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tion prétendit profiter exclusivement de ces avantages, et traita en ennemi tout concurrent de ce commerce lucratif. Dès lors les marchands eurent des armées, les comptoirs devinrent des forteresses, et on n'exerça plus le monopole qu'à coups de canon. Les indigènes furent assez imprévoyants pour se laisser entraîner dans ces querelles, dont le résultat devait être leur asservissement. Peu à peu l'Inde entière se trouva enlacée dans le réseau de la politique européenne; on se battit chez elle et avec son concours pour des intérêts qui lui étaient étrangers; elle n'acheta quelques instants de trêve qu'au prix de ses provinces et de ses trésors; enfin, de concessions en concessions, de démembrements en démembrements, le vaste empire des Akbar et des Aureng-Zeb finit par devenir l'apanage d'une compagnie d'armateurs.

Toutefois, avant de tomber sous la domination étrangère, les peuples de l'Inde firent une résistance énergique, et il ne fallut pas moins de trois siècles de combats et d'intrigues pour consommer leur asservissement. Dans cette longue lutte, les Indiens, qui, bien que l'usage des armes à feu fût déjà alors assez répandu dans ces contrées, n'avaient pas encore renoncé aux éléphants de guerre, essayèrent souvent d'opposer ce moyen de destruction à la tactique des Européens.

Les établissements des Portugais devenant de jour en jour plus menaçants pour la liberté de la péninsule cisgangétique, presque tous les États de cette contrée se liguèrent en 1571 pour expulser, s'il était possible, ces étrangers. On vit alors sous les murs de Goa une armée que quelques relations évaluent à 250,000 hommes, 2,500 éléphants et 500 bouches à feu 1. Idal

1 Histoire des découvertes et des conquêtes des Portugais, par le P. Lafiteau, liv. xiv. Selon d'autres relations, il n'y aurait eu

khan et Nizamaluk, deux des princes les plus puissants du Dekkan, étaient à la tête de ces forces redoutables, qui vinrent pourtant échouer contre la bravoure et les sages dispositions du célèbre D. Louis d'Ataïde, alors vice-roi des possessions des Portugais dans les Indes.

Lorsque le grand Albuquerque voulut s'emparer de Malakka, le roi du pays vint à sa rencontre avec une armée où l'on remarquait un train d'éléphants chargés de tours, et portant au bout de leurs défenses de fortes épées. Ces animaux firent d'abord beaucoup de ravage dans l'armée portugaise; mais enfin deux gentilshommes de cette nation, apercevant le roi indien monté sur un éléphant, s'attachèrent à sa poursuite, se firent jour jusqu'à lui, parvinrent à prendre en flanc sa monture, et la percèrent de leurs lances. L'animal, irrité par la douleur, se jeta au milieu des rangs des Indiens; ses cris et sa fuite effrayèrent les autres, et tous parcourant avec fureur les rangs de leur armée, la mirent dans un désordre complet. Il ne fut pas difficile à Albuquerque d'achever la déroute de l'ennemi. Il le poursuivit, et lui prit 7 éléphants; la conquête de Malakka fut le fruit de cette victoire. Les Malais firent plusieurs tentatives pour reprendre cette ville, et toujours ils y amenèrent avec eux des éléphants : les Portugais leur prirent ou tuèrent encore plusieurs de ces animaux; on cite même un soldat qui en renversa un à lui seul. Ces événements eurent lieu de 1511 à 1515 1.

Les habitants de l'île de Ceylan firent aussi, quelques années plus tard, un essai malheureux de leurs élé

que 105,000 hommes, 250 pièces d'artillerie, et 2,000 éléphants; ce qui est déjà bien assez. Voyez Ranking, ouvrage cité, chap. 8. 1 Barros, Decada segunda da Asia, lib. IX. - Osorio, de Reb. Emmanuel virt. et ausp. gestis, lib. vi. Maffei, Hist. Indic., Lafiteau, ouvrage cité, liv. vi.

lib. v.

-

phants. Les Portugais s'étaient établis dans cette île, et y avaient bâti le fort de Colombo, dont ils se servaient comme d'une place d'armes pour mettre le pays à contribution. Vingt mille indigènes vinrent les y attaquer avec 25 éléphants chargés de tours. Ces animaux portaient, disent les historiens, des glaives au bout de leurs défenses; leurs trompes étaient armées de faux ou de cimeterres, et ils s'en servaient avec une adresse effrayante. Le commandant portugais, Lopez Britto, eut cependant le courage d'attaquer cette multitude avec 300 hommes seulement; mais il ordonna à ses arquebusiers de marcher bien serrés et de viser tous ensemble aux éléphants, sans s'inquiéter du reste. C'était une excellente idée, car ces animaux, effrayés à la vue du feu et rendus furieux par les blessures, se renversèrent sur les insulaires qui marchaient en masse derrière eux. Une partie des Indiens furent écrasés sous leurs pieds, le reste se débanda sans coup férir, et le roi, qui s'était sauvé des premiers, n'eut rien de plus pressé que de demander la paix aux Portugais. Depuis, il ne s'avisa plus de les inquiéter 1.

Ces expériences ne tardèrent pas à convaincre les Indiens de cette vérité, non-seulement que les éléphants étaient d'un faible secours, mais qu'ils devenaient même une cause inévitable de revers, contre des troupes qui savaient bien employer le canon et le fusil. S'ils ne renoncèrent pas dès lors entièrement à tirer parti de ces animaux, ils s'en servirent du moins avec plus de méfiance. La manière de les employer qui entraînait le moins d'inconvénients, c'était de leur faire porter de

Barros, op. cit., Decada terceira, lib. 1v. Osorio, op. cit.,
Lafiteau, op. cit., liv. vu. Cet événement eut lieu en

lib. xit.

1521.

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grosses arquebuses ou de petites pièces de campagne; car alors on pouvait les placer à distance, hors de la mêlée, et même hors de la portée de la mousqueterie. Nous avons vu les grands Mogols employer, dès le milieu du XVIe siècle, les éléphants à ce service; depuis, il n'y a presque pas eu dans l'Inde une guerre où l'on n'en ait tiré le même parti.

Dans les guerres dont cette contrée fut le théâtre pendant le siècle dernier, et principalement dans celles auxquelles donna lieu la rivalité de la France et de l'Angleterre, on vit quelquefois les princes de la péninsule traîner après eux beaucoup d'éléphants, mais plutôt par ostentation que dans l'espoir d'en tirer un bon parti: ainsi, en 1749, dans une bataille que les Français, réunis au prince indien Chounda-Saeb, gagnèrent dans le Karnatic, sur Anaverdikan, nabab d'Arcate, on vit 60 éléphants tomber au pouvoir des vainqueurs ; et, l'année suivante, le puissant Nassir-Jeng, soubab du Dekkan, paraître à deux reprises différentes devant Pondichéry, la première fois avec 300,000 hommes, 800 pièces de canon et 1,300 éléphants; et la seconde avec 105,000 hommes, 350 pièces et 700 éléphants. Mais une poignée de Français, commandés par le brave Latouche, lieutenant de l'habile et entreprenant Dupleix, suffit pour dissiper toutes ces forces; le soubab lui-même fut tué sur son éléphant au milieu de son armée 1.

Il y eut d'ailleurs dans ces mêmes guerres de rares

1 On peut consulter, sur ces événements, l'Histoire de la guerre de l'Inde depuis 1745, par Orme, traduite de l'anglais par Targe. Mill's History of british India, by Wilson. - Petit de Baroncourt, Supplément au Tableau de l'empire britannique dans l'Inde, par le général de Biornstierna. Enfin, presque tous les écrits qui ont été publiés sur l'administration de Dupleix et de l'infortuné LallyToleudal.

occasions où les Indiens purent tirer parti des éléphants, même contre des troupes européennes, non pas pour les vaincre, mais pour les écraser après la déroute. Ce fut ainsi que le terrible Hyder-Aly détruisit, en 1779, une colonne anglaise commandée par le colonel Baillie. Après avoir entouré ces troupes et les avoir obligées de se serrer en masse, il les démolit à coups de canon, puis lança sur elles sa cavalerie et ses éléphants, qui achevèrent de les détruire. Ce désastre coûta aux Anglais 5,000 hommes et 10 pièces d'artillerie, perte immense dans la situation où se trouvaient leurs affaires.

Mais le service le plus réel, le seul peut-être que les éléphants aient prêté et prêtent encore aux armées de l'Inde, c'est de transporter les munitions, les armes, les tentes, et cette immensité de bagages que les princes et les officiers traînent toujours à leur suite dans ces contrées. Dans l'armée combinée, qui, sous les ordres de lord Cornwallis, marcha, en 1790 et 1791, à la conquête du Mysore, il y avait 200 éléphants uniquement employés au transport de la caisse militaire. Vers la même époque, le nabab de Oude, allant avec un corps de troupes faire une grande chasse dans les campagnes, se fit suivre par un millier d'éléphants chargés de ses bagages. Enfin, en 1831, un voyageur français, Victor Jacquemont, rencontra dans le Bengale le gouverneur général de l'Inde, lord Bentink, qui faisait sa tournée avec une nombreuse escorte. Ses équipages étaient portés par 1,300 chameaux, 800 chariots, et 103 éléphants 1.

Quelque convaincus que soient les Indiens de l'inutilité et du danger des éléphants, ils n'ont pas renoncé à l'usage d'affecter ces animaux comme montures d'honneur aux princes et aux chefs des armées. Depuis Porus

1 Voyez l'ouvrage déjà cité de M. Petit de Baroncourt. - Ranking, ouvr. cit., chap. 8; et la Correspondance de V. Jacquemont.

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