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46. Toutefois le principe de non-rétroactivité, contenu dans l'art. 2, ne lie pas le législateur; il ne lie que le juge chargé d'appliquer la loi. En effet, l'omnipotence législative n'est restreinte que par la constitution, et l'art. 2 n'est pas une loi constitutionnelle. Le législateur peut donc faire des lois rétroactives, mais sauf à user de ce droit avec une extrême réserve. Ce précepte n'a pas toujours été suivi. Le pouvoir législatif de la période révolutionnaire dépassa certainement sur ce point la juste mesure (v. notamment la loi du 17 nivôse an II). Aussi la constitution du 5 fructidor de l'an III retira-t-elle au législateur le droit de faire des lois rétroactives. Mais, au point de vue rationnel, une pareille défense ne se conçoit pas. Dans certaines circonstances, rares il est vrai, la justice et l'humanité peuvent exiger qu'une loi rétroagisse; pourquoi donc lier les mains au pouvoir législatif? Aussi aucune des constitutions qui se sont succédé depuis celle de l'an III ne l'a-telle suivie dans cette voie, et c'est un point constant aujourd'hui que le législateur peut faire rétroagir la loi.

En résumé, le principe que la loi n'a pas d'effet rétroactif n'est pas un principe de droit constitutionnel. Il lie le juge plutôt que le législateur, et signifie que le juge ne doit pas appliquer la loi de manière à lui faire produire un effet rétroactif, à moins bien entendu que le législateur n'ait manifesté une volonté contraire.

47. La règle que la loi n'a pas d'effet rétroactif revient à dire que, dans le conflit qui peut s'élever entre deux lois de dates différentes, relatives à un même objet, la plus récente régit la période de temps. postérieure à sa promulgation, c'est-à-dire l'avenir, et l'autre, la période antérieure, c'est-à-dire le passé. Cette notion paraît d'une simplicité extrême, et cependant son application est la source de graves difficultés.

Il est incontestable que la loi ancienne régira seule les actes juridiques qui se sont définitivement accomplis sous son empire, sans que la loi nouvelle puisse leur porter aucune atteinte.

Il est non moins certain que la loi nouvelle régira, à l'exclusion de l'ancienne, les actes qui n'étaient pas commencés sous l'empire de celle-ci, et qui par conséquent se sont accomplis en totalité sous l'empire de la loi nouvelle.

Mais la ligne de démarcation entre le passé, qui forme le domaine de la loi ancienne, et l'avenir, qui forme celui de la loi nouvelle, n'est pas toujours aussi nettement tranchée. On conçoit par exemple qu'un acte juridique, accompli sous l'empire de la loi ancienne, puisse produire des conséquences sous l'empire de la loi nouvelle. Par quelle loi ces conséquences seront-elles régies? Par la loi ancienne ou par la loi nouvelle? Là est l'embarras. Quelquefois le législateur résout les diffi

cultés, auxquelles donne lieu le passage d'une législation à l'autre, au moyen de dispositions particulières que l'on appelle transitoires (de transire, passer). Voyez à titre d'exemples l'art. 2281 du code civil et l'art. 11 de la loi du 23 mars 1853. Le juge doit alors se conformer à la volonté exprimée par le législateur. Mais souvent celui-ci garde le silence. Alors le juge doit chercher à découvrir sa volonté, et il peut y parvenir au moyen des règles suivantes.

48. Les lois sont faites dans l'intérêt de la société. On doit donc supposer que le législateur, organe des intérêts sociaux, a entendu que la loi nouvelle fût appliquée dans le sens le plus conforme à ces intérêts. Or les lois nouvelles étant présumées meilleures que les anciennes, l'intérêt social exige qu'elles reçoivent leur pleine et entière application le plus promptement possible, dût-il en résulter le froissement de quelques intérêts particuliers. Mais si l'intérêt particulier doit s'incliner devant l'intérêt social qui est un intérêt général, celui-ci doit à son tour le céder aux droits acquis à des particuliers, parce que l'atteinte portée à ces droits jetterait une perturbation grave dans l'état et la fortune des particuliers, au grand préjudice de la société qui est intéressée à leur stabilité.

En résumé, le juge, suivant en cela la volonté du législateur, révélée par l'intérêt social dont il est l'organe, doit appliquer la loi nouvelle alors même que cette application viole un intérêt particulier; mais il doit appliquer la loi ancienne quand l'application de la loi nouvelle aurait pour résultat de violer un droit acquis sous l'empire de la loi ancienne. <«< S'il n'y a plus de société quand la loi peut dépouiller les citoyens de leurs droits, dit M. Laurent, il est vrai aussi qu'il n'y aurait plus de société possible si elle devait s'arrêter devant les intérêts particuliers ».

49. Il faut dire maintenant la différence qui existe entre l'intérêt et le droit.

L'intérêt consiste dans de simples espérances ou expectatives conçues sous l'empire de la loi ancienne et protégées par cette loi. Il s'agit d'avantages qui ne nous appartiennent pas encore, mais que la loi existante nous donne seulement l'espoir d'acquérir. Une loi nouvelle pourrait nous les ravir ou plutôt nous ravir l'espérance que nous avions de les acquérir; qui dit espérance dit déception possible. Il en serait ainsi notamment de la prétention que je puis avoir sur les biens d'une personne encore vivante, en qualité de légataire ou d'héritier présomptif de celle-ci. Par exemple, pour préciser, un de mes cousins au dixième degré n'a pas de parents plus proches que moi; je suis donc son héritier présomptif d'après la loi actuellement en vigueur, qui admet les parents à succéder jusqu'au douzième degré (art. 755).

Supposons que, ce cousin étant encore en vie, une loi nouvelle vienne, comme il en est question, décider qu'on ne succèdera pas désormais au-delà du sixième degré. Cette loi brisera l'espoir que j'avais pu légitimement concevoir, sous l'empire de la loi antérieure, de succéder à mon cousin.

Le droit ou droit acquis est l'avantage que nous possédons, qui figure dans notre patrimoine, qui ne peut pas nous être ravi par le fait de celui de qui nous le tenons ou par le fait d'un tiers. Tel est le droit qui m'appartient sur un bien en vertu d'un contrat, par exemple d'une vente ou d'une donation; tel encore le droit que je tire d'un testament dont l'auteur est décédé, ou le droit que j'ai comme héritier dans une succession ouverte. Une loi nouvelle ne pourrait pas me ravir ces droits sans être entachée de rétroactivité.

49 bis. Passons aux applications. Elles sont nombreuses et difficiles. Nous parlerons successivement : des lois relatives à l'état et à la capacité des personnes; des lois relatives aux biens; des lois interprétatives; des lois pénales.

A. Lois relatives à l'état et à la capacité des personnes.

a. Lois relatives à l'état des personnes.

50. L'état des personnes constitue une sorte de propriété protégée par des actions analogues à celles qui protègent le droit de propriété sur les biens matériels. L'état qui appartient à une personne constitue donc pour elle un droit acquis que ne saurait compromettre l'application d'une loi nouvelle.

Ainsi, d'après la loi actuellement en vigueur (loi du 29 juin 1867), la naturalisation peut être obtenue par l'étranger qui a résidé pendant trois ans en France depuis sa majorité, après y avoir fixé son domicile en vertu d'une autorisation du chef de l'Etat. Supposons qu'une loi nouvelle change les conditions de la naturalisation, en exigeant par exemple dix ans de stage au lieu de trois. Cette loi sera applicable à tous ceux qui, lors de sa promulgation, n'auront pas encore acquis la naturalisation; mais elle ne changera pas la situation de ceux dont la naturalisation constituait alors un fait accompli.

De même les mariages, contractés conformément aux prescriptions de la loi existante à l'époque de leur célébration, ne recevront aucune atteinte d'une loi postérieure qui changerait les conditions de validité, établies par la loi ancienne. Ainsi notre droit actuel autorise les mariages entre cousins germains. Survienne une loi nouvelle qui les prohibe; elle n'aura pas pour conséquence d'annuler les mariages de ce genre, contractés avant sa promulgation; mais elle rendra impossibles dans l'avenir tous ceux qui ne sont encore qu'à l'état de projet.

De même enfin une loi nouvelle, qui changerait les conditions de l'adoption, ou de la reconnaissance des enfants naturels, ne porterait aucune atteinte aux adoptions ou aux reconnaissances accomplies sous l'empire de la loi ancienne et conformément à ses prescriptions.

b. Lois relatives à la capacité des personnes.

51. Ces lois saisissent immédiatement les individus, soit qu'elles élargissent, soit même qu'elles restreignent leur capacité telle qu'elle était réglée auparavant. Elles

peuvent donc avoir pour résultat de rendre immédiatement capable pour l'avenir celui qui était incapable d'après la loi ancienne, ou, en sens inverse, de rendre incapable celui qui était capable. Elles n'ont pas pour cela d'effet rétroactif, car nul n'a un droit acquis à conserver la capacité qu'une loi lui accorde ou l'incapacité dont elle le frappe. Les lois qui règlent la capacité des personnes sont conçues dans un but de protection, et nul ne saurait soutenir qu'il a un droit acquis à n'être pas protégé. De plus ce sont des lois d'intérêt général, et l'intérêt général l'emporte sur l'intérêt particulier. Tout ce qu'exige ici le principe de non-rétroactivité, c'est que le sort des actes accomplis sous l'empire de la loi ancienne ne soit pas modifié par la loi nouvelle, car de ces actes résultent des droits acquis.

Voyons quelques applications de cette règle.

52. 1. Lois relatives à la majorité et à l'interdiction.

a.

D'après la plupart de nos anciennes coutumes, on était majeur à 25 ans. La loi du 20 septembre 1792, dont la disposition a été reproduite par le code civil (art. 488), fixa la majorité à 21 ans. Cette loi a rendu immédiatement majeurs tous ceux qui avaient plus de 21 ans et moins de 25 ans, mais elle n'a pas pu avoir pour résultat de valider les actes par eux accomplis sous l'empire de la loi ancienne et qui étaient nuls d'après cette loi.

B. La coutume de Normandie fixait la majorité à 20 ans. La loi du 20 septembre 1792, qui la recula jusqu'à 21 ans, a eu pour conséquence de faire redevenir mineurs tous ceux qui avaient plus de 20 ans et moins de 21 ans lors de sa promulgation; mais elle n'a porté aucune atteinte à la validité des actes par eux accomplis sous l'empire de la loi ancienne.

Y. Dans notre ancien droit, on interdisait les prodigues qui se trouvaient ainsi frappés d'une incapacité générale. Le code civil ne permet plus de les interdire, mais seulement de leur nommer un conseil judiciaire, sans l'assistance duquel ils ne peuvent pas accomplir les actes limitativement énumérés par l'art. 513. Il est certain que les prodigues, qui étaient interdits lors de la promulgation du code civil, ont pu demander la main-levée de leur interdiction. Mais la cour de cassation n'est-elle pas allée trop loin, en décidant que, de plein droit, l'interdiction des prodigues a été levée par le code civil et leurs curateurs transformés en conseils judiciaires? Le législateur aurait pu le décider ainsi; mais dans son silence il paraft difficile d'admettre cette solution, qui a pour résultat de détruire de plein droit l'autorité d'un jugement rendu sous l'empire de la loi ancienne.

53. 2. Lois relatives à la capacité des femmes mariées.

Dans les pays de droit écrit, les femmes mariées pouvaient contracter et ester en justice sans l'autorisation de leurs maris. La publication du titre Du mariage, qui frappe la femme mariée d'une incapacité générale, leur a fait perdre ce droit pour l'avenir (art. 215 et s.). Mais les actes valablement accomplis sous l'empire de l'ancienne loi n'ont pas été atteints par la loi nouvelle. En Bourgogne, les femmes ne pouvaient pas tester sans l'autorisation de leurs maris. L'art. 226 du code civil a rendu toutes les femmes de ce pays, qui étaient mariées à l'époque où il est devenu obligatoire, capables de tester sans autorisation; mais il n'a pas validé les testaments faits par elles antérieurement et nuls d'après l'ancienne loi pour défaut d'autorisation.

B. Lois relatives aux biens.

54. 1. Lois qui déterminent les conditions de validité des contrats. Les contrats sont toujours régis, en ce qui concerne les conditions requises pour leur validité, par la loi existante à l'époque où ils sont faits. Un contrat est la source de droits acquis aussitôt qu'il est devenu parfait, et ces droits ne doivent par suite recevoir

aucune atteinte d'une loi nouvelle qui viendrait changer les conditions de validité requises par la loi sous l'empire de laquelle le contrat a été fait. Ainsi notre ancien droit admettait la validité des renonciations anticipées à succession, faites par contrat de mariage; les renonciations de ce genre, valablement accomplies d'après la loi alors en vigueur, n'ont pas cessé d'être valables sous l'empire du code civil, bien qu'il contienne un article qui les prohibe (art. 791).

55. 2. Lois relatives aux effets des contrats. Les effets des contrats sont régis par la loi en vigueur à l'époque où ils ont été passés; ils ne seraient pas modifiés par une loi nouvelle qui viendrait régler ces effets d'une manière différente. Les effets des contrats dépendent de la volonté des contractants; la loi ne les détermine que pour épargner ce soin aux parties. Ceux qui font un contrat, une vente par exemple, sans entrer dans aucune explication relativement aux effets que le contrat doit produire, sont censés s'être référé à la loi sur ce point. A quelle loi? Il est clair que ce ne peut être qu'à celle qui existait à l'époque du contrat. C'est donc celle-là qui devra être appliquée, sans qu'il y ait lieu de se préoccuper d'une loi postérieure qui serait venue régler ces effets d'une manière différente.

* Ainsi la plupart de nos anciennes coutumes accordaient à l'époux survivant des droits dits de survie. Le survivant de deux époux, mariés sous l'empire d'une de ces coutumes, a pu réclamer ces droits de survie même sous l'empire du code civil, bien que ce code ne les accorde plus de plein droit à l'époux survivant. En effet, si ces droits de survie avaient été stipulés par les époux dans leur contrat de mariage, il est incontestable qu'ils pourraient être réclamés même sous l'empire du code civil qui autorise une stipulation de ce genre. Or, par cela seul que la coutume en vigueur au moment du mariage les accordait de plein droit, les époux sont censés les avoir stipulés; il existe à cet égard une convention tacite que la loi nouvelle doit respecter. De même on doit décider, quoiqu'il y ait quelque difficulté sur ce point, que les immeubles dotaux d'une femme, mariée sous le régime dotal avant le code civil dans un pays où les immeubles dotaux étaient aliénables, sont demeurés tels même sous l'empire du code civil, malgré l'art. 1554 qui déclare les immeubles dotaux inaliénables. On objecte que c'est là une question de capacité, et que les lois relatives à la capacité saisissent immédiatement les individus ; donc, dit-on, les époux, qui étaient capables d'aliéner les immeubles dotaux avant le code civil, sont devenus incapables de les aliéner depuis sa promulgation. - N'est-ce pas une question de disponibilité plutôt qu'une question de capacité? D'ailleurs, même sous le code civil, les époux qui se marient sous le régime dotal peuvent stipuler que leurs immeubles dotaux seront aliénables (art. 1557). Ne peut-on pas dire qu'ils sont censés avoir fait cette stipulation, par cela seul que la loi en vigueur lors de leur mariage déclarait les immeubles dotaux aliénables? La question inverse devrait recevoir une solution analogue pour les mêmes motifs.

56. 3. Lois relatives à la résolution des contrats. La résolution des contrats, comme leurs effets, dépend de la volonté des parties contractantes; elle doit donc être régie par la loi en vigueur lors de la convention, car les parties sont censées avoir stipulé la résolution dans les termes où cette loi l'établissait.

On doit décider par application de ce principe (mais il y a controverse sur ce point) que l'art. 1978 du code civil, aux termes duquel : « Le seul défaut de paie» ment des arrérages de la rente (viagère) n'autorise point celui en faveur de qui elle » est constituée, à demander le remboursement du capital, ou à rentrer dans le fonds » par lui aliéné... », n'est pas applicable aux contrats de constitution de rente viagère, faits avant le code civil sous l'empire d'une législation qui autorisait la résolution du contrat pour défaut de paiement des arrérages.

En sens inverse l'art. 1912, qui introduit une cause de résolution inconnue dans

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