Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[ocr errors]

Je n'ai rien dit du nombre des hommes qui, d'après

la relation de Marco-Polo, montaient chacun des éléphants du roi de Mien. Ce nombre, que le voyageur vénitien porte à 12 ou à 16, est évidemment exagéré. Je ne reviendrai point ici sur ce sujet, que je crois avoir traité ailleurs d'une manière complète1. Je ferai seulement remarquer que Marco-Polo ne parle pas ici comme témoin oculaire, mais simplement d'après des ouï-dire, et sur des bruits certainement agrandis par la vanité nationale. Je puis d'ailleurs citer à l'appui de mes conjectures un document presque contemporain, et dont l'importance ne saurait être contestée : c'est un trèsbeau manuscrit de la bibliothèque royale 2, intitulé: Livre des merveilles du monde, ou voyage de Marc-Pol. Ce manuscrit, grand in-folio sur parchemin, est orné de miniatures, dont l'une représente la bataille de Vociam et les éléphants des Indiens. Ces animaux portent des tours, et on ne remarque, dans aucune de ces machines, plus de deux combattants; ce ne sont d'ailleurs, à proprement parler, que de grands coffres ouverts, dont les côtés arrivent tout au plus à la hauteur de la poitrine de ces hommes. Le même volume contient encore d'autres représentations d'éléphants de guerre, relatives à d'autres voyages, et nulle part on ne voit plus de deux soldats sur chacun de ces animaux. Ce manuscrit date de la fin du XIVe siècle, époque où le goût des voyages était très répandu; les relations, non-seulement de M. Polo, mais aussi de Plan-Carpin, de Rubriquis, de Mandeville, d'Oderico da Pordenone, de Giovanni da Montecorvino. et d'une foule d'autres voyageurs, étaient alors avidement consultées ; et l'on peut affirmer que ces miniatures ont été faites d'après ces documents. Je persiste donc à 1 Voyez pages 259 et suiv.

2 Ancien fonds du roi, u. 8392.

[ocr errors]

soutenir que jamais on n'a pu mettre plus de 4 à 6 hommes dans les tours portées par les éléphants de guerre.

L'ordre chronologique nous conduit maintenant à parler de l'invasion de Tamerlan dans l'Inde, invasion qui eut, sur cette riche et malheureuse contrée, une si grande influence. Cette fois encore, les habitants eurent recours à leurs éléphants pour repousser l'agression; nous allons voir par quels moyens le conquérant sut triompher de cette formidable barrière, opposée inutilement au débordement de ses armées.

Timour-Beg', plus connu sous le nom de Tamerlan, avait soumis la Perse, l'Arménie, la Géorgie, et une grande partie de la Tartarie, lorsqu'il résolut de porter la guerre dans l'Inde. Parti de sa résidence de Samarkand à la tête de 92,000 hommes de cavalerie, il passe le Djihoun à Tormed, se dirige sur Balk, et arrive, en mars et avril 1398, au pied de la chaîne âpre et sauvage de l'Hindou-Khouch. Ces montagnes, qui font partie de l'ancien Paropamise, ou Caucase indien des Grecs, ont reçu des Arabes le nom emphatique de Ceinture de pierre de la terre 2. Timour n'hésita pas à prendre sa route à travers les neiges et les précipices; il eut beaucoup à souffrir, non-seulement à cause de la difficulté des chemins, mais aussi par les attaques des tri

1 Timour-Beg, c'est-à-dire le prince Timour. On sait que ce conquérant était boiteux, infirmité qu'on exprime en persan par le mot lenk. C'est de cette épithète, ajoutée à son nom, que l'on a fait, dans les langues de l'occident, Timour-lan et Tamerlan. Quant aux Orientaux, ils lui ont justement appliqué le surnom de Prince destructeur, à cause de son inhumanité et des massacres qui signalèrent toutes ses expéditions.

2 L'Hindou-Khouch ou Hindoukosch traverse le Khorassan, sépare le Turkestan de l'Afghanistan et de la Perse proprement dite, touche d'un côté à la mer Caspienne et aux branches de l'Ararat, et se rattache de l'autre à la chaine de l'Himalaia.

bus barbares qui gardaient ces régions inhospitalières, et qui lui causèrent des pertes considérables en hommes et en chevaux. On jugera des obstacles qu'il eut à surmonter dans cette traversée, quand nous aurons dit qu'il fut forcé tantôt de se faire trainer à bras sur la neige, tantôt de se faire descendre avec des cordes du haut de rochers qui n'avaient pas moins de 150 coudées de hauteur. Il fallait, pour se soumettre à de pareilles épreuves, avoir toute l'inflexibilité d'un caractère de fer, tel qu'était celui que désignait le nom de cet homme extraordinaire, s'il est vrai que, dans les langues tartares, timour ou temir a le sens de fer.

Six mois après son départ, Tamerlan descendit par le Caboulistan dans la vallée de l'Indus, et il traversa ce fleuve sur un pont de bateaux, le 11 octobre 1398 1. Nous avons vu ailleurs que ce même passage avait offert à Alexandre de grandes difficultés, parce que ce prince

était arrivé sur les bords de l'Indus au moment où il était grossi par les pluies du printemps. Tamerlan, mieux instruit de la marche des saisons dans ces climats, s'était arrangé de manière à arriver dans le Pendjâb au commencement de l'automne, époque où les pluies n'étaient plus à craindre. Ses progrès ne furent qu'une

On croyait autrefois que Tamerlan avait passé l'Indus à Attock, et qu'il avait suivi dans le Pendjab la même marche qu'Alexandre. Cette supposition, qui a été adoptée par Gibbon (Hist. de la décadence, chap. 65), manque d'exactitude. Le major Renuell, dont les savantes investigations ont éclairci tant de points obscurs de la géographie et de l'histoire de l'Hindoustan, fixe le lieu du passage de Tamerlan à Deenkote ou à Reishi, c'est-à-dire à trois ou quatre journées au-dessous d'Attock (Description de l'Hindoustan, tom. II, pag. 120, 124). L'intérêt de Timour était en effet de passer le fleuve le plus bas possible, afin de se rapprocher de Moultan, et d'être plus à portée de secourir Pir-Méhemmed, son petit-fils, qui assiégeait cette place.

suite continuelle de dévastations et d'atrocités : il faisait égorger les populations en masse, et traînait impitoyablement en esclavage ceux qui parvenaient à échapper au glaive de ses soldats. Arrivé en face de Dehli, il fit massacrer de sang-froid 100,000 prisonniers, seulement pour être un peu moins gêné dans ses opérations.

Le jeune Mahmoud-Nassir-ed-Dyn, qui régnait alors sur l'Hindoustan, était un prince indolent, entouré de conseillers qui, au lieu de lui inspirer de la résolution, ne songeaient qu'à le trahir. Surpris par cette invasion, il eut à peine le temps de réunir 50,000 hommes de pied et 10,000 chevaux pour couvrir sa capitale. Cette armée était renforcée par 120 éléphants bardés de fer, dont les défenses étaient armées de lames de sabre et de grands poignards empoisonnés '. Ces animaux portaient, dit Chérif-ed-Dyn, des tours en bois occupées par des archers et des arbalétriers; et à côté des éléphants marchaient des hommes destinés à lancer des balles à feu et des fusées volantes garnies de pointes de fer, qui donnaient plusieurs coups de suite après étre tombées 2. Cela prouverait qu'on peut accoutumer les

Les écrivains arabes et persans, toujours portés à l'exagération, parlent d'un millier d'éléphants. J'ai suivi dans ma supputation les Mémoires de Tamerlan, publiés par Langlès, et qui présentent tous les caractères de l'authenticité.

2 Ces fusées étaient probablement de la même composition que celles que nous appelons à la Congrève, du nom du général anglais qui, après les avoir trouvées employées dans l'Inde, les a introduites en Europe. Les Chinois et les Indiens paraissent, du reste, avoir connu dès une époque très-reculée des mélanges pyrotechniques plus ou moins perfectionnés, ayant plus ou moins d'analogie avec notre poudre à canon, et avec lesquels ils faisaient des fusées et des feux d'artifice, soit pour les réjouissances, soit pour la guerre. Voyez, à cet égard, un curieux travail couronné, en 1840, par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, sous le

éléphants à soutenir la vue du feu et des artifices lors. que ces projectiles ne sont pas dirigés sur eux. Nous verrons en effet bientôt, qu'on est parvenu à leur faire porter de petites pièces de campagne que l'on sert même sur leur dos.

L'historien arabe Ahmed-ben - Arab - Chah, ajoute que les tours étaient faites en claies, et que les soldats qu'on y avait placés étaient si nombreux qu'ils pouvaient à peine se remuer. Tout ce monde agitait des sonnettes, des timbales et autres instruments qui faisaient le bruit le plus étourdissant et le plus étrange '.

L'armée de Timour était plus nombreuse que celle des Indiens; cependant la présence des éléphants inspirait quelque crainte aux Tartares, qui n'avaient jamais eu affaire à ces animaux; et ces alarmes étaient partagées par leurs chefs et par les émirs. Tamerlan, qui ne méprisait jamais le danger, mais qui savait l'apprécier à sa juste valeur, jugea prudent de prendre des précautions pour rétablir la confiance. D'abord il donna ordre titre d'Essai sur le feu grégeois et sur l'introduction de la poudre à canon en Europe. Ce mémoire, où l'auteur, M. Ludovic Lalanne, trace avec une grande érudition l'histoire du feu grégeois, et démontre l'identité de ce célèbre artifice avec les fusées incendiaires dont on se sert encore aujourd'hui, est inséré dans le tom. 1o, pag. 294-363, des Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et belles-lettres de l'Institut (1841). On en trouve un résumé fort étendu dans les Annales de chimie et de physique, 3o serie, t. iv (1842).

---

1 Histoire du grand Tamerlan, par Achamed, fils de Gueraspe, traduite de l'arabe par Vattier. - Vie et instituts politiques et militaires de Tamerlan, trad. du persan par Langlès. Histoire de Tamerlan, par Chérif-ed-dyn-Aly Yezdy, trad. du persan par Petis de la Croix. Histoire générale des Huns, des Turcs, des Mogols, etc., par de Guignes, tom. iv, liv. xx. — Ranking, Historical researches, cap. 4. Gibbon, Histoire de la décadence, chap. 65. Robertson's, Historical disquisition on India.

« VorigeDoorgaan »