. Ces éléphants n'étaient là probablement que pour faire parade autour du quartier royal: ils tombèrent tous, avec les dépouilles du camp des Perses, au pouvoir du vainqueur. Lorsqu'Alexandre se prépara, après cette grande victoire, à faire son entrée dans Suse, il reçut encore du satrape de la province un présent de douze éléphants. Plus tard, lorsqu'il se disposait à passer dans l'Inde, il s'empara d'un grand nombre de ces animaux, que les ennemis avaient abandonnés sur les bords de l'Indus; enfin, lorsqu'il eut passé ce fleuve, Taxile lui en amena encore beaucoup, en venant faire sa soumission 1.

Les historiens ne sont pas d'accord sur le nombre d'éléphants que ce prince offrit au conquérant; mais, si ce nombre n'était pas de cinquante-six, comme le

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Arrian., Exp. Alex., 11, 8, 11; IV, 30; v. 3.-Quint, Curt., v, 2; VIII, 12. - Diodor. Sicul., XVII, Sainte-Croix, Examen critique des historiens d'Alexandre. Flathe, Geschichte Macedoniens,

tom. I.

suppose Quinte-Curce, il dépassait probablement celui de trente donné par Arrien. Alexandre pouvait donc avoir à sa disposition une centaine d'éléphants lorsqu'il marcha contre Porus, et il ne tenait qu'à lui d'en tirer parti sur le champ de bataille. Mais il ne jugea pas à propos de s'en servir, par des raisons que nous tâcherons de développer après avoir parlé du fait d'armes de l'Hydaspe. On sait qu'il confia à Taxile la conduite de ces animaux. trop peu connus des Macédoniens; on sait aussi qu'ils lui furent d'une grande utilité pour le transport de ses bagages, et d'un train de bateaux dont les pièces se démontaient, et que l'on avait préparés exprès pour le passage des rivières que l'armée devait rencontrer dans

sa marche.

Taxile, c'est le nom que les Grecs lui ont donné, régnait sur le pays compris entre l'Indus et l'Hydaspe, c'est-à-dire sur une grande partie du Pendjâb d'aujourd'hui 1. Les États de Porus (ou Por) s'étendaient sur la gauche de l'Hydaspe, dans les contrées qui forment maintenant le royaume de Lahore, et probablement plus à l'est dans l'Hindoustan.

BATAILLE DE L'HYDASPE.

(327 av. J. C.)

De tous les faits d'armes d'Alexandre, celui qui fait le plus d'honneur à l'énergie de son caractère, c'est sans contredit son expédition dans l'Inde. Jusque-là, pendant toute sa marche à travers l'Asie, il n'avait guère eu en tête que des mercenaires et de mauvaises troupes,

1 Pendjab ou Panjab, littéralement les cinq rivières, de deux mots hindous pendi (cinq) et ab (eau). On donne ce nom aux terres comprises entre l'Indus et ses quatre affluents, l'Hydaspe, l'Acésines, l'Hydraotes, l'Hyphasis, dont il est souvent question dans

rassemblées au hasard d'une infinité de contrées, menées à coups de fouet par des satrapes peu d'accord entre eux, et commandées par un monarque inhabile, que la nécessité seule arrachait aux plaisirs, et qui était toujours prêt à donner le signal de la fuite au moindre danger qui paraissait menacer sa personne. Au contraire, dans l'entreprise dont nous allons parler, Alexandre eut à combattre une armée compacte, toute nationale, et que commandait un roi remarquable par son courage et par la noble fierté de son caractère. On vit, en effet, Porus s'exposer le premier dans la mêlée, soutenir le combat sur tous les points, et ne se retirer que couvert de blessures, et après avoir fait des efforts dignes d'un meilleur succès. Aussi, à peine Alexandre, qui était certainement bon juge en fait de bravoure, eut-il vu le roi indien à la tête de son armée, qu'il comprit à quel ennemi il avait affaire, et s'écria que cette fois enfin il avait trouvé un adversaire et des obstacles dignes de lui. Or, parmi ces obstacles il comptait pour beaucoup les éléphants qui se trouvaient en grand nombre dans l'armée ennemie, et dont la renommée agissait puissamment sur le moral de ses soldats 1.

Il avait passé l'Indus sur un pont que, par son ordre, Ephestion avait jeté sur ce fleuve dès le commencement de la campagne, à la hauteur de l'ancienne Taxila, à l'endroit où sont maintenant la ville et le fort d'Attock. Plusieurs raisons l'avaient déterminé à choisir ce

les historiens d'Alexandre. Voici leurs noms actuels dans les différents dialectes de l'Inde : (Hydaspe) Béhut, Chélum ou Djélem; (Acésines) Chène-ab ou Jenhaut; (Hydraotes) Ravy ou Rauwée; (Hyphasis) Beyah ou Biah.

1 «Alexander contemplatus et regem et agmen Indorum, tan«dem, inquit, par animo meo periculum video; cum bestiis si«mul, et cum egregiis viris res est.» (Quint. Curt., viii, 14.)

point à cause des accidents du terrain, le lit de la rivière y est plus resserré et le courant moins irrégulier qu'ailleurs ; cet endroit se trouvait sur la grande route militaire de la Perse aux Indes; enfin un troisième motif a peut-être aussi contribué à décider le choix du conquérant c'est qu'en cet endroit l'Indus reçoit le Cophènes (rivière de Caboul, des modernes), par lequel il pouvait faire arriver les approvisionnements pour son armée. Aujourd'hui encore, les communications entre Caboul et Lahore, entre l'Afgahnistan et l'Inde, ont lieu par Attock.

A la première nouvelle de la marche des Macédoniens, Porus s'était posté à la frontière de ses Etats, sur la rive orientale de l'Hydaspe, où il se tenait prêt à leur disputer le passage. L'entreprise des agresseurs présentait de nombreuses difficultés. La rivière avait quatre stades de large (plus de 2,000 pieds), et selon l'expression de Quinte-Curce, elle présentait l'apparence d'un bras de mer. En effet, on était alors au printemps, qui est la saison des pluies et de la fonte des neiges dans cette partie de l'Inde. Alexandre, qui ignorait cette particularité, se trouva donc sur les bords du fleuve au moment de l'année où le courant est le plus large et le plus rapide. La difficulté d'établir un pont était immense, et il n'était pas moins difficile de brusquer le passage, car Porus veillait sur l'autre bord, et ses éléphants, placés comme en vedette, effrayaient les Grecs par leurs cris, et étaient prêts à tomber sur le premier qui aurait risqué l'abordage '.

Dans cette extrémité, Alexandre eut recours à un stratagème. Pendant plusieurs jours il ne fit que des reconnaissances et de fausses attaques sur différents points,

¡Quint. Curt., vi, 13.

pour dérouter l'ennemi et le fatiguer par des alertes continuelles. Ces menaces n'aboutissant jamais à rien, Porus se persuada que les Macédoniens n'étaient pas en état de passer, et ralentit sa vigilance. Cependant Alexandre avait toujours sous la main un équipage de ponts très-mobile, et il profitait de la fausse sécurité de l'ennemi pour faire explorer le bord de la rivière. Ses éclaireurs lui rapportèrent qu'il y avait, à quelques lieues de distance, un endroit boisé où le lit du fleuve, entrecoupé d'iles, paraissait devoir opposer au passage de l'armée moins de difficultés. Il s'y rendit en dilifavorisé gence, et, l'obscurité d'une nuit orageuse, par il traversa le fleuve avec 5,000 chevaux et 6,000 fantassins d'élite1.

Ce passage de l'Hydaspe est, avec raison, regardé comme une des opérations les plus brillantes et les mieux combinées des campagnes d'Alexandre. Folard le compare au passage du Rhône par Annibal; mais il y a, selon moi, une grande différence entre ces deux faits. Les Gaulois n'étaient plus redoutables pour Annibal lorsqu'il passa le fleuve : les Indiens, au contraire, attendaient Alexandre avec leurs forces encore intactes, au delà de l'Hydaspe. Annibal n'avait plus qu'à s'avancer paisiblement dans le pays; Alexandre devait s'attendre à tout moment à être attaqué par des forces supérieures. Enfin, le général carthaginois put se faire suivre par son armée tout entière, tandis que le roi de Macédoine, dans la crainte de faire connaître son mouvement aux ennemis, n'avait fait, dans son camp, aucun changement apparent, et y avait laissé, sous les ordres de Cratère, une partie de ses troupes; sa tente royale était restée dressée à la vue des Indiens, et rien ne paraissait

1 Arrian., Exp. Alex., v, 14.

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