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décida à accepter: il n'eut pas lieu de s'en repentir. Nonseulement Alexandre lui laissa ses Etats, mais, si nous en croyons Plutarque, il y ajouta une telle étendue de pays qu'il en fit le monarque le plus puissant de l'Inde. La prospérité avait tellement exalté l'orgueil du conquérant, qu'il se regardait déjà comme le maître de la terre, et qu'il donnait non-seulement ce qu'il possédait, mais ce qu'il ne pensait même pas à conquérir.

Fier de ce premier succès obtenu contre les éléphants, Alexandre consacra au soleil celui qui servait de monture à Porus. Il imposa le nom d'Ajax à ce superbe quadrupède; il le couvrit de magnifiques ornements, et il fit garnir ses défenses de bracelets d'or, sur lesquels on lisait cette inscription: ALEXANDRE, FILS DE JUPITER, OFFRE AU SOLEIL CET ÉLÉPHANT 1.

Arrien a été mon principal guide dans le récit de cette bataille; c'est le plus sensé et le plus complet des historiens d'Alexandre; et d'ailleurs, sa qualité d'homme de guerre lui donne, en pareille matière, un titre de plus à la confiance. Il me semble toutefois qu'il a exagéré le nombre des éléphants de Porus, ou du moins que les 200 dont il fait mention ne pouvaient pas être tous rangés, comme il le dit, devant l'infanterie indienne, et à un plèthre d'intervalle 2. En effet, Diodore ne compte dans l'armée de Porus que 130 éléphants, et ce roi, suivant Qninte-Curce, n'en avait que 85. La vérité est probablement entre ces deux évaluations, et l'on en approchera sans doute beaucoup en admettant qu'il en avait de 100 à 120.

1 Philostrat., Apollon. vita, lib. 11.

2 Environ 95 pieds de l'ancienne mesure de Paris.

Voyons si, même après cette réduction, il était possible de ranger ces animaux devant le centre de l'armée, avec les distances indiquées par Arrien. A la vérité, nous manquons de notions sur l'ordonnance des anciennes armées des Indiens; mais de ce que ces peuples se servaient de l'épée, de la pique et du bouclier, on doit naturellement conclure que chaque homme occupait dans les rangs un espace d'environ trois pieds. Cet espace était, en effet, strictement nécessaire au soldat pour se servir commodément de ses armes, et c'était celui que, suivant Polybe, le soldat grec et le soldat romain occupaient au moment du combat. Cela posé, il ne nous reste plus qu'à savoir sur combien de rangs était formée l'infanterie de Porus, pour en déduire l'étendue qu'elle devait prendre sur la ligne. Ici, comme pour ce qui précède, faute de documents positifs, nous serons forcés de recourir à l'analogie.

Il est constant que l'ordre profond a toujours dominé dans les armées des peuples de l'antiquité. Cet ordre, qui était une conséquence nécessaire de l'armement de ces peuples et de leur manière de combattre, a continué à jouir de la même faveur jusqu'à la découverte de la poudre. Les anciens Perses combattaient sur vingtquatre hommes de profondeur. Cyrus ne dérogea à cette règle qu'à la bataille de Thymbrée, où il dédoubla ses files pour se donner un front aussi étendu que celui de l'ennemi. A cette même bataille l'infanterie de Crésus était rangée sur trente hommes de hauteur, et il y avait même des carrés pleins, de cent hommes de côté 1.

Les Indiens suivaient probablement une tactique peu différente de celle des Perses leurs voisins. D'ailleurs

Voyez dans les œuvres de Fréret les Remarques sur la bataille de Thymbrée.

les Macédoniens combattaient sur seize de profondeur; et Porus, qui, sans aucun doute, était informé de l'ordonnance de l'armée d'Alexandre, n'aurait pu, sans préparer lui-même sa défaite, adopter un ordre plus mince. Il y a donc tout lieu de supposer que l'infanterie indienne n'avait pas moins de douze à quinze rangs; et les expressions d'Arrien favorisent elles-mêmes cette conjecture, car il se sert, en parlant de l'armée de Porus, du mot de phalange, qui, selon les idées des Grecs, ne pouvait convenir qu'à un ordre profond 1.

Ces bases une fois admises, il est facile de calculer que les 30,000 hommes de Porus n'auraient formé qu'un front de six ou sept mille pieds. Je dis les 30,000 hommes, pour poser la question dans les termes les plus favorables au récit d'Arrien; car, à la rigueur, il faudrait en déduire les nombreux détachements destinés à garnir les intervalles laissés entre les éléphants, déduction par laquelle le front de l'infanterie indienne serait notablement diminué. Mais en lui laissant même toute cette étendue, il est clair qu'il n'y aurait eu de place que pour 60 à 70 éléphants, à moins que nous ne voulions supposer que ces animaux étaient plus serrés et seulement à cinquante pieds d'intervalle, ainsi que l'assure Polyen 2; alors on aurait pu en placer environ 120. On peut, au reste, concilier ces différentes versions, en supposant que Porus avait réellement avec lui 200 éléphants, mais qu'il n'en avait mis qu'une partie devant son infanterie, les autres étant restés avec les détachements laissés sur les bords de l'Hydaspe pour observer les mouvements de Cratère et de Méléagre 3. On pourrait même inférer de la relation de Diodore 1 Arrian., Exp. Alex., v, 15.

2 Polyæn., Stratag., IV, 3, 22.

3 ἀλλὰ καὶ ὡς ὀλίγους τῶν ἐλεφάντων σὺν οὐ πολλῇ στρατιᾷ αὐτοῦ ἐπὶ τοῦ στρα

que Porus avait laissé en réserve un certain nombre d'éléphants, et qu'il ne les fit avancer qu'au moment du plus grand danger 1.

Pour terminer ce qui concerne cette bataille, j'ajouterai qu'à en croire Polyen, Alexandre aurait eu aussi des éléphants, qu'il aurait placés à la gauche de sa phalange. Mais ce témoignage isolé d'un compilateur qui manque souvent de critique ne peut être d'aucun poids contre le silence d'Arrien, de Quinte-Curce, de Diodore, de Plutarque, qui, certes, se seraient bien gardés d'omettre une circonstance aussi importante. Sans doute, Alexandre pouvait, avant la bataille, disposer d'un grand nombre d'éléphants ; mais l'auteur des Stratagèmes n'a pas vu qu'il lui eût été impossible de faire suivre à ces animaux les mouvements rapides d'une colonne, forcée de traverser une rivière considérable pendant une nuit d'orage et à proximité de l'ennemi. Alexandre aurait compromis le succès de son plan et le salut de son armée, s'il se fût embarrassé de ces lourds quadrupèdes, qui, au surplus, n'auraient fait que mettre le désordre dans son armée et sur le champ de bataille, attendu que les Macédoniens ignoraient l'art de les gouverner.

Après la victoire de l'Hydaspe, Alexandre se trouva possesseur de tous les éléphants de Porus, et ce nombre, ajouté à ceux qu'il possédait déjà, fut bientôt augmenté de ceux qui lui furent offerts par les autres princes de l'Inde il en reçut au moins 40 d'Abissare, l'un de ces

τοπέδου ἀπέλιπεν, ὡς φοβεῖν ἀπὸ τῆς ὄχθης τοὺς ξὺν Κρατερῷ ἱππέας. (Arrian., Exp. Alex., v, 15.)

1 Diodor. Sicul., xvII, 88. Cet auteur donne à Porus 50,000 hommes d'infanterie ; mais je n'hésite pas à préférer sous ce rapport la relation d'Arrien.

2 Polyæn., Stratag., IV, 3, 22.

princes, et, suivant Arrien, il donna à Porus, en le renvoyant dans ses Etats, après le passage de l'Acésines, l'ordre de lui amener, avec l'élite de ses troupes, tous les éléphants qu'il pourrait rassembler 1. Enfin, il dut naturellement en acquérir encore d'autres, après les avantages qu'il remporta sur les Oxydraques et sur les Malliens (habitants du Moultan d'aujourd'hui). Il nous est donc permis de supposer qu'il pouvait en avoir quelques centaines, lorsqu'il se mit en route pour regagner la Perse.

Cratère, qu'il chargea de conduire ces animaux, prit son chemin sur la gauche de l'Acésines et de l'Indus, et les amena jusqu'à Pattala (aujourd'hui Tatta), où le fleuve se partage en plusieurs branches. De là, il les fit passer sur la rive droite; mais au lieu de suivre le gros de l'armée, dans les déserts brûlants de la Gédrosie (le Mékran), où ils seraient morts de soif et de fatigue, il les fit remonter par l'Arachosie et la Drangiane, et ne rejoignit l'armée que dans la Carmanie (le Farsistan); il la suivit ensuite à Persépolis, à Suse, et à Babylone.

Les éléphants auront sans doute contribué à rendre plus imposante l'entrée triomphale du conquérant dans cette dernière ville, où son retour était attendu par les ambassadeurs de tant de nations, où un si grand nombre de rois et de satrapes s'étaient rendus pour se prosterner devant le nouveau maître de la terre 2. On sait combien il se glorifiait de posséder ces superbes quadrupèdes, qu'il regardait comme le prix le plus glorieux de ses victoires. Il les employait à rendre sa cour plus im

Arrian., Exp. Alex., v, 20, 21.

2 Justin., Hist., XII, 13. Alexandre reçut alors, suivant cet historien, des ambassadeurs non-seulement de Carthage, de l'Es

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